Dans de nombreux foyers ivoiriens, le téléphone et la télévision sont devenus des compagnons omniprésents du quotidien des enfants. Derrière ce confort apparent, de nombreux signes alarmants apparaissent : difficultés d’apprentissage, manque de concentration, troubles du comportement. De plus en plus de voix s’élèvent, des parents aux professionnels de l’éducation et de la santé mentale, pour alerter sur les conséquences de cette exposition excessive.
Dès le réveil, jusqu’au moment du coucher, ils défilent d’une vidéo YouTube à un dessin animé, d’un jeu mobile à un film d’animation. Si certains parents y voient un outil d’éveil, pour d’autres, les écrans sont devenus un moyen de garder l’enfant calme ou occupé.
À Cocody Angré, Charlotte, la mère de Marie Danielle avoue avoir introduit les écrans très tôt dans la vie de sa fille. « Quand elle était bébé, je mettais des comptines pour l’endormir ou la calmer. Maintenant, elle navigue toute seule sur YouTube. Elle maîtrise très bien », dit-elle, avec un sourire teinté d’inquiétude.
« Elle n’arrive pas à se concentrer, elle est tout le temps distraite »
En effet, si elle reconnaît que cette exposition a permis à sa fille de s’exprimer très tôt, elle note aussi les limites. « Pour lui apprendre à compter, ça a été très difficile. Maintenant qu’elle passe au CP1, la lecture est un vrai combat. Elle n’arrive pas à se concentrer, elle est tout le temps distraite ».
À Abobo, dans le quartier Avocatier, la tutrice de la petite Chance a opté pour les écrans comme alternative à la rue. « Le quartier est dangereux, alors je préfère qu’elle soit à la maison. Mais maintenant, elle est complètement dépendante. Si on ne met pas la télé à son réveil, elle pleure », confie-t-elle. Les conséquences sont visibles : « On peut étudier un jour, et le lendemain elle a tout oublié. Mais demande-lui le nom d’un personnage de dessin animé, elle te répond du tac au tac »
Limiter fortement l’usage des écrans
Dans une école de Duékoué, Mlle Oulaï Dexi, institutrice dresse un constat nuancé. « Il a les enfants dont les parents encadrent leurs enfants par rapport à l’usage de la télé. Ils regardent des programmes éducatifs, avec des horaires fixes. Ces enfants ont souvent une meilleure expression orale, certains reconnaissent les lettres ou savent compter à leur entrée en moyenne ou grande section », observe-t-elle.
Mais elle relève aussi des effets négatifs. « Quand les enfants sont livrés à eux-mêmes, qu’ils consomment des programmes violents ou inadaptés, on s’en aperçoit en classe. Ils sont agités, inattentifs, et parfois violents. L’idéal serait de limiter fortement l’usage des écrans et de ne jamais laisser un enfant seul avec un téléphone », prévient-elle.
Baisse de l’attention et de la mémoire
Pour Kouassi Kouadio Emissati Jean David, psychologue clinicien, psychothérapeute et psychopathologue, les effets des écrans sur les enfants ne doivent pas être sous-estimés. Il tient d’abord à établir une nuance importante :« il y a une différence entre exposition et utilisation. L’exposition indique que la personne y est prise sans son consentement. L’on peut dire que nous sommes tous exposés aux écrans du fait de notre société très moderne, et nous sommes quasiment obligés de les utiliser »
Chez les enfants, les travaux sur le sujet révèlent des effets préoccupants. « Il y a une baisse de l’attention et de la mémoire. Aussi, la génération actuelle — la génération alpha — est la première à présenter un quotient intellectuel plus bas que celui qui la précède. L’une des hypothèses explicatives est l’usage des écrans tout le temps, qui est responsable de la baisse de la littératie », c’est-à-dire la capacité à lire et comprendre ce qu’on lit.
Mais les écrans ne doivent pas être analysés seuls. « Il faut les replacer dans le système relationnel autour des enfants », poursuit-il. « Une baisse dans les capacités langagières est observée lorsque les enfants restent devant un écran sans interagir avec d’autres humains ». Parmi les changements les plus notables, il cite : « la diminution des capacités communicatives, le manque de construction de bases affectives sécuritaires, le retard moteur et intellectuel, la difficulté à gérer les émotions, et chez les adolescents, une construction identitaire qui se fait désormais dans le virtuel — ce que j’appelle la virtualescence. »
Appel à la responsabilité
Les écrans peuvent être des outils, mais ils ne sauraient remplacer l’interaction humaine. Dans les foyers, sur les bancs de l’école, au sein de la société, il est urgent de réfléchir à notre manière de les utiliser. Pour grandir épanouis, les enfants ont besoin d’échanges, de repères, de limites claires.
Laisser un enfant devant un écran du matin au soir, c’est peut-être une façon de canaliser son énergie, lui éviter donc certains travers sociaux aujourd’hui. Mais c’est aussi souvent l’ exposer à des difficultés pour demain.
Claude Eboulé