Selon les us et coutumes de certaines communautés ou groupes ethniques vivant en Côte d’Ivoire, un homme qui perd son épouse ou vice versa doit suivre un rituel de purification. Pour éloigner définitivement de lui l’âme du disparu. Si cela n’est pas fait, alors celle-ci cherchera coûte que coûte à envoûter celle de son ancien conjoint. Toute chose qui peut s’avérer dramatique pour ce dernier. En ce sens qu’il peut aussi mourir. La pratique de cette cérémonie de purification n’est pas l’affaire de tous. Elle est réservée à une catégorie de personnes. Qui généralement sont dotées d’un pouvoir surnaturel. Nous sommes allés à la rencontre d’un de ces exorcistes, répondant au nom de Boka Kocola. Il réside à Moutcho, une bourgade située non loin d’Agboville, le chef-lieu de la région de l’Agneby-Tiassa.
Il à peine s’est-il assis sur le banc que venaient de libérer Adou Adja et ses sœurs pour prendre un peu d’air que Boka Kocola voit arriver une dame de teint clair, tout de noir vêtue. Le sommet de sa tête, légèrement rasée est visible. Elle a le corps recouvert de kaolin et est accompagnée d’autres dames en complet pagne de couleur jaune vert et de plusieurs enfants. Les visiteurs, en grand nombre, s’asseyent sur une natte qu’ils avaient dans leurs bagages. La dame en question se nomme Akoué Félicité. Elle est commerçante et réside à Agboville. Encore sous le choc de la mort de son époux, rappelé à Dieu le samedi 13 mars et inhumé deux semaines plus tard, elle laisse le soin à l’une de ses tantes maternelles, à savoir dame Ohouna Inès, qui l’a accompagnée, d’expliquer les raisons de leur visite. Prenant la parole, elle explique que c’est le troisième conjoint de sa nièce qui a été rappelé à Dieu le 13 mars. Le plus inquiétant est que cette dernière l’a vu à maintes reprises au cours de ses rêves. La veuve acquiesce de la tête pour confirmer les propos tenus par sa tante, et fixe du regard l’exorciste. « Ne vous affolez pas, avec le rituel de purification que je vais lui faire, la malédiction liée au veuvage va s’éloigner d’elle. Si elle n’était pas venue le faire, elle perdrait son futur mari si d’aventure elle contractait un nouveau mariage », répond Boka Kocola pour rassurer son interlocutrice, ainsi que sa nièce Akoué Félicité.
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Immédiatement après, il demande à vérifier les produits devant servir à la cérémonie. L’une des petites sœurs de la veuve lui donne un seau de couleur bleu contenant les objets en question, après que sa tante lui fit signe de la main. Boka Kocola se rend compte après contrôle qu’il manque le paquet de bougies. Il le signale et lance dans la foulée « une de mes belles sœurs vend des paquets de bougies, du parfum et des boites de poudre. Mais elle est partie à des funérailles. Si elle était là, vous n’auriez pas eu besoin de vous déplacer pour acheter le paquet de bougie ». Ayant entendu cela, Dame Ohouna Inès fouille dans son sac à main, sort un billet de 2 000 Fcfa plus une pièce de 100 Fcfa (le paquet de 8 bougies coûte 600 Fcfa) et donne instruction à sa nièce, qui a remis le seau, pour aller acheter le paquet de bougies. La tante remet en même temps les 7 000 Fcfa qui reviennent à Boka Kocola. Avant que la nièce, désignée pour l’achat des bougies ne bouge, le jeune Boka Kocola lui indique la boutique la plus proche. Alors qu’elle part faire la course, le jeune guérisseur prend le seau et procède au même processus que celui de la première veuve. Sauf que cette fois-ci, il fait signe à la coépouse de sa mère, qui revenait des funérailles, pour malaxer les journaux. Il s’agit de Seka Sopie Thérèse, dont l’âge à l’apparence pourrait osciller entre 75 et 80 ans. Habillée d’un corsage fleuri et d’un pagne marron, elle commence aussitôt le travail, après s’être assise sur un tabouret devant le caillou utilisé par Marie-Josée N’Zi. Elle n’est pas aussi rapide que Marie-Josée N’Zi, mais assure bien la tâche qui lui a été confiée. Pendant que Seka Sopie Thérèse s’active à mettre les journaux en pâte, Boka attend patiemment