Le dernier recensement de la population effectué en 2021, avait évalué la population de la ville de Bonoua, à 118.388 habitants. Dix années auparavant, cette population avait été estimée à 42. 271 (2010). Cette augmentation exponentielle du nombre d’habitants est due au fait que ces dernières années, de nombreuses personnes travaillant à Abidjan, ont choisi cette ville du Sud Comoé pour élire domicile. Il en résulte des conséquences multiples que l’on constaté au quotidien, dans l’évolution de cette ville située à une soixantaine de kilomètres de la capitale économique ivoirienne.
Gare routière de Bonoua. Comme tous les jours de la semaine à partir de 5h du matin, un beau monde se forme autour des différentes compagnies de transport. Des hommes et des femmes s’empressent pour se procurer un ticket en vue de se rendre sur leurs différents lieux de travail à Abidjan. C’est cela désormais, le quotidien de nombreuses personnes qui ont choisi de faire de Bonoua leur lieu de résidence.
M. Kouadio, cadre dans une entreprise de presse dans la commune d’Adjamé , est installé à Bonoua depuis plus de cinq ans avec sa petite famille, dans une maison qu’il a bâtie, sur son propre terrain. Tous les jours ouvrés, sa femme et lui parcourent la distance de Bonoua à Abidjan pour se rendre au travail. Ils avouent qu’au départ, cette nouvelle habitude était épuisante et particulièrement stressante pour Mme Kouadio qui doit se lever tôt et rentrer tard. Ils ont fait ce choix de vivre à Bonoua car ils estimaient que la ville d’Abidjan était devenue beaucoup trop saturée, avec des maisons peu aérées. Mais, ce qui a véritablement motivé leur départ, c’est lorsque le loyer de la maison qu’ils occupaient a été augmenté du jour au lendemain.
Cependant, vivre à Bonoua n’était pas une évidence pour ce couple, car M. Kouadio voulait au départ s’installer à Grand-Bassam. Mais, n’ayant pas réussi à obtenir un terrain, il s’est vu proposer par son frère de venir à Bonoua. Ce qu’il a fait avec peu d’enthousiasme au départ. Aujourd’hui, il dit ne pas regretter son choix. Car comme il l’affirme ,« il n’y a rien de mieux que de vivre chez soi ».
Une vue de l'entrée de la gare de Bonoua
Comme ce couple, de nombreuses personnes s’y sont installées et vivent pour la plupart, dans des maisons qu’elles ont elles-mêmes bâties sur des terrains qu’elles ont acquises. C’est le cas de Mme Tra Lou Clarisse, commandant de Police exerçant à Cocody, qui s’est achetée un terrain de 1200 m² et y a bâti des logements qu’elle met en location, ainsi que sa propre habitation. Nombre d’autres personnes ont fait ce choix, pour "fuir" les réalités abidjanaises où le coût élevé du transport et les problèmes de logement sont devenus un véritable casse-tête.
« Abidjan est saturée, les gens préfèrent venir acheter les terrains ici, construire et rester là avec leur famille » explique M. Agaman Tiémélé Henry, chef du service socio-culturel et de promotion humaine à la Mairie de Bonoua. Cependant, ils sont aussi nombreux ceux qui y vivent en location, dans des maisons appartenant aux autochtones ou même aux halogènes.
L’installation massive des abidjanais dans la ville de Bonoua a été aussi grandement favorisée par la crise socio-politique de 2010-2011. En effet, raconte M. Agaman Tiémélé Henry, avant la crise, le nombre d’habitants n’était pas aussi élevée qu’il l’est maintenant. Cette forte croissance n’a été constatée qu’après ces évènements. « Pendant la crise, de nombreuses personnes ont fui Abidjan pour se réfugier ici. Après la crise, certains sont repartis mais beaucoup ont décidé de rester car ils trouvaient la ville sécurisante et agréable. En plus, lorsqu’ils ont calculé la distance Bonoua-Abidjan, ils se sont aperçus qu’ils pouvaient faire l’aller-retour sans problème », dit-il.
