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L’Enquête du jeudi- Après l’ananas, Bonoua dans l’impasse : même le manioc est devenu rare

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Un champ de manioc cultivé sur un terrain loti

Le boom économique qu’avait connu la belle localité de Bonoua, grâce notamment à la culture de l’ananas, n’est aujourd’hui qu’un lointain souvenir pour les populations, et principalement pour les anciens agriculteurs. Hévéa, manioc : les tentatives de reconversion sont peu fructueuses.


Bonoua, ville située au Sud-Est de la Côte d’Ivoire sur l’axe Abidjan-Aboisso, était une zone fortement agricole. Les cultures telles que l’ananas, le manioc de qualité, l’hévéa, le palmier à huile, et même le café-cacao, faisaient sa fierté. Les activités économiques qui s’y étaient développées avaient propulsé l’essor économique de la région, produisant de grandes, moyennes et petites fortunes. Mais, au début des années 2000, nombre de ces cultures vont, tour à tour, connaître un déclin jusqu’à disparaître, comme c’est le cas du café-cacao, du manioc et de l’ananas. Aujourd’hui, plusieurs producteurs se sont, malgré eux, résolus à tourner la page de cette fructueuse époque.

Mauvaise gestion des coopératives

M. Ouédraogo Dieudonné, ancien producteur d’ananas résidant au quartier Delanois, possédait 20 hectares de cette culture et prenait entièrement en charge 17 manœuvres. Devenu aujourd’hui propriétaire d’un commerce de vente de pièces détachées et de réparation de motos depuis 2008, il explique la raison qui l’a conduit à abandonner la culture de l’ananas. Il évoque notamment la mauvaise gestion des coopératives.

Autrefois, ce rond point était plein de vendeuses d'ananas

« Lorsque tu fais la récolte de ton champ, tu la confies aux coopératives qui sont chargées de l’exporter sur le marché international. A certaines périodes, on pouvait se retrouver avec suffisamment de bénéfices, ce qui nous motivait à produire encore plus la saison suivante, quitte à s’endetter pour cela. Mais d’autres fois, on nous racontait que la marchandise a rencontré des problèmes en mer et des histoires à dormir debout. On se retrouvait donc avec rien. En plus de cela, les mêmes coopératives nous donnaient des papiers disant qu’on leur devait de l’argent », explique-t-il sur un ton amer.

Ouédraogo Dieudonné reste convaincu que les nombreuses coopératives qui existaient à l’époque voulaient s'enrichir sur le dos des planteurs, entraînant ainsi la faillite et l’endettement de plusieurs d’entre eux, ce qui les a poussés à l’abandon ou à la reconversion dans d’autres activités.

Ancien producteur d’ananas, M. Kouaty affirme : « les premiers responsables de ces micro-structures dans leur quête égoïste de notoriété, ont fini par tuer notre filière ». Aujourd’hui, les producteurs d’ananas ont totalement disparu. En tout cas, au niveau de Bonoua, poursuit M. Kouaty, « je ne connais plus aucun planteur qui vit exclusivement de la culture de l’ananas. Tous se sont reconvertis dans d’autres secteurs jugés plus porteurs ».

Il faut évoquer également le coût d’entretien d’un champ et le temps de production. La main-d'œuvre se faisant de plus en plus rare et les produits d’entretien étant devenus plus chers, des producteurs ne disposant pas de suffisamment de moyens ont dû abandonner, explique M. Kissi, agent d’une coopérative. C’est le cas de M. Ouédraogo qui, après plusieurs récoltes « perdues en mer », n’avait plus d’argent pour faire face aux dettes et aux dépenses. Un à un, tous ses employés l’ont quitté, en quête d’un lendemain meilleur ailleurs.


Concurrence

La concurrence engagée par une nouvelle variété d’ananas, à la fin des années 1990, est aussi un facteur de taille qui a lourdement pesé sur la filière. Cette variété appelée MD2, produite au Costa Rica est beaucoup plus parfumée et plus sucrée. Elle a donc rapidement séduit les marchés. La Côte d’Ivoire produisant la variété dite « Cayenne lisse », il lui fallait rapidement se mettre à jour, ce qui n’a pas été fait, explique M. Kangah, professeur au Lycée moderne de Bonoua.

Ayant perdu presque tous leurs revenus par la faute des coopératives, les implants et les produits d’entretien étant coûteux, les producteurs avaient besoin d’un coup de pouce de l’Etat pour se relancer. Mais leurs doléances exprimées aux pouvoirs publics, sont restées vaines à ce jour, confie M. Kangah.

