publicité

Societe

Reportage. Côte d’Ivoire. Croyances. Boka Kocola, l’exorciste qui délivre les veufs et veuves (1/2)

Publié le :

Boka Kocola dans son sanctuaire

Selon les us et coutumes de certaines communautés ou groupes ethniques vivant en Côte d’Ivoire, un homme qui perd son épouse ou vice versa doit suivre un rituel de purification. Pour éloigner définitivement de lui l’âme du disparu. Si cela n’est pas fait, alors celle-ci cherchera coûte que coûte à envoûter celle de son ancien conjoint. Toute chose qui peut s’avérer dramatique pour ce dernier. En ce sens qu’il peut aussi mourir. La pratique de cette cérémonie de purification n’est pas l’affaire de tous. Elle est réservée à une catégorie de personnes. Qui généralement sont dotées d’un pouvoir surnaturel. Nous sommes allés à la rencontre d’un de ces exorcistes, répondant au nom de Boka Kocola. Il réside à Moutcho, une bourgade située non loin d’Agboville, le chef-lieu de la région de l’Agneby-Tiassa.

Il est 8 heures ce dimanche 11 avril 2021, quand nous quittons le rond-point d’Agboville, le chef-lieu de la région de l’Agneby-Tiassa, à bord d’un taxi communal en direction de Moutcho, un village distant de 5,4 Kms. Au bout de quelques minutes de voyage, nous y arrivons. Bien qu’étant localisé chez les Abbey, Moutcho est un nom d’origine Akyé signifiant ‘’D’où venez-vous ?’’. C’est dans ce village aux allures modernes que vit le dénommé Boka Kocola, réputé dans la région comme un talentueux exorciste. Qui à travers un rituel, qu’il a hérité de son défunt père, permet aux veuves et veufs de se mettre à l’abri d’éventuels envoûtements. Renseignements pris après notre arrivée, une jeune dame allant au marché, laisse entendre que la cours du guérisseur se trouve au quartier Centre. Nous nous y rendons

Un drapeau pour contrer toutes velléités d’attaques mystiques

Assis sur un banc en train de causer avec des personnes, qui se trouvent être ses parents, le jeune exorciste qui était informé de notre arrivée se lève pour nous accueillir. Après les salutations d’usage, il lève un coin de voile sur sa vie.

Boka Léon (dit Ekissi Léon)

Benjamin d’une famille de 28 enfants issus de 5 épouses, Boka Kocola est né le 28 décembre 1989 à Agboville. Il a été désigné depuis 2015 par son père Boka Léon (dit Ekissi Léon), de son vivant pour poursuivre l’œuvre s’il venait à mourir. Ainsi, suite au décès de son géniteur en 2019, le jeune Boka Kocola abandonné les études pour se consacrer exclusivement à cette activité. Appelé affectueusement Bokolo, il vit avec certains de ses parents dans la cour familiale. Au nombre de ceux-ci sa génitrice, sa grand-mère maternelle, la dernière de ses marâtres (les autres étant décédées), l’une de ses belles sœurs, une de ses nièces et certains de ses neveux. Il y a un mat, surplombé du drapeau national, qui a été planté à quelques pas de la maison où le père recevait ses patients. « C’est mon père qui a installé ce mat. Il était en bois au départ, mais au bout de plusieurs années, il a commencé à vieillir et nous l’avons remplacé par un mat en fer. Mon père a expliqué que ce mat permet de faire barrage à d’éventuelles attaques mystiques perpétrées contre les membres de la famille », révèle le jeune exorciste. Au pied du mat, sont entreposées des pierres sur lesquelles des morceaux de bols sont placés en cas de pluie. Lesquels bols servent à recueillir de l’eau, qualifiée d’eau ‘’bénite’’ par Boka Kocola. En ce sens qu’elle vient directement du ciel sans passer sur le toit d’une maison. Cette eau est utilisée dans la préparation du mélange devant servir au rituel. A une dizaine de mètres du mat, se trouve la douche dans laquelle se lavent les veuves ou veufs, qui viennent consulter le jeune guérisseur.


Pour la cérémonie de purification


En attendant de recevoir des patients, l’exorciste, au teint noir et de petite taille, vêtu d’un tricot orange bleu et un pantalon gris, donne des explications concernant le rituel de purification. Celui-ci requiert la fourniture préalable de certains objets. Notamment, des journaux, un paquet de bougies, une boite de talc, une bouteille de parfum. Les frais de consultation s’élèvent à 5 000 Fcfa. Auxquels il faut ajouter 1 000 Fcfa devant servir à l’achat d’une amulette que Boka Kocola noue autour de la taille des personnes qui vont se purifier. A cette somme, le patient doit encore ajouter 1 000 autres Fcfa, qui vont revenir à la personne qui va malaxer les journaux trempés. Si d’aventure le patient ou l’une des personnes qui l’accompagnent refusent de le faire.

