Zohran Mamdani a décroché hier soir la Mairie de New York, devançant nettement un autre démocrate et ponte du parti, Andrew Cuomo. Zohran Mamdani arrive avec une série de promesses pour rendre la ville de New York "plus abordable" à ses 8,5 millions d’habitants. Mais les mettre en œuvre sera coûteux et pavé d’embûches.
Jeune, outsider, musulman né de famille indienne en Ouganda et socialiste. Zohran Mamdani est célébré par ses partisans comme un anti-Trump, un antidote au Président américain, un démocrate ambitieux qui redonnera du souffle à son parti et qui changera New York.
Mais quelle part de son ambition est réalisable ?
Zohran Mamdani a visé grand. Il a fait campagne en promettant une ville plus abordable. Il annonce des logements plus accessibles, par un gel des loyers des appartements "pour plus de deux millions de locataires". Il promet la gratuité des bus et celle de l’accueil des enfants en dessous de 5 ans. Ainsi que la création de cinq épiceries municipales, pour baisser le coût de l’alimentation.
Pour financer l’accueil gratuit des petits New-Yorkais, il faudrait, selon l’estimation publiée par le New York Times, entre 5 et 8 milliards de dollars. C’est significatif par rapport au budget annuel de la ville, de 115,9 milliards de dollars. Et pour payer la gratuité des bus, il faudrait quelque 700 millions de dollars annuels supplémentaires.
Comment financer ça ? En revoyant la fiscalité, avance le nouvel élu, en levant de nouvelles taxes ou en alourdissant certaines taxes existantes. Seraient taxés davantage les entreprises, les promoteurs immobiliers, les propriétaires, les Newyorkais aux plus gros revenus. "Nous demanderons des comptes aux mauvais propriétaires, car les 'Donald Trump' de notre ville ont pris l’habitude de profiter de leurs locataires. Nous mettrons fin à la culture de corruption qui a permis à des milliardaires comme Trump d’échapper à l’impôt et de profiter d’allègements fiscaux" déclare Zohran Mamdani dans son discours de victoire. Un programme "communiste", qualifie Donald Trump. "Socialiste" dit le futur Maire de New York, à la gauche du parti démocrate.
Il y aura du monde pour contrecarrer ces plans, et les obstacles budgétaires, institutionnels, politiques s’annoncent nombreux. Est-ce un agenda accessible ? Et si cela s’avère hors d’atteinte, quel sera l’impact pour le parti démocrate ?
New York n’est pas une île
New York compte 8,5 millions d’habitants et la ville jouit d’une grande autonomie. De quoi qualifier la ville parfois d'"état dans l’état". Mais pour trouver le budget nécessaire à financer ce programme, la ville devra s’appuyer sur d’autres niveaux de pouvoir.
Pour modifier certaines taxes, la ville de New York doit avoir l’approbation de l’état de New York et la signature de la Gouverneure, et ce n’est pas acquis. La Gouverneure Kathy Hochul est démocrate, elle aussi, mais elle a déjà promis, dans la course à sa propre réélection en 2026, de ne pas augmenter les taxes.
Et l’état de New York pourrait craindre le déménagement de sociétés, dans le cas d’une hausse locale des taxes sur les entreprises, souligne Romuald Sciora, directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis à l’IRIS.
"S’il s’agit de taxer des entreprises de Wall Street par exemple, le risque est que ces entreprises déménagent, par exemple juste de l’autre côté de l’Hudson River, où c’est déjà le New Jersey et vous êtes en 10 minutes à Manhattan, en train direct. Donc il y a un risque de fuite de ces grandes entreprises, voire de banques."
Quant à miser sur une augmentation de subventions de l’État fédéral, cela semble illusoire. Le fédéral mène, en sens contraire, de vastes coupes budgétaires et la suppression de subventions. Et tant ce programme que ce nouveau Maire alignent tout ce que le Président républicain exècre.
Enfin, même pour les choix budgétaires que la ville peut amorcer seule et qui n’impliqueraient pas de solliciter d’autres niveaux de pouvoir, les décisions n’iront pas forcément de soi, souligne Romuald Sciora. "Il faut garder à l’esprit que le conseil municipal de la ville de New York est fidèle au Maire sortant actuel, Eric Adams, et n’apprécie pas beaucoup Mamdani. Il n’est pas certain que le conseil facilite la tâche au nouveau maire élu."
