Il y a quelque temps, j’ai reçu un de mes grands amis, citoyen d’un des pays du Sahel, qui est toujours en admiration devant les actes que posent son pays et ses alliés de l’AES (Alliance des Etats du Sahel), et grand pourfendeur du président de mon pays. Pour lui la Côte d’Ivoire, n’est rien d’autre qu’une des dernières colonies de la France, ou, comme le disait Thomas Sankara, « le garde-chiourme de l’impérialisme en Afrique ». Il ne désespérait pas de voir un jour un vrai révolutionnaire, un vrai panafricaniste comme celui qui dirige son pays, prendre le pouvoir ici pour le libérer. Nous passions de longues heures à discuter de politique et nous n’arrivions jamais à nous entendre. Il était venu par la route et nous avons passé une semaine à Abidjan avant d’aller, pendant quelques jours, dans mon village dans le centre-est du pays. J’avais remarqué que durant les derniers jours de son séjour, il parlait de moins en moins de politique. Lorsqu’il repartit chez lui, il m’envoya un message dans lequel il disait ceci : « j’ai passé dix jours dans ton pays, et pas une seule fois, ni à Abidjan, ni dans ton village, je n’ai connu une seule coupure de courant ou d’eau. J’ai vu des embouteillages partout à Abidjan, mais ils étaient dus au fait que l’on était en train de construire des routes, des échangeurs, des ponts. J’avais la connexion à internet partout, même au village. J’ai traversé entièrement ton pays sur des routes goudronnées, impeccables, sans la crainte de tomber sur des djihadistes sanguinaires, sans la crainte de marcher sur un engin explosif, sans rencontrer des militaires armés jusqu’aux dents, cherchant plus à sauver leurs peaux qu’à protéger les populations. J’ai lu les journaux de l’opposition qui tiraient tous les jours à boulets rouges sur votre pouvoir, qui demandaient son départ, et je n’ai pas entendu dire qu’un journaliste a été arrêté ou enlevé. Demande à tes compatriotes de bien méditer la phrase de votre premier président, Félix Houphouët-Boigny, qui disait que le vrai bonheur, on ne l’apprécie que lorsqu’on l’a perdu. Chez nous, nous avions dansé lorsqu’un ancien pouvoir que l’on disait dictatorial a été renversé. Aujourd’hui nous n’avons pas assez de larmes pour pleurer sur notre sort. »
Ce message de mon ami sahélien m’a rappelé une histoire que m’avait racontée un autre de mes amis de Fresco, en Côte d’Ivoire. Il avait un ami, chef d’un village situé à une quinzaine de kilomètres de Fresco, et qui ne jurait que par Laurent Gbagbo. Pour lui, Alassane Ouattara était le diable personnifié puisqu’il avait pris la place de Gbagbo, son idole. Mon ami me raconta que ces derniers temps, le chef de village parle de moins en moins de Laurent Gbagbo, et évite même de parler de politique avec lui. Alors un jour qu’il le croisa à Fresco, mon ami mit les pieds dans le plat et lui demanda ce qui n’allait pas. Et son ami lui dit ceci : « Tu vois ce téléphone portable ? Je l’ai depuis le temps de Gbagbo. Quand il était au pouvoir, je devais chaque jour prendre mon vélo, faire quinze kilomètres pour venir le charger à Fresco. Parce qu’il n’y avait pas d’électricité dans mon village. Et pendant que le téléphone était en charge, je prenais une ou deux bières avec mes amis. Je perdais ainsi au moins trois heures chaque jour pour pouvoir charger mon téléphone. Parfois, lorsque j’arrivais à Fresco, il n’y avait pas d’électricité et je passais des heures, parfois toute la journée, à attendre le retour du courant. Aujourd’hui, j’ai l’électricité dans mon village et je n’ai plus à me déplacer pour charger mon téléphone. Je le fais directement dans ma chambre lorsque je dors. Au temps de Gbagbo, les routes étaient tellement mauvaises qu’avant d’aller quelque part, même dans les villes voisines comme Sassandra ou Grand Lahou, il fallait réfléchir longuement pour être sûr que ce voyage en valait vraiment la peine. Aujourd’hui, quand je n’ai pas grand’chose à faire dans mon village, je prends ma moto pour aller causer avec mes amis dans les autres localités, parce que je peux circuler sur de bonnes routes. Quand je médite tout cela, je préfère me taire maintenant. J’aime toujours Gbagbo, mais j’apprécie aussi celui qui me facilite la vie aujourd’hui. Il y a celui qui parle beaucoup mais ne fait rien, et celui qui ne parle pas mais fait des grandes choses que tout le monde voit. Les opposants parlent toujours de ce qui ne va pas. C’est bien. Mais il est bon de regarder de temps en temps ce qui va. »
Venance Konan
Publié le :
14 décembre 2024Par:
sani michel zoro