Pendant que nous recevions ces différentes explications comme une véritable entrée en matière, arrive justement un homme de teint clair, suivi de trois femmes. L’une d’entre elles éprouve des difficultés à marcher. Après les salutations d’usage, l’homme, qui à l’apparence pourrait avoir plus de 60 ans, explique en langue Akyé (que Boka Kocola comprend) qu’il s’appelle Adou Adja. Il est fonctionnaire à la retraite et vit à Grand-Akoudzin (un village de la sous-préfecture d’Agou département d’Adzopé). Il poursuit en disant être venu avec de deux de ses sœurs cadettes, accompagner leur sœur ainée Angbo Kousso, pour le rituel de purification. Pour la montrer, il désigne celle qui a du mal à marcher. Ce rituel selon les explications de l’ancien fonctionnaire obéit à une tradition des Akyés d’Adzopé. Qui recommande vivement qu’une femme qui perd son époux ou le cas inverse, suive le rituel de purification. Le mari de dame Angbo Kousso, inhumé le samedi 10 avril 2021 à Grand-Akoudzin, est décédé deux semaines plus tôt. Etant situé sur le cas auquel il avait affaire, Boka Kocola donne une suite favorable à la demande d’Adou Adja. Pour détendre l’atmosphère et préparer psychologiquement la veuve, le jeune exorciste la taquine en lui disant qu’elle ne retournera plus dans son village. Au motif qu’il souhaiterait l’épouser. Il n’en fallait pas plus pour faire rire tout le monde, y compris dame Angbo Kousso, qui a esquissé un petit sourire, en dépit de la douleur qu’elle ressentait. Cette douleur, selon les explications émanant de son frangin est consécutive à une intervention chirurgicale qu’elle a suivie quelques semaines auparavant. Rapidement, le jeune exorciste invite ses hôtes à s’asseoir sur l’un des bancs réservés aux visiteurs, qui ont été placés à la véranda de l’une des maisons de la famille Boka. Aussitôt, il récupère le seau bleu des mains d’une des sœurs de la veuve. Après avoir vérifié que tous les objets exigés pour la cérémonie étaient au complet, il se rend dans le salon de la maison où son père recevait ceux qui venaient solliciter ses services. Il dépose le contenu sur une table placée au milieu de la pièce. L’aspect du salon de cette demeure a tout l’air d’un sanctuaire.

Boka Kocola le guérisseur


Un véritable syncrétisme religieux

Notre regard dans cette pièce est de prime abord, attiré par la présence des statues de Jésus-Christ, et de la vierge Marie posées sur une table disposée sur le côté gauche de la pièce. Sur la même table, l’on aperçoit également une bible, un paquet de bougies, une clochette, des boites de poudre parfumée, une bouteille de parfum. Une croix de Jésus-Christ fixée sur un clou pointé au mur, est placée au-dessus de la table. Au milieu de la pièce est disposée une table de forme circulaire. Elle est recouverte de petites castagnettes, de cordes (celles que le jeune exorciste noue à la taille de ses patients), une croix. En dessous de la table, se trouve une pile de vieux journaux entreposés dans des cartons. Le flanc gauche de la pièce est occupé par un long buffet en bois sur lequel sont posées plusieurs bouteilles de récupération, contenant l’eau bénite. A l’opposé du côté mentionné précédemment se trouve des fauteuils, au-dessus desquels sont placés des portraits. Notamment un magnifique portrait géant en couleur du regretté père du jeune exorciste. En l’occurrence Boa Léon, plus connu sous le nom de Ekissi Léon. Il est né en 1940 et s’est éteint en 2019 selon une mention inscrite sur sa photographie. Juste en dessous, se trouve une photo qui non seulement est d’une taille plus petite, mais est également en blanc et noir. Il s’agit de la photo de feu Angui, un natif de Grand-Akoudzin. C’est ce dernier qui, nanti d’un pouvoir surnaturel, a installé Boka père, dans son œuvre d’exorciste, d’après les explications de Bokolo.