le paquet de bougies. Sur la terrasse, dame Ohouna Inès, sa nièce et tous ceux qui l’accompagnent, reprennent des forces. Ils mangent des morceaux de pain fourrés au chocolat. Tout le monde mange avec appétit sauf la veuve. Elle est calme. Personne ne peut affirmer avec exactitude les idées qui lui passent par la tête à cet instant précis. Mais on imagine aisément qu’elles ont un lien avec les propos tenus par le guérisseur au sujet de ce qui pourrait arriver à l’homme qui voudrait l’épouser et le rituel. C’est en ce moment qu’est arrivée la belle-sœur de Boka Kocola. Qui vend des paquets de bougies, des bouteilles de parfum et des pots de poudre parfumée. Elle se nomme Apo Adélaïde. Elle tient en main un nourrisson. Elle salue les visiteurs, fait coucher à proximité d’eux le bébé, sur une natte sur laquelle elle a pris soin d’étaler un morceau de pagne. Elle rentre dans la maison et en ressort avec une bassine contenant les objets précités et la pose dans un coin de la terrasse. Confirmant ainsi les affirmations émanant de son beau-frère. La petite sœur de la veuve, que l’exorciste attendait patiemment, finie par arriver quelques instants après. Elle lui remet le paquet de bougies. Il le récupère promptement, se dirige dans la maison et en ressort quelques instants après avec le seau d’eau. Le jeune Boka Kocola fait signe à Akoué Félicité de la main pour qu’elle aille prendre son bain. Elle se lève aussitôt, suivie de sa tante Ohouna Inès. Qui décide de l’accompagner. En attendant qu’Akoué Félicité finisse de se laver, le jeune exorciste part s’assoir à la véranda pour l’attendre. C’est en ce moment- là qu’arrivent une dame suivie d’un jeune homme. Ils ont des traits de ressemblance. Boka Kocola leur propose de s’asseoir à la terrasse pour les échanges. Mais on ne sait pour quelle raison ils déclinent l’offre et optent pour la maison où sont logés les objets sacrés. Au cours de l’entretien, nous apprenons que ces deux visiteurs sont parentés. Il s’agit d’Aké Maximilien, un jeune Ebrié, résidant à Bingerville, accompagné de sa grande sœur, qui se distingue par les verres pharmaceutiques qu’elle porte. C’est elle qui donne la raison de leur présence. « Mon petit frère a perdu son épouse. Nous sommes venus pour le rituel de purification », dit -elle pour planter le décor. Elle ajoute qu’elle a recouru aux services du jeune exorciste. Car, le père de ce dernier a fait le même rituel pour un de ses beaux-frères, qui a perdu son épouse. Le cours normal de la vie de celui-ci a repris au bout de quelques semaines, selon les explications avancées par l’aînée de Maximilien. Alors qu’avant la cérémonie de purification, il était en proie à des cauchemars au cours desquels il se voyait en train de vivre avec sa défunte femme. « Au bout de quelques semaines, il a repris sa vie habituelle. Il s’est même remarié et a eu un enfant. J’étais étonné de voir le changement qui s’est opéré dans sa vie… », affirme cette dernière. Ce sont là, des propos qui attestent de l’efficacité du traitement du vieux Boka. Par ailleurs, elle relève que la défunte compagne de son frère Maximilien, est apparue quelques fois en rêve à son cadet et qu’ils ont couché ensemble. Tout ce temps, le veuf Maximilien écoute sa sœur sans broncher. Il reste très calme. Le jeune exorciste rassure pour dire que c’est un petit problème. Qui va trouver une solution suite à la cérémonie de purification. Il s’apprête alors à vérifier la liste des objets exigés pour le rituel, quand Akoué Félicité, qui venait de finir son bain, entre. Elle a le corps recouvert du mélange des journaux malaxés. En plus, elle a changé de vêtements. La tenue noire a été remplacée par un pagne attaché au niveau de la poitrine. Sur instruction de Boka Kocola, elle abaisse son pagne jusqu’à la hanche pour lui permettre de nouer la corde. Après quoi, il lui donne les mêmes directives qu’il a données à la première veuve venue se laver. Sur ce, elle sort et Boka Kocola se tourne à nouveau vers Maximilien et son aînée. Il récupère le sachet contenant les objets.
