Depuis les années 1990, la classe politique ivoirienne peine à construire une société fondée sur l’égalité, la liberté, la démocratie, le vivre-ensemble et une identité nationale réellement partagée.
Le constat le plus implacable aujourd’hui demeure l’instauration regressive d’un ordre social fragmenté, entretenu politiquement, où dominent la stigmatisation, la violence et la balkanisation du lien national. Regardons ces trois vignettes de plus près:
Le repli identitaire : une anthropologie politique façonnée par les acteurs
Le multipartisme a, certes, fait émerger une pluralité de voix et d’opinions. Mais il a surtout renforcé des dynamiques ethniques et régionalistes instrumentalisées par les acteurs politiques.
Face à l’hégémonie du parti unique d’hier et au poids symbolique du Président Félix Houphouët-Boigny, les leaders de l’après-Houphouët ont puisé dans l’ethnicité, parfois dans la religion comme ressource de mobilisation.
Manœuvres de stigmatisation, stratégies de victimisation, recours à l’instrumentalisation juridique : toutes les voies ont été empruntées pour ancrer ou défendre des bases communautaires. Cette ethnicisation ne touche pas seulement les masses, elle structure même les logiques internes des partis politiques, les modalités tacites de promotion, de désignation, voire de légitimité.
Le délit de patronyme :quand l’identité individuelle devient destinée politique
À force de régionalisme assumé et de discours clivants, la société ivoirienne a été caricaturée au point où un nom de famille suffit à vous assigner une identité politique, religieuse et géographique.
Être du Nord, c’est être perçu d’emblée comme RHDP, "Dioula", musulman.
Être du Centre, c’est être soupçonné de PDCI, Baoulé, Akan, chrétien.
Être de l’Ouest, c’est être classé PPACI, Bété, chrétien.
Dans ce système de cases préfabriquées, la prise de parole publique perd son objectivité ou neutralité. Elle est évaluée non pas sur le fond mais selon le patronyme de celui qui s’exprime et la figure politique évoquée. Les noms qui échappent à cette censure prédédinie sont uniquement ceux qui servent les intérêts du moment au sein des chapelles.
Cette assignation identitaire confisque le débat d’idées, réduit l’individu à une catégorie ethno-politique et alimente une confrontation et frustration permanente.
Une gouvernance par la peur : la violence comme outil politique
L’arène politique ivoirienne demeure traversée par une adversité brutale, nourrie par diverses formes de violence :
Miliciarisation de l’engagement politique,
Usage de la violence d'Etat
Violence symbolique relayée par les cyberactivistes et certaines figures religieuses.
Les événements de 1999, 2002, 2011, 2020 et même 2025 témoignent de cette tradition tragique où violence et pouvoir avancent intimement ensemble.
À cela s’ajoutent les réseaux sociaux, devenus arène privilégiée de cyberactivistes, "snipers" numériques et officines de discours incendiaires. En parallèle, certains activistes religieux multiplient prophéties alarmistes et récits apocalyptiques, renforçant la psychose collective en période électorale.
A la lumière de ces trois dynamiques ( repli identitaire, délit de patronyme et gouvernance par la peur) la question fondamentale est de savoir :
Pourquoi imposer un tel destin à un peuple qui ne tire aucun bénéfice de ces luttes égoïstes, menées par une élite souvent déconnectée des réalités sociales profondes ?
Qui prendra la responsabilité de :
Réhabiliter la mémoire collective du vivre-ensemble,
Revitaliser la mixité sociale,
Désintoxiquer l’espace politique des manipulations identitaires, et
Reconstruire une identité nationale forte, inclusive et résiliente ?
La Côte d’Ivoire ne pourra se projeter sereinement dans l’avenir que si elle parvient à se libérer de ces héritages toxiques et à repenser son modèle social et politique autour du citoyen et non du patronyme, de la région ou du clan.
Fona Konaté






