Octobre 2025, c’est demain. Pas dans six mois. Pas dans “le bon moment venu”. Mais dans quelques battements de calendrier. Et pendant que l’horloge tourne, la classe politique ivoirienne... regarde ailleurs.
En effet, il y a un drôle de paradoxe qui s’installe dans l’atmosphère politique ivoirienne : on parle d’élections dans quelque trois mois, mais on agit comme si tout pouvait encore attendre. Le dépôt des candidatures à la présidentielle est prévu pour août. Nous sommes à la mi-juillet. Et pourtant, les partis politiques majeurs avancent avec la désinvolture de promeneurs du dimanche.
RHDP : Ouattara ou personne d’autre
Du côté du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP, parti au pouvoir), c’est « Alassane Ouattara ou personne d’autre», comme si l’idée même d’un plan B relevait du blasphème. Pourtant, le Président n’a toujours pas tranché entre « partir ou continuer ». Officiellement. Alors tout le monde regarde ses gestes, ses silences, ses regards, espérant y lire une intention. Ou une décision déjà prise.
Quant aux personnalités qu’on peut deviner figurer dans la « demi-douzaine », chacun retient son souffle, car le leader reste un mystère. Est-il besoin de rappeler leurs noms ? Tiémoko Meylet Koné, Patrick Achi, Adama Bictogo, Téné Biraima Ouattara, Cissé Bacongo, Mambé Beugré, Kandia Camissoko Camara… Et n’oublions pas qu’entre les "…" pourraient se cacher d'autres noms, non moins importants. Peut-être même des valeurs refuges, des fétiches insoupçonnés qu'on cache pour mieux "sortir dans dos"* au dernier moment à la Beugré Mambé.
Par contre, l’un des rares parmi ceux-ci à avoir levé un coin du voile, c’est Adama Bictogo. Le maire de Yopougon ne fait pas que collectionner les mandats lourds, il laisse s’échapper le flair d’une ambition présidentielle camouflée sous le manteau de la fidélité. Dans une interview à France 24, il le dit sans le dire : “Cela fait trente-deux ans que je suis aux côtés du Président Ouattara. J’ai toujours été un homme de mission. Et les missions qu’on m’a confiées, je les ai toutes gagnées.”
Traduction libre : j’ai l’expérience, le réseau, le terrain, la légitimité. Et je suis prêt. Subtil, mais limpide. Un coup de poker à peine dissimulé. Un plan B qui marche sur la pointe des pieds... vers la ligne de départ.
PPA-CI : Toujours « Gbagbo ou rien »
Chez les “camarades” du Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI, opposition), l’attachement à Laurent Gbagbo reste intact, presque fusionnel. Problème : il n’est pas sur la liste électorale, et sauf miracle, ou compromis politique majeur, il n’y sera pas. Et pourtant, le parti reste figé dans le “Gbagbo ou rien”, comme si le fait de ne pas concourir valait déjà victoire morale.
Mais certains cadres du parti, comme le vice-président Ahoua Don Mello, viennent troubler la ligne. Dans une lettre publique qu’il a récemment adressée à l’ex-président, le ton est clair : il faut désigner deux ou trois candidats de précaution, histoire de ne pas rater encore une fois le rendez-vous avec l’Histoire. “Ces candidatures ne sont pas des candidatures de substitution à la tienne mais des candidatures de précaution”, conclut-il avec prudence.
Autrement dit, il faut arrêter de jouer à quitte ou double avec un Conseil constitutionnel prévisible selon lui. Car si Gbagbo est recalé, le PPA-CI n’aura même pas de nom à soumettre. Et la politique de la chaise vide risque, encore une fois, de se transformer en désert électoral.
PDCI : Thiam et l’ombre de la forclusion
Au Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), c’est le grand flou. Le nom de Tidjane Thiam reste porté à bout de bras par les structures et la base. Mais l’ancien patron du Crédit Suisse figure lui aussi parmi les exclus de la liste électorale - il lui est reproché sa double nationalité française au moment de son inscription sur cette liste. Et le parti, jusqu’à présent, s’est enfermé dans un espoir quasi mystique d’un retournement de situation.
En parallèle, Jean-Louis Billon, un autre cadre du parti, semble se préparer en indépendant, n’ayant pas été adoubé par sa famille politique. Conscient que le vieux parti n’acceptera jamais de l’officialiser comme un plan B sans clarifier le sort de Thiam.
Le déni comme stratégie ?
Ce qui frappe dans cette situation politique ivoirienne, c’est que tous les grands partis semblent refuser d’anticiper. Comme si évoquer un plan B, c’était trahir leur leader, désavouer leur ligne, ou pire : reconnaître une réalité politique trop inconfortable. Résultat : on avance sans vision de rechange, sans scénario alternatif.
Or en politique, il ne faut pas confondre courage et témérité. Le courage politique ce n’est pas de foncer dans le mur les yeux fermés. C’est de savoir tourner avant l’impact.
Compte à rebours
Dans quelques semaines, la Commission électorale va ouvrir la période des candidatures. Le Conseil constitutionnel tranchera ensuite. Et ceux qui n’auront pas préparé de plan B risquent de se retrouver à commenter l’élection depuis les gradins. Même pas sur le banc de touche.
Car octobre n’attendra pas. La République non plus. Il est donc temps que les partis fassent preuve de lucidité. D’humilité aussi pour éviter à la Côte d'Ivoire de nouvelles violences électorales. Et qu’ils comprennent que préparer une alternative, ce n’est pas trahir. C’est respecter la démocratie.
Mamadou Traoré
* Sortir dans dos : dans le jargon ivoirien, notamment en nouchi, cette expression signifie prendre tout le monde de court avec une décision ou un choix que personne n’avait vu venir. Cela revient à dégainer un nom ou une option inattendue, en déjouant tous les calculs et toutes les rumeurs.