J’ai retrouvé dans mon ordinateur des photos que j’avais prises dans la cour de l’Elysée lors d’une visite du Président de la République à son homologue français que j’avais couverte. J’avais surtout fait les photos de mes confrères ivoiriens et français. C’était l’été et il faisait très chaud. Mais nous, les Ivoiriens, étions tous sapés en costumes et cravates, pendant que nos homologues français étaient simplement habillés de chemisettes, pantalons jeans, et certains, de T-shirts. Ils nous regardaient comme si nous venions d’une autre planète. Personne ne nous avait demandé de nous habiller ainsi, mais aucun d’entre nous n’avait songé à s’habiller autrement. Puisque nous allions à l’Elysée, le palais présidentiel français. Surtout que chez nous, il fallait porter le costume et la cravate pour entrer au palais présidentiel. Les tenues traditionnelles sont désormais autorisées mais le costume européen résiste toujours.
Cette histoire m’a rappelé une autre visite, en Chine cette fois-ci. J’étais le responsable de la communication de l’Assemblée nationale au temps du président Emile Brou et je l’avais accompagné, avec une délégation de députés, en visite officielle en Chine. Evidemment nous étions tous les jours en costumes et cravates stricts jusqu’au jour où nous devions aller visiter un parc. C’était aussi l’été, il faisait très chaud, et les Chinois nous avaient demandé de porter des tenues décontractées pour cette visite. Aussi le jour de la visite, je me suis retrouvé au restaurant avec le directeur de cabinet du président de l’Assemblée nationale et nous étions tous les deux dans de belles chemises en pagne. Lorsque le président Brou nous a trouvé habillés ainsi, il a froncé les sourcils et nous a demandés d’aller nous habiller correctement. Nous lui avons expliqué que nos hôtes nous avaient demandés la veille de nous habiller en tenues décontractées, mais il n’a rien voulu savoir. « Nous sommes en visite officielle, nous devons être toujours en costumes. » Et nous avons remis nos costumes et cravates pour aller visiter ce parc où nous fûmes la principale attraction, d’abord à cause de notre couleur de peau, mais sans doute aussi à cause de nos costumes. Il n’y avait que des Africains pour aller en costume et cravate visiter un parc en été.
La dernière histoire s’est passée ici à Abidjan, au ministère des Affaires étrangères. Le Japon devait apporter une aide à Fraternité Matin dont j’étais le directeur général, et cet accord devait être signé au ministère des Affaires étrangères. La veille, j’avais dîné avec l’ambassadeur du Japon et celui de l’Allemagne, M. Grau, qui m’avait dit qu’il ne comprenait pas pourquoi nous ne portons pas nos tenues locales qu’il trouvait si belles. Lui-même était toujours habillé en tenues ivoiriennes. Ceux qui l’ont connu doivent s’en souvenir. J’ai alors promis à l’ambassadeur du Japon d’aller à la cérémonie du lendemain dans une tenue ivoirienne. J’y suis donc allé, habillé d’une très belle chemise portant la griffe de l’un de nos plus grands couturiers. Mais avant le début de la cérémonie, le chef de cabinet du ministre m’a invité dans son bureau et m’a vertement tancé pour n’être pas venu en costume. Et pour me punir, il me fit installer au fond de la salle pour que la caméra ne me voie pas. A la fin de la cérémonie, le ministre me dit qu’il voulait s’entretenir avec moi dans son bureau. Au moment où l’ambassadeur du Japon prenait congé du ministre aux côtés de qui je me tenais, il me dit : « vous avez tenu votre promesse. Elle est très belle, votre chemise. » Et, au ministre qui voulait savoir de quelle promesse il s’agissait, j’expliquai ma conversation de la veille avec l’ambassadeur sur nos tenues que nous ignorions. C’est probablement ce qui me sauva, puisque lorsque l’ambassadeur partit, le ministre me dit que l’entretien qu’il voulait avoir avec moi n’était plus nécessaire.
Ah, l’Africain et le costume ! Lorsqu’il fut colonisé, l’Africain n’eut pas d’autre rêve que de ressembler autant que possible à son colonisateur. Et le raffinement vestimentaire du colon était le costume. Alors l’Africain se mit à porter des costumes. Pour ne plus être traité de sauvage. Il fallait qu’il soit civilisé. Et le summum de la civilisation, c’est de porter des costumes. C’est ainsi qu’un jour j’ai croisé Gadji Celi en costume trois pièces à la plage à Bassam. J’ai personnellement deux costumes trois pièces que je ne porte que dans les grandes occasions. Quand je vais au palais présidentiel par exemple. Que croyez-vous ? Moi aussi je suis civilisé.
Venance Konan