Des vêtements pour les nécessiteux
Au moment où il sort pour aller remettre les journaux à réduire en pâte, nous avons voulu en savoir plus sur ce qu’il advient des vêtements que portent ses patients en arrivant et qu’ils abandonnent sur place, une fois les soins reçus A cette préoccupation, il donnera la réponse suivante « Toutes les personnes qui viennent pour la purification laissent leurs vêtements sur place. Ceci permet de rejeter les malheurs liés au veuvage ». En parlant, il montre la corde sur laquelle ces vêtements sont posés. Elle est à proximité de la douche. On peut y voir de loin les vêtements d’Akoué Félicité, de même que ceux de celle qui est passée avant elle. Ces tenues vestimentaires seront remises aux nécessiteux et autres indigents du village. Sur ce, il va à la véranda et demande à nouveau à sa marâtre de préparer une pâte de journaux pour Maximilien. Elle refuse en expliquant qu’elle est fatiguée. C’est alors qu’il sollicite sa grand-mère maternelle, qui se nomme Anin. La dame, qui a l’apparence pourrait avoir environ 80 ans, accepte et prend en même temps la place de Seka Sopie Thérèse. La grande sœur de Maximilien, venue s’enquérir des nouvelles, estime que le rythme auquel Anin produit la pâte des journaux, est un peu lent. Elle s’inquiète du retard que cela pourrait causer à son frère. Qui est censé retourner à Bingerville où il réside. Mais Boka Kocola la tranquillise en soutenant que son frère ne rentrera pas tardivement chez lui. Elle quitte le guérisseur et retourne retrouver Maximilien. Celui-ci est toujours tranquillement assis. Il essaie tant bien que mal de cacher la douleur qui l’étreint. Mais on sent de par la mine qu’il affiche qu’il a encore mal. Surtout qu’il doit prendre soin des deux filles que son épouse lui a laissées. A un moment donné, il prend les écouteurs de son téléphone mobile et les branche. Probablement pour écouter la musique. Parallèlement, sa sœur a sorti du pain de son sac pour le grignoter. Bien que moins rapide que dame Seka Sopie Thérèse, Anin a réussi tout de même à malaxer les journaux en un temps plus ou moins acceptable. Elle remet alors le résultat de son travail à son petit-fils. Qui, dès réception poursuit le processus du rituel au pas de course pour éviter à Maximilien de rentrer tard à son domicile. Après avoir fait le mélange des produits dans le seau et secoué le petit carion, il invite le patient à aller se laver. Ce dernier retire rapidement les écouteurs, dépose son téléphone portable, se saisit d’un pagne qu’il avait emmené depuis la maison. Il prend le seau et suit Boka Kocola en direction de la douche. Au bout de quelques minutes, il revient tout le corps enduit de la pâte provenant du mélange des produits. Il a pour tout vêtement un pagne noué à la hanche. Il décide de rester hors de la maison pour vite sécher. Ce fut une bonne idée puisqu’au bout de quelques minutes, les résidus de la pâte ont séché. Aussitôt, il entre dans la maison où l’attend déjà l’exorciste. Il commence par lui passer autour de la hanche la corde enduit auparavant du mélange des différents produits plongés dans l’eau. Le reste du temps, Boka Kocola le consacre à donner toutes les informations concernant ce qu’il doit faire chez lui en vue de poursuivre le traitement. « Pour ce qui est du mélange qu’on met dans l’eau pour se frotter tout le corps, vous pouvez le faire le soir après le service », explique –t-il. La sœur de Maximilien lui demande de bien retenir les consignes et demande un sachet afin de prendre un peu de pâte pour aller se laver chez elle à Agboville où elle vit. Et cela au vu de ce qu’elle a remarqué le vieux Boka faire au cours de la cérémonie de purification de son beau-frère. Propos confirmés par son fils Kocola. Qui précise que ce n’est tout de même pas obligatoire. Après quoi, vient le moment des échanges de contacts. « N’hésitez pas à m’appeler si vous avez un souci. Mon téléphone est ouvert à tout moment », dira Boka Kocola. Après quoi Maximilien part s’habiller au pas de course. Il porte un tricot orange blanc et un blue jean noir. Il récupère le sachet contenant ses effets, rejoint sa grande sœur. Ils disent au revoir au jeune exorciste et prennent congé de lui.