Après avoir déposé le contenu du seau sur la table, Boka Kocola le prend et va puiser de l’eau dans un puits situé non loin de la douche. Il revient et y ajoute en premier un lot de journaux. Puis une petite quantité d’eau bénite, de la poudre. Il mélange tout le contenu. Il y plonge par la suite la corde qu’il doit nouer à la taille de dame Angbo Kousso après son bain, la ressort et la pose sur la table circulaire. Ensuite, il retourne avec le seau à la véranda et appelle immédiatement Marie-Josée N’Zi, sa nièce, qui tient un petit bistrot dans l’arrière cours, pour qu’elle vienne réduire en pâte, les journaux contenus dans le seau. Celle-ci s’excuse auprès de ses clients et vient précipitamment récupérer le seau d’eau que lui tend son oncle. La jeune fille, de teint noir, de taille moyenne, est en joie car elle sait qu’elle va recevoir 1 000 Fcfa en contre partie du service qu’elle va rendre. Vêtue d’une robe fleurie de couleur rouge-bleue qui lui arrive aux genoux, elle va à la hâte prendre un pagne de couleur orange noir, pour se couvrir le reste des jambes. Après quoi, elle soulève une grosse pierre et une plus petite, faite de la même matière, pose la plus grosse sur un chiffon qu’elle a pris le soin d’étaler à un endroit de la véranda. Avec dextérité, elle réduit en pâte, les journaux. Qu’elle aura préalablement malaxés dans ses mains. Elle fait dans un premier temps une pâte à laquelle elle n’ajoute pas de parfum. Puis une autre qui en contient. Adou Adja et ses sœurs la regardent attentivement travailler en échangeant de temps à autre quelques propos en langue Akyé. En moins d’une dizaine de minutes, Marie-Josée a transformé le lot des journaux en des pâtes pratiquement homogènes, ayant pris une coloration grisâtre. Elle emballe chacune des pâtes dans un sachet noir et plonge une petite quantité de celle contenant le parfum dans le seau. Ayant accomplie sa mission, elle appelle son oncle lui remet le seau d’eau, éponge son visage couvert de sueur et rejoint aussitôt son bistrot pour s’occuper de ses clients.

Le successeur de Boka père reprend le seau et retourne dans la maison. Il s’assoit sur une chaise à proximité de la table sur laquelle sont placés les statues et les autres objets. Il allume une bougie, récupère la clochette et la secoue trois fois. Geste par lequel il invoque l’esprit de son défunt père. Pour conduire la cérémonie de purification. Afin qu’elle se déroule dans de bonnes conditions. Après le retentissement de la clochette, le jeune exorciste reste silencieux. Comme s’il entrait en contact avec l’esprit de son géniteur. Au bout de quelques secondes, Bokolo se lève, prend le seau et ressort de la pièce. Il demande alors à la veuve d’aller prendre son bain. En lui indiquant la douche. Elle se lève avec précaution aidée d’une de ses cadettes, qui va prendre le seau pour l’accompagner. Au terme d’une dizaine de minutes, la veuve revient toujours accompagnée de sa sœur. Mais cette fois différemment habillée. Pour ainsi se conformer aux exigences du rituel, qui fait obligation aux patients de laisser sur place tous les vêtements qu’ils ont portés quand ils sont arrivés. L’aînée d’Adou Adja a ainsi laissé sur une corde à linge, les vêtements qu’elle portait, pour se vêtir d’un corsage de couleur rouge bleu, ainsi qu’un pagne du même motif autour de la taille. Le foulard, qui a également été abandonné, laisse apparaitre une tête complétement rasée, recouverte de la pâte résultant des différents produits ayant servi au mélange. Du fait de son état de santé fragile, Boka Kocola décide d’achever la cérémonie de purification sous la véranda. Alors qu’habituellement, elle se fait dans le salon de la maison où se trouvent les statues et les autres objets sacrés. Il commence par demander à la veuve de relever légèrement son corsage, et lui passe la corde autour de la taille. Puis se tournant vers Adou Adja, qui avait tout l’air d’être le plus instruit du groupe, le jeune exorciste lui tend des feuilles fraiches de plante appelées « gnon gnon » en langue Abbey, qu’il a pris soin de déterrer à quelques pas du bistrot de sa nièce Marie-Josée, au moment où cette dernière écrasait les produits, et lui dit : « le premier acte que votre sœur doit poser en arrivant chez elle, est de mélanger une partie de la pâte contenant le parfum dans de l’eau et asperger des gouttes dans toutes les pièces de la maison qu’elle habite, à commencer par la chambre conjugale. Ce geste permettra de chasser définitivement l’âme de son défunt mari de là ». Hormis ce qui précède, Angbo Kousso selon les instructions de Bokolo doit allumer une bougie chaque nuit au moment de s’endormir. Il restitue aussitôt le paquet de bougies à celle qui a accompagné la veuve pour prendre son bain. Il retourne aussi les restes du parfum et de la poudre, en recommandant qu’elle se parfume tout le corps après chaque bain. Pour ce qui est de la poudre, elle doit en mettre sous ses aisselles, puis à la base du cou en passant par le nombril jusqu’à la hanche, à la hauteur de la corde qu’y a été attachée. Pour ce qui est de la pâte mélangée avec le parfum, elle doit l’enduire d’un peu d’eau et se frotter tout le corps de la tête aux pieds. Et ce, après avoir pris son bain au savon et s’être essuyée. L’autre pâte sert à deux actes. L’un consiste à boire un verre d’eau contenant une pincée du produit auquel on ajoute un demi-morceau de sucre. L’autre est relatif au lavement que la veuve peut faire si elle le désire. Dans ce cas, elle doit prendre également une pincée qu’elle dilue dans l’eau tiède. Jusque-là, ses interlocuteurs l’écoutaient religieusement. Parlant de la corde nouée à la taille de la veuve, le jeune guérisseur a laissé entendre que si elle se coupe, elle doit la jeter immédiatement sans chercher à la rattacher. Il révèle par la suite qu’il peut arriver qu’elle disparaisse mystérieusement. A entendre cela, Adou Adja écarquille aussitôt les yeux et l’interroge en ces termes : « Il peut arriver que la corde disparaisse ? Comment cela peut-il s’expliquer ? ».