La nouvelle activité d'un ancien producteur d'ananas

Reconversions


A ce propos, M. Yao Victor, anciennement responsable de l’encadrement à la Coopérative fruitière de la Comoé (CFC) avouait dans un article sur le sujet, publié par « Fraternité Matin », que les acteurs, les responsables de la filière, ainsi que les producteurs ont tous failli par manque d’anticipation. « Notre filière a péché par son incapacité à s’adapter à un environnement international devenu de plus en plus concurrentiel, avec ses exigences de professionnalisation ».

Le rendement de la filière ananas ayant baissé, les petits producteurs se sont lancés dans d’autres cultures qu’ils ont jugées plus rentables. Il s’agit de l’hévéa et du palmier à huile. Là encore, ils vont vite déchanter, à cause de la chute libre des prix. En effet, la prospérité aura duré le temps d’un feu de paille pour les producteurs d’hévéa. Anciens et reconvertis, tous vont commencer à broyer du noir, confrontés qu’ils sont à la chute du prix du latex. Cette situation va amener plusieurs producteurs à revoir à la baisse leurs ambitions de départ.


Rareté des terres cultivables


Et comme si tout cela ne suffisait pas, il est apparu aussi le problème de la rareté des terres cultivables. « Dans le cas du manioc par exemple, c’est une culture qui accompagne généralement les champs d’hévéa et de palmier. Or, l’hévéa est une culture qui infertilise le sol et donc le rend impropre aux cultures vivrières, lorsque les arbres arrivent à maturité et qu’on en extrait le latex », explique M. Kissi. Sachant que de nombreux producteurs ont détruit leurs plantations de cacao ou d’ananas pour y planter de l’hévéa, il n’existe plus assez de terres pour les autres cultures.

A cela s’ajoute l’urbanisation extensive de la ville. En effet, l’aménagement de nouvelles zones d’habitation a conduit au lotissement de plusieurs sites ayant abrité d’anciennes plantations, devenus aujourd’hui des lieux d’habitation.

Face à toutes ces évolutions, certains anciens producteurs qui vivaient exclusivement des revenus tirés de leurs cultures, ont vendu leurs exploitations agricoles, pour ouvrir des commerces. Certains, comme Wilfried, ont acheté un taxi. Tanoh Joseph, lui, s’est acheté un tricycle dont l’usage pour le transport de divers biens, constitue à ce jour, son gagne-pain.

Le manioc produit en petite quantité

Le manioc est aujourd’hui cultivé sur de petites surfaces, aménagées sur des terrains d’habitation déjà vendus mais non encore mis en valeur. Autrefois réputé pour la qualité et la diversité de ses boutures, au point de donner son nom à un type de manioc appelé « bonoua », aujourd’hui, le manioc est bel et bien devenu rare à Bonoua, comme en témoignent les populations elles-mêmes. Ces petites productions ne peuvent plus être exportées ; elles servent pour la fabrication de l’attiéké, de l’atoupkou et autres mets locaux.

Il en est de même pour l’ananas dont la production ne sert que pour la consommation locale, explique M. Kissi. Les vendeuses de banane plantain, quant à elles, font leur approvisionnement à Abidjan, Daloa et Oumé parce que la zone Malamalasso, considérée autrefois comme le grenier du département, a vu ses hectares de forêts coupées pour accueillir de vastes plantations d’hévéa.

La conséquence de tout cela, sur le plan local, c’est la hausse du prix du tubercule de manioc sur le marché, de celui du sachet d’Attiéké ou du Placali et de l’Atoupkou, des mets à base de manioc. Aussi l’ananas, qui était vendu au tas à 200 F ou 150 F est-il vendu aujourd’hui à partir de 500 F CFA, chez les quelques rares vendeuses détaillantes qui existent encore à la gare routière.

C’est le lieu, indique un cadre de la ville, de tirer la sonnette d’alarme car, affirme-t-il : « à cette allure, nous allons tous mourir de faim ».

Lors de son passage à Bonoua le 15 septembre 2024, le ministre de l’agriculture, Adjoumani Kobenan avait annoncé un projet de relance de la culture de l’ananas avec l’introduction d’une nouvelle variété en provenance des Etats-Unis. Pour certains anciens producteurs comme Dieudonné, l’espoir est donc permis.


Marie-Claude N’da





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