La combinaison parfaite pour se requinquer et être bien inspiré
Extenué par le travail qu’il a fourni pour servir ces trois patients, Boka Kocola, qui transpire à grosses gouttes, part se requinquer dans le bistrot que tient sa nièce. Il commande une tournée de Pastis 45, qu’il avale d’un seul trait. Il allume par la suite une cigarette et cause avec les clients trouvés sur place. Il doit avoir une familiarité entre lui et ces personnes au vu des échanges qu’ils ont. Il commande au bout de quelques minutes une autre tournée de la même liqueur, alors qu’il n’a pas fini la cigarette. Cette fois, il avale la boisson en deux gorgées. Tout d’un coup, Boka entend sa belle-sœur qui l’appelle pour lui signifier qu’il y a une patiente. Du coup, il tire deux fois sur la cigarette et cherche à jeter le reste quand un de ses interlocuteurs lui demande de le lui remettre. Il donne une suite favorable à sa requête et va à la rencontre de sa visiteuse. Il la trouve assise sur un des bancs placés sur la terrasse, avec un visage d’enterrement. De teint noir, forte corpulence avec une forte poitrine, la patiente répond au nom de Yavo Marthe. Elle est vêtue d’un corsage vert, a attaché un pagne de même tissu à partir de la hanche et a mis aux pieds une chaussure en cuir de fabrication locale. Originaire de Grand-Morié, un village d’Agboville, elle est ménagère résidant au quartier Derrière Wharf dans la commune de Port-Bouet avec son mari. Qui a malheureusement rendu l’âme au village, une semaine avant la fête de Noël 2020. La patiente, la voix étreinte par l’émotion avoue qu’elle a finalement décidé de recourir aux services de Boka Kocola. Au motif qu’une dame qui devait lui faire un rituel semblable, a imposé trop d’interdits. Ce qui n’est pas le cas avec le jeune exorciste. Ce dernier lui précise qu’il n’y a pas d’interdits concernant son traitement. Elle doit juste suivre à la lettre les instructions qu’il a données aux précédents patients, et qu’il s’est fait fort de lui répéter. Rien de plus. « Si tu suis bien les indications que je t’ai données, tu pourras vivre avec un homme et avoir une vie normale de couple au bout de 2 ou 3 mois si tu le désires », précise-t-il. Malgré ces paroles rassurantes, la ménagère reste de marbre. Après l’entretien, il demande les objets exigés pour la cérémonie de purification. Il se rend compte en fouillant le sachet bleu dans lequel elle les a mis, qu’il manque le parfum. Il appelle sur le champ sa belle-sœur, qui est occupée à faire la cuisine et qui avait les oreilles tendues, espérant qu’on lui fasse signe pour l’achat d’u des produits qu’elle revend. Apo Adélaïde ne se fait pas prier. Elle va d’un pas pressé vers sa bassine, prend une bouteille de parfum et la rapporte à son beau-frère. Sans oublier de mentionner le prix. A son tour, il la remet à dame Yavo Marthe. Cette dernière sort un billet de 1 000 Fcfa de son sac à main et le donne, étant donné que c’est le prix qui a été fixé. Boka Kocola fait à nouveau appel à sa nièce pour écraser les journaux. Car la veuve demande qu’on le fasse à sa place. En l’espace de quelques minutes, Marie-Josée N’Zi appelle son oncle pour lui remettre les deux tas obtenus. Elle regagne aussitôt son bistrot. En possession de tous les objets, Boka Kocola peut alors commencer son travail. Quand il a fini le mélange et ce qu’il avait à faire dans la maison, il sort et appelle la veuve. Elle qui semblait plonger dans ses pensées, se lève, prend le seau de ses mains, puis se dirige vers la douche, que celui-ci lui a indiqué. En moins de 10 minutes, elle ressort le corps recouvert d’une des pâtes résultant du mélange des produits. L’expression de sa face a quelque peu changé après le bain. Elle qui était un peu triste et tendue jusque-là, est revenue avec un visage un peu plus détendu. « Je te remercie. Je suis contente d’être venue faire ce rituel chez toi. Je suivrai dans les moindres détails les consignes que tu m’as données », dit la veuve au jeune exorciste. Au moment de la séparation, il remet son contact téléphonique à sa patiente en lui disant qu’elle peut l’appeler à tout moment si elle se trouve confrontée à une préoccupation concernant les consignes liées au traitement. Elle hoche la tête du haut vers le bas en signe d’acquiescement. Et quitte les lieux après avoir accroché à l’épaule gauche son sac à main, pris dans la main gauche le sachet dans lequel elle a mis les différentes pâtes ainsi que le reste des autres objets qu’elle doit utiliser chez elle pour la suite du traitement et dans l’autre main son téléphone mobile à l’aide duquel elle a enregistré le contact du jeune guérisseur. Boka Kocola peut alors s’offrir un repos bien mérité. Il prend ainsi une natte pour s’étendre à l’ombre de la véranda.
Junior Jeremy
Publié le :
1 septembre 2021Par:
Croyons en nous même