Des effets sur l’économie locale
La croissance démographique d’une ville a bien souvent des effets induits sur son économie. La présence d’opérateurs économiques tels que de nouvelles agences de banques, des supermarchés et autres grandes boutiques qui s’installent de jour en jour, témoigne de l’impact positif de cette situation sur l’économie de Bonoua. « L’économie s’active et se diversifie. Les entreprises, les commerces paient leurs impôts et taxes. Cela contribue à performer l’économie locale», se réjoui le Chef du service socio-culturel et de promotion humaine de la Mairie, M. Agaman. De plus, le budget de la Mairie qui était à moins d’un million est passé à près d’un milliard de francs CFA, toujours selon notre interlocuteur.
Outre ces différents opérateurs, les commerçants, les chauffeurs de taxi et autres petits vendeurs peuvent eux aussi se frotter les mains. Anoh Serges, chauffeur de taxi depuis près de quinze ans témoigne de l’effet positif de la situation. Il avoue que depuis cinq ans environ, sa clientèle a augmenté. De deux abonnés, il est passé à neuf, à raison de 7000 FCFA par élève, cela lui procure environ 63 000 FCFA le mois, en dehors de sa recette journalière. Il possède son propre taxi aujourd’hui et se prépare à construire sa maison. Il explique que le nombre de chauffeurs de taxi a augmenté par rapport aux années qui ont précédé l’arrivée des travailleurs abidjanais. Serges confie également qu’avant, il était pratiquement impossible de voir circuler en ville un taxi après 21 heures. Mais, « depuis que la population a augmenté, certains chauffeurs roulent jusqu’à très tard dans la nuit, à cause des personnes qui vont travailler à Abidjan et qui ne rentrent pas vite ».
Au-delà de cet aspect positif, il y’a la question du coût de la vie qui se pose également. Cela est d’autant plus vrai que de nombreuses personnes se plaignent des prix des denrées alimentaires sur le marché. Cependant les prix restent relativement bas par rapport à Abidjan, soutient Mme Kissi Nadège, installée à Bonoua depuis près de quatre ans. Les prix des logements connaissent eux aussi une hausse, la demande étant devenue plus forte. Selon d’anciens habitants, une maison de 3 pièces pouvait coûter entre 40 000 et 45 000 FCFA, mais aujourd’hui, c’est entre 80 000, 100 000, voire 120 000 FCFA.
Suivre le développement
L’augmentation de la population a aussi favorisé l’extension de la ville. Il y’a plusieurs nouveaux quartiers qui ont été créés, au fur et à mesure que les gens construisent et s’installent. Les infrastructures qui accompagnent ce développement, doivent aussi suivre. C’est ce que soutient M. Agaman Tiémélé. Ainsi, au niveau de la Mairie, le budget a été revu à la hausse pour étendre le réseau d’adduction d’eau, d’électrification, ainsi que la construction de nouvelles écoles primaires, afin de suivre l’extension de la ville. « Avec cette situation on est obligé de prévoir un budget conséquent pour faire face aux besoins de toutes ces populations qui s’installent. Chaque année, on construit des écoles primaires dans les quartiers. On a acheté des machines pour gratter les voies afin de permettre aux gens de circuler facilement, car pour l’instant notre budget ne nous permet pas de faire venir le bitume dans les quartiers », confie notre interlocuteur.
Qu’en est il de l’accueil réservé par les communautés Abouré à tous ces nouveaux venu: « Au niveau de la cohabitation, il n’y’a rien à signaler ». indique M. Anyama Tièméle. Il poursuit : « avant de venir ici on a tous entendu des préjugés sur le fait que les Abourés n’aiment pas les étrangers. Nous sommes venus nous avons fait notre propre constat, mais on peut dire que la cohabitation se passe très bien » rassure-t-il.
Un doyen d’âge vivant dans le quartier de Château dit à ce propos : « si vous savez vivre avec les gens chez eux, alors vous pourrez rester avec eux aussi longtemps que vous le voulez ». Pour lui, la bonne cohabitation dépend de l’attitude de ceux qui viennent s’installer sur le sol des autres. Comme pour dire que lorsqu’on est étranger sur un territoire, il faut savoir se comporter avec ceux qu’on a trouvé sur place. Dans ce sens, on peut dire que cette nouvelle communauté que constituent les personnes venues d’ailleurs, a su se faire une place aux côtés du peuple Abouré. Car jusqu’ici, aucune querelle majeure n’a été signalée.
Marie-Claude N’da