Ouidah, ville côtière du Sud du Bénin. Un monument dont le nom résonne comme une plaie jamais refermée : la Porte du Non-Retour. À quelques centaines de kilomètres de là, à Cotonou, un autre monument: sur l’esplanade de l’Amazone, une immense statue domine la ville.
De notre envoyée spéciale au Bénin
A Ouidah, il est 16 h ce samedi. Le vent marin souffle fort, apportant avec lui un peu de sable. Sur la plage, les touristes s’attroupent, les vendeurs affluent. Et pour cause : la Porte du Non-Retour.
Deux grandes colonnes soutiennent un arc orné de fresques. De part et d’autre de la porte, des statues d’oiseaux, appelés colombes de la paix. Un contraste, car ici, c’est l’histoire de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants arrachés à leur terre.
Les esclaves, enchaînés, transportés par pirogue
« Ici, il n’y avait pas de porte », explique le guide. C’est en 1995, de façon commémorative, que l’UNESCO l’a érigée. La porte se dresse face à l’océan Atlantique. « Les grands navires restaient au large. Les esclaves, enchaînés, étaient transportés par pirogues, sept par sept, vers les bateaux ». Beaucoup mouraient avant même la traversée. Agenouillés dans le sable brûlant, certains refusaient ce destin. « Ils disaient : mieux vaut mourir chez moi que là-bas. Alors ils s’arrangeaient à ingurgiter du sable, et s’éteignaient aussitôt », explique le guide.
Les dessins gravés sur les colonnes rappellent l’enfer. Des silhouettes agenouillées, mains liées dans le dos, bâillonnées de fers pour les empêcher de communiquer. Sur le mur, en haut, l’image d’un voilier qui les emmenait loin de leur terre ; au milieu, les esclaves.
« Du côté terrestre de la porte, les esclaves existaient encore physiquement », poursuit le guide. La partie qui fait face à la mer est le côté spirituel. « Une fois passés côté mer, ils n’étaient plus que des esprits. Donc morts là-bas, leurs âmes revenaient ici ».
Le dernier navire négrier à quitter Ouidah, le Clautilda, en 1860, a embarqué plus de 110 captifs. Dans la cale, les femmes couchées sur le dos, les hommes sur le ventre. Les plus faibles, malades ou épuisés, étaient jetés à l’océan, en pâture aux poissons. La mer, calme aujourd’hui, garde la mémoire de ces drames.
Les Amazones Agoodjié
À quelques centaines de kilomètres de là, à Cotonou, un autre monument raconte une histoire bien différente. Celle de la fierté. Sur l’esplanade de l’Amazone, une immense statue domine la ville. Trente mètres de haut, cent cinquante tonnes de métal recouvert de bronze. L’œuvre, inaugurée le 30 juillet 2022 par le Président du Bénin Patrice Talon, représente une femme guerrière, un fusil dans une main, une épée dans l’autre, la tête levée vers le ciel.
Cette figure incarne les Agoodjié, appelées aussi « Minon », un corps d’élite féminin du royaume de Danxomè. Organisées ainsi sous le règne de la reine Tassi Hangbé au XVIIIᵉ siècle, ces guerrières ont marqué l’histoire par leur bravoure et leur discipline. Restructurées plus tard par le roi Ghézo, elles ont combattu sans relâche contre les armées coloniales, devenant un symbole d’endurance et de résistance.
« Les femmes ont toujours joué un rôle décisif dans l’histoire »
L’esplanade qui entoure le monument est vaste, aménagée pour accueillir visiteurs et promeneurs. Le lieu est devenu un point de rencontres, un espace de détente mais aussi de réflexion. Pour nombre de Béninois, l’Amazone n’est pas seulement une statue. Elle représente la force des femmes, la fierté d’un peuple et un rappel de l’héritage culturel du Dahomey. « L’Amazone est notre repère », confie une mère venue avec sa fille. « Elle nous rappelle que les femmes ont toujours joué un rôle décisif dans l’histoire ». Dans les regards qui se lèvent vers la guerrière de bronze, on lit un mélange d’admiration et d’aspiration.
Ainsi, entre Ouidah et Cotonou, deux monuments racontent deux faces de l’histoire béninoise. La Porte du Non-Retour témoigne d’une mémoire douloureuse, marquée par l’arrachement, l’injustice et la perte. La statue de l’Amazone, elle, incarne la force, la résistance et l’espoir. Le contraste est saisissant. D’un côté, des représentations d’esclaves agenouillés, réduits au silence et arrachés à leur terre. De l’autre, une femme debout, fière, armes brandies vers l’avenir. Mais entre la douleur et la fierté, c’est toujours l’histoire d’un peuple qui s’écrit. Un peuple qui n’oublie pas ses blessures, mais qui choisit de célébrer sa force.
Claude Eboulé
Envoyée spéciale au Bénin