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L’Enquête du jeudi. Côte d’Ivoire. Handicapés physiques, ils ont bravé discriminations, humiliations et mépris pour réussir

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Être handicapé et finir mendiant semble être le sort réservé aux personnes en situation de handicap. En effet, ils sont nombreux à exposer leurs déficiences physiques notamment, moyennant des pièces d’argent. Mais, certains d’entre eux, qu’on peut considérer comme des modèles, ont vraiment réussi à tirer leur épingle du jeu et à se faire une place au soleil. Cela, malgré les multiples discriminations et humiliations subies pendant leur formation, comme en milieu professionnel .

À l’âge de deux ans, Joël N’Guessan est atteint de poliomyélite. Dès lors, il perd l’usage d’une jambe et doit vivre avec ce handicap. Mais pour lui, hors de question de se décourager. D’ailleurs, il ne se considère même pas comme une personne handicapée. « Quand on perd l’usage d’une jambe à l’âge de deux ans, on ne se sent plus handicapé. Ce sont les autres qui le sont plus que nous. Je me demande même comment les gens font pour marcher avec deux jambes », dit-il avec un brin d’humour.

Refusé d’accès à une ne école pour son handicap

Sans s’apitoyer sur son sort, il va à l’école comme tous les autres enfants et s’accroche à ses rêves. Après le lycée, il passe le concours d’entrée à l’École supérieure de Commerce d’Abidjan. Sur plus de 2 000 postulants, il se démarque en faisant partie des 25 candidats admis. Malgré ce succès, le jour de la rentrée, il apprend qu’il ne peut pas intégrer l’école à cause de son handicap. Déterminé à poursuivre ses études dans cet établissement, il décide de porter cette discrimination à la connaissance du « sommet » de l’Etat. « J’ai approché le ministre Auguste Denise à l’époque, qui est intervenu. Une injonction a été donnée pour que l’école m’accepte et fasse tout pour que je réussisse », raconte-t-il.

Après ses études, Joël N’Guessan n’a pas eu de difficulté à s’insérer dans le milieu professionnel. Il avait plusieurs opportunités à sa disposition. Il a passé des concours pour intégrer des cabinets et a été retenu avec succès. Joël N’Guessan décide alors de rejoindre Rhône Poulenc en France. Après quelques années, il revient en Côte d’Ivoire pour poursuivre sa carrière.

Il occupe le poste de trésorier général à l’Énergie Électrique de Côte d’Ivoire (EECI). Au bout de cinq ans, il décide d’ouvrir son propre cabinet de conseil, spécialisé dans l’accompagnement des petites et moyennes entreprises (PME). A tous tous les postes qu’il a occupés, son objectif était toujours le même : être le meilleur. C’est sans doute cette détermination qui lui a permis d’être ministre des Droits de l’Homme en 2007.

Aujourd’hui, Joël N’Guessan s’est tourné vers l’entrepreneuriat. « Je fais de l’élevage, un peu de culture vivrière, et je reçois parfois des contrats de consultance pour aider les PME à élaborer leurs projets de gestion et leurs business plans », explique-t-il.

Elle manque d’aller à l’école à cause de son handicap

Comme Joël N’Guessan, des personnes handicapées choisissent d’être résilientes et de gravir les échelons de la société malgré les préjugés qui pèsent sur elles. C’est le cas de Koffi Ntawo. A son jeune âge, elle a été frappée d’une déformation du pied gauche. Un handicap qui a failli l’empêcher d’aller à l’école. « Mon père ne voulait pas m’inscrire parce que je ne pouvais pas marcher correctement et je montais les escaliers à quatre pattes », raconte-t-elle.

Déterminée à aller à l’école, Koffi Ntawo s’est entraînée, jour après jour, à monter les marches. Au bout de quelques semaines, elle y est parvenue sans devoir ramper. Impressionné par sa détermination et son abnégation, son père a finalement décidé de lui donner sa chance. À l’école, elle a dû affronter les moqueries de ses camarades de classe. « J’étais complexée. Je me disais que je n’étais pas comme les autres. Les autres enfants se moquaient de moi », confie-t-elle.

Après avoir obtenu son BEPC, elle a décidé de quitter le système scolaire pour suivre une formation en secrétariat. Cependant, peinant à trouver un emploi, elle a enchaîné les petits boulots et travaillé bénévolement pendant cinq ans à la Fédération des personnes handicapées de Côte d’Ivoire. C’est là-bas qu’elle va rencontrer Dogo Raphaël’ ex ministre ivoirien dont elle a été la secrétaire particulière.

Travailler trois fois plus quand on a un handicap

Durant sa quête d’emploi, Koffi Ntawo a fait face à de nombreuses frustrations et discriminations. C’est pour cela qu’elle pense que quand on a un handicap, il faut travailler trois fois plus que les autres. Elle a affronté le mépris, l’humiliation et la méfiance de ceux qui doutaient de ses capacités à travailler convenablement. « Certaines personnes ont refusé de m’embaucher à cause de mon handicap. Pourtant, j’ai toujours voulu me surpasser et prouver que le handicap n’est pas forcément un frein à donner le meilleur de soi au travail », affirme-t-elle.

Dans le milieu professionnel, Joël N’Guessan explique qu’il devait constamment démontrer qu’il était le meilleur, car certains minimisaient ses compétences à cause de son handicap. « Le problème, ce n’est pas le handicap. Ce qui compte, c’est notre capacité à être audacieux et à réaliser des choses innovantes », déclare-t-il.

Pas question de mendier

À Abidjan, de nombreuses personnes handicapées physiques exposent leurs déficiences pour mendier dans les rues. Une attitude que Joël N’Guessan désapprouve fermement. « Ils n’ont pas besoin de mendier. Je suis contre cette pratique, quelles que soient les justifications qu’on peut avancer. Ça ne sert à rien de se mettre au bord de la route pour tendre la main. Ils pourraient par exemple, porter un tablier et vendre des oranges pour gagner leur argent », dit-il. Koffi Ntawo partage cet avis : « Être handicapé ne justifie pas la mendicité. Ce n’est pas une excuse, c’est de la paresse. Il faut aller au-delà de son handicap. Tout le monde a des talents qu’il peut développer », insiste-t-elle.

Pour montrer qu’on peut avoir un handicap et aller loin dans la vie, Agnès Kraidy, journaliste ivoirienne, a publié, en 2020 un livre intitulé Les Affranchis du Sort. Elle y dresse le portrait de 20 personnes en situation de handicap qui ont réussi à se hisser au sommet de l’échelle sociale. « Je voulais des personnes avec un handicap assez visible mais, surtout, qui avaient pu s’accomplir dans des métiers généralement difficiles d’accès pour les personnes handicapées », explique-t-elle.

À travers ce livre, elle souhaitait transmettre deux messages principaux. Le premier était de rendre hommage à des personnes que la société n’a pas toujours su reconnaître comme des modèles ou des références. Le second était de donner une leçon de résilience et de dépassement à ceux qui passent leur temps à se plaindre des difficultés de la vie. « L’idée était de leur montrer qu’ils ont la chance d’avoir un corps entier : ils peuvent voir, entendre, bouger. Qu’ils se mettent à la place de ceux qui ont un handicap mais qui poursuivent des études universitaires et atteignent le sommet de l’échelle sociale. S