Des entraves aussi dans son parti et dans sa ville
La résistance anti-Zohran ne s’annonce, en effet, pas cantonnée aux rangs républicains ni aux cénacles politiques. L’adversité qu’il pourrait rencontrer commence dans son propre parti et dans sa propre ville.
Le New York des affaires réservera un accueil pour le moins mitigé à ce programme, prévoit Romuald Sciora. "Nous parlons bien de New York, la capitale économique des États-Unis, la capitale économique de l’Occident, là où est Wall Street. Evidemment qu’il se fait beaucoup d’ennemis sur les places financières."
Et dans le parti démocrate même, ils pourraient être nombreux à entraver ce nouvel agenda politique. C’est tout l’establishment démocrate qui s’est opposé à Zohran Mamdani dans cette élection maïorale et qui a été défait ce 4 novembre, explique Romuald Sciora.
"Ce sont ces personnalités démocrates du centre, Eric Adams, Andrew Cuomo, qui ont été défaites par Mamdani", commente l’analyste politique. "Au sein du Parti démocrate, Mamdani hérisse puisqu’on y voit une nouvelle jeune garde dite de la gauche radicale, prendre la main et ébranler le futur du Parti démocrate qui, depuis des décennies, était entre les mains de l’establishment de centre droit."
Le cas de Chuck Schumer est parlant, ajoute le directeur de l’Observatoire des États-Unis à l’IRIS.
"Chuck Schumer est un ponte des démocrates, c’est l’un des deux sénateurs de l’État de New York et il est le patron des démocrates au Sénat. Il avait, jusqu’il y a quelques jours encore, toujours refusé de prononcer le nom de Mamdani et ne lui a jamais apporté son soutien."
Il y aurait donc quelques peaux de bananes sur le chemin de Zohran Mamdani ? "C’est peu dire, c’est sur des bananiers entiers qu’il pourrait tomber" répond Romuald Sciora.
Un cadeau pour les républicains ? Un danger pour les démocrates ?
Trop radical, Zohran Mamdani ? Trop "musulman", trop "jeune", trop "immigré"? Trop "communiste"? Trop frontal, ou trop gourmand ?
Dans les Etats-Unis de Donald Trump, dans la ville du business et dans un parti démocrate divisé, le futur Maire de New York pourrait être dans l’impossibilité de financer son programme et de remplir ses promesses.
Or un échec pèserait sur son parti. Au point qu’aujourd’hui, ce choix des New-Yorkais est vu par les milieux conservateurs comme un cadeau, relève Romuald Sciora.
"Si on lit attentivement la presse conservatrice aujourd’hui, beaucoup voient dans l’élection de Mamdani une aubaine ! Puisqu’il est jugé excessif par une très grande majorité d’Américains… Des conservateurs pensent que par sa politique, son projet, il ne pourra mener qu’à des excès et à un retour de bâton pour les démocrates. Ils espèrent qu’il perdra tout crédit et que ça amènera, la prochaine fois, à porter un conservateur à la tête de New York et à 'dégoûter les Américains de l’expérience socialiste', pour reprendre leur rhétorique."
Zohran Mamdani incarne un adversaire de taille pour le Donald Trump de ce second mandat présidentiel, un contradicteur au langage implacable, mais que Donald Trump diabolisera aisément… Et pas seulement pour son électorat.
"Mamdani hérisse une majorité d’Américains. Nous sommes dans un pays à majorité conservatrice, la xénophobie est très présente et Mamdani représente, pour une grande majorité, républicains comme démocrates, tout ce qu’ils exècrent, comme 'communiste' ou 'étranger' ou musulman, et donc Trump va s’en servir comme d’un épouvantail", commente Romuald Sciora.
Et pour ces mêmes raisons, derrière l’enthousiasme de dernières heures, certains démocrates voient un danger dans ce choix new-yorkais.
Zohran Mamdani concluait son discours de victoire en lançant à la foule de ses partisans : "Les rêves que nous avons faits ensemble deviennent l’agenda que nous réalisons ensemble ! Cette ville vous appartient !"
Ça s’annonce plus complexe. Les obstacles à abattre seront à la hauteur de ses ambitions.
