Il est 15h ce samedi 14 juin 2025. Nous sommes à la Riviera 3, au niveau du rond-point de la Palmeraie. Sous une pluie battante qui n’a cessé de tomber depuis des heures, la ville semble figée. Des vents forts s’élèvent, les flaques d’eau s’étendent comme des mares, et les klaxons étouffés se mêlent au grondement continu du tonnerre. L’eau a envahi la chaussée, transformant la route en un véritable canal à ciel ouvert.
Travailleurs, piétons, motocyclistes et véhicules sont pris au piège. Certains ont trouvé refuge sous les auvents des boutiques ou des parasols de vendeurs, grelottant dans leurs vêtements trempés. D’autres, plus décidés s’aventurent pieds nus dans cette marée jaunâtre, presque marron, en tenant le bout de leurs pagnes ou retroussant les bas de leur pantalon, pour ne pas tout mouiller.
Trempés jusqu’aux sous-vêtements
« Quand il pleut comme ça, on ne peut pas bouger. La voiture peut même être emportée par l’eau », lance Jean-Baptiste, chauffeur de taxi woro-woro, appuyé contre son véhicule stationné sous la pluie battante, l’air inquiet. « Moi, j’ai marché dans l’eau-là, la pluie m’a chicoté. Elle m’a chicoté jusqu’à ! L’eau m’arrivait au genou », témoigne Ariel, le regard perdu dans la rue noyée sous les eaux ruisselantes.
Non loin de là, Sidney, venu faire quelques courses, montre ses vêtements totalement mouillés. « Je voulais traverser, je ne savais pas qu’il y avait un trou. Je suis tombé dedans. Regardez-moi, je suis mouillé jusqu’au caleçon ! », s’exclame-t-il, mi-écoeuré, mi-amusé.
Un peu plus tôt dans la journée, aux environs de midi, c’est dans la commune à Port-Bouët que les torrents d’eau sont d’abord descendus du ciel, en notre présence. Dans le quartier de Petit-Bassam de cette commune à 12h, la scène était déjà chaotique.
« Depuis deux jours, je ne vends pas »
Assise sur son banc, le regard vide, Assiétou, vendeuse de repas, observe la pluie sans mot dire. Depuis six mois, elle vend de la nourriture dans cette zone. Elle ne cache pas sa détresse. « C’est comme ça. Hier aussi, la pluie est tombée abondamment. Je suis retournée à la maison avec la nourriture. Quand il pleut intensément, on ne peut pas vendre. Je ne gagne rien sur toutes les dépenses que j’effectue depuis deux jours. Parce que je ne vends pas », raconte-t-elle.
Non loin d’elle, Dramane, charretier de son état, est coincé sous le parasol de Assiétou. Impossible pour lui de se déplacer, encore moins de travailler. Contrairement à Assiétou, il a un fils à nourrir. « C’est dur. On attend que ça passe, mais on ne sait pas quand », souffle-t-il, accablé.
Karim Traoré, chauffeur de taxi sur la ligne Port-Bouët-Palmeraie, témoigne lui aussi des difficultés : « Quand il pleut comme ça, la circulation est bloquée. Et les clients se font rares. Parfois, tu passes trois heures sans une seule course ».
Vigilance face aux risques persistants
Face à l’intensité exceptionnelle des précipitations, les autorités appellent à la plus grande prudence. Selon la Société d’exploitation et de développement aéroportuaire, aéronautique et météorologique de Côte d’Ivoire (Sodexam), le samedi 14 juin 2025, entre 3 heures et 15 heures, plusieurs communes du District d’Abidjan ont enregistré des cumuls de pluie largement au-dessus du seuil critique de 50 mm en 12 h. Marcory a atteint 158,5 mm, Port-Bouët 136 mm, la Riviera Centre 148 mm, et la Palmeraie 125 mm. Des niveaux qui justifient pleinement les nombreuses inondations observées sur le terrain.
Pour le dimanche 15 juin, la Sodexam avait averti que des pluies sont encore attendues et avait maintenu la vigilance Orange sur Abidjan, le Sud-Comoé et les zones avoisinantes. Une alerte qui a été relayée par la plateforme Police Secours, qui a signalé plusieurs zones à risques, notamment à Port-Bouët Gonzagueville et à la Palmeraie. Dans cette dernière zone, à hauteur de l'église Notre-Dame de l’Incarnation, un véhicule a été emporté par les eaux, plusieurs personnes ont été bloquées et le Groupement des sapeurs-pompiers militaires (GSPM) est intervenu en urgence.
La menace de fortes pluies reste maintenue pour le lundi 16 juin. Au-delà de la simple gêne, c’est toute une ville qui vacille à chaque déferlement des eaux du ciel.
Claude Éboulé