A cette préoccupation le jeune exorciste répondra sans utiliser la langue de bois : « si la corde disparait c’est que son travail est fini et qu’elle ne sert plus à rien. C’est inutile de la chercher car vous aurez beau la chercher, vous ne la trouverez plus ». Ayant ainsi fini de donner les dernières directives, il remet son contact téléphonique, noté sur un bout de feuille, au petit frère de la veuve. Pour l’appeler pour d’éventuels points d’éclaircissements, si cela s’avère nécessaire. Alors que la sœur d’Adou Adja, qui avait accompagné leur aînée à la douche sort son porte-monnaie pour remettre les 7 000 Fcfa (un billet de 5 000 et un autre de 2 000 Fcfa) pour les prestations, elle demande à Bokolo s’il ne va pas faire une prière comme le faisait son géniteur de son vivant. Pour toute réponse il dira : « Je n’ai pas encore les pleins pouvoirs pour faire le travail que mon père m’a légué. Je ne sais pas quand cela interviendra. Par contre je sais que quand le moment viendra, l’esprit de mon père passera par une tierce personne ou même deux, pour venir me l’annoncer, comme ce fut le cas avec le dénommé Angui natif de Grand Akoudzin. A travers lequel l’Esprit de Dieu est passé pour installer mon père dans son travail de purificateur de veuves et de veufs ». Il ajoute que des photographies des deux hommes sont placardées sur un des murs dans la maison qui abrite les objets sacrés. Sur le champ le petit frère de la veuve manifeste l’envie d’aller faire des photos des deux disparus.

Au moment où il se lève du banc sur lequel il était assis pour y aller, sa sœur annonce au jeune guérisseur que le dernier fils d’Angui, qui se nomme Angui Meyet, est décédé. Et qu’il a été conduit à sa dernière demeure le samedi 10 avril 2021. Après quoi, Adou Adja suit Boka Kocola dans la maison pour les photos. Il en ressort le sourire aux lèvres. En montrant les photos qu’il a tirées à ses sœurs. Elles les commentent en langue Akyé et la plus jeune d’entre elles, prend le sac de leur sœur ainée. L’exorciseur les raccompagne à côté du véhicule de type tout terrain de couleur blanche, avec lequel ils sont venus. La plus jeune aide une fois de plus son ainée à prendre place dans l’automobile. Ils montent tous à bord et quittent les lieux. En passant devant le bistrot, Boka appelle sa nièce, lui remet un billet de 2 000 Fcfa. Elle fait aussitôt la monnaie et lui remet 1 000 Fcfa.

(A suivre)

Jérémy Junior




publicité

FIL INFO

3 mai 2025

Meurtre dans une mosquée du Gard : L’avocat de la famille les invite à ne « jamais » rencontrer Retailleau

3 mai 2025

Andry Rajoelina s’adressera à la Nation ce dimanche : Une allocution très attendue dans un climat politique sous tension

3 mai 2025

Samedi 3 MAI 2025 : Journée Mondiale de la liberté de la presse

3 mai 2025

Guerre de l’Est : Félix Tshisekedi appelle au redressement des finances publiques

3 mai 2025

Les États-Unis se mettent à taxer aussi les plus petits colis de Chine



Fanico

Bamba Alex Souleymane 2 mars 2025
Foncier urbain : Bruno Koné dérange les intérêts mesquins de bandits à col blanc et des parrains de la pègre
Mandiaye Gaye 4 février 2025
Mais qui a peur d’une enquête sérieuse et indépendante sur les évènements de 2021 à 2023 ?
Fier 19 décembre 2024
RTI : le DG intérimaire en situation de conflit d'intérêts ?
Jessica Diomande 29 novembre 2024
Pourquoi Kamala Harris n’a pas réussi à convaincre l’Amérique


Annonces
publicité