Au sein de plusieurs universités privées ou semi-publiques d’Abidjan, l’apparence semble compter presque autant que les notes. Du fond de teint au gloss soigneusement appliqué, le maquillage est devenu pour certaines étudiantes, une véritable "obligation sociale". Dans d’autres établissements plus sobres, on préfère au contraire la discrétion et le naturel. Entre influence, rivalités et quête d’appartenance, le campus devient parfois le théâtre d’une pression silencieuse. Sur certains campus abidjanais, le mascara vaut presque autant qu’une moyenne de 15.
Il est 5 h 30 à Cocody Angré. Dans sa chambre encore silencieuse, Fifamin Gadji (nom d’emprunt) se prépare pour aller en cours. Après la douche, elle s’installe devant son miroir. Fond de teint, sourcils tracés, un peu de blush, un gloss discret. Le résultat est impeccable. À 6 h 35, elle est prête à affronter la journée. « Chez nous, si tu n’es pas apprêtée, on te regarde de travers », lance-t-elle dans un sourire.
Âgée de 19 ans, cette étudiante béninoise suit un cursus en marketing dans une université privée moderne de Cocody. Elle se souvient de ses débuts. « Quand je suis arrivée, je ne me maquillais pas trop, juste un peu de gloss. Mais là-bas, les filles se pomponnent beaucoup, elles sont toujours sur leur 31. C’est une école de boss oo ! ». Peu à peu, elle a compris que le maquillage n’était pas qu’un choix personnel. « Si tu n’es pas apprêtée, on te met limite à l’écart ».
Elle se rappelle encore de sa réinscription en licence 2 : « Ma sœur m’avait accompagnée. Elle était juste bien habillée, mais sans maquillage. Quand nous so arrivées à l’administration, les demoiselles de l’accueil ne l’ont même pas calculée. Elles m’ont reçue directement. J’ai compris ce jour-là que là-bas, le look compte autant que les notes ». Les premières semaines ont été rudes. « On se moquait de moi, on disait que j’étais “simple”, que je ne faisais pas d’effort. Mais maintenant, je me suis adaptée. »
«Je viens pour apprendre, pas pour me saper »
Dans la même université, Bakayoko Fousseni 24 ans, étudiant en comptabilité, vit une autre forme de pression. Ici, les garçons ne se maquillent pas, mais la rivalité s’exprime autrement, par les vêtements. « Comme nous avons un uniforme, la différence se fait sur les chaussures de marque, les montres, les pulls… », raconte-t-il. Lui, garde ses distances. « Moi, je vais à l’école pour apprendre, pas pour me saper. En tout cas, les gens se sapent, mais moi je ne les vois pas. Je viens, je suis mes cours, et je repars ».
Dans les universités publiques ou semi-publiques, la réalité est tout autre. Ici, pas de compétition d’apparence ni de codes tacites de beauté. Marie Esther Kouassi 22 ans, étudiante en journalisme, revendique un rapport plus simple à son image. « J’aime beaucoup le maquillage et je sais me maquiller, mais je ne trouve pas cela nécessaire pour venir à l’école », confie-t-elle. Le matin, elle préfère réviser ou dormir un peu plus, plutôt que de se lever à l’aube, pour se préparer. « En plus, il fait chaud, et quand tu es maquillée, il faut faire attention à ne pas transpirer. Pour moi, c’est beaucoup d’efforts pour rien ».
Dans son école semi-publique, la plupart des filles partagent ce point de vue : « les gens se concentrent plus sur les cours que sur les apparences », dit-elle. Un avis que partage Olvene Ehoussou, 22 ans, étudiante en journalisme également. « Si j’étais dans une université où toutes les filles se maquillaient, je n’allais pas le faire. Ce serait du suivisme. Moi, je ne vais pas changer mes principes justes pour plaire. Je suis déjà belle sans maquillage ».
Le maquillage, une marque d’intégration
Pour le psychologue clinicien Kouadio Emissati Jean David Kouassi, cette pression à l’uniformité s’explique par la logique de groupe. Chaque groupe, explique-t-il, crée ses propres règles pour assurer sa cohésion. Dans ce contexte, « le maquillage devient une marque d’intégration, un signe d’appartenance ». Ne pas s’y conformer revient à refuser d’adhérer à l’idéologie du groupe, ce qui entraîne souvent moqueries ou mise à l’écart. Le spécialiste estime que cette norme détourne l’université de sa mission première. « L’instauration de cette règle du maquillage pour être acceptée crée un fonctionnement de type sectaire », affirme-t-il, avant d’ajouter que cette pression psychologique peut peser lourd sur les étudiantes. Selon lui, « le lien social devrait tenir compte de nos différences. Sans cela, il n’unit pas, il aliène ».
Des règles d’élégance, mais jusqu’où ?
Dans certaines universités d’Abidjan, le règlement intérieur fixe pourtant des codes vestimentaires clairs : port obligatoire de la veste, cravate bien nouée, coiffure soignée… Dans d’autres, on reste plus souple, tout en encourageant les étudiants à se présenter avec tenue et décence.
Mais cette quête de la « bonne présentation » est-elle à l’origine de ces tensions ou de ces exclusions silencieuses ? Serait-ce l’influence des réseaux sociaux, où tout le monde veut être à la pointe de la mode ? Ou encore, le problème serait-il plus profond que cela ? Entre liberté d’expression et respect des normes, la frontière reste encore floue sur les campus abidjanais.
Claude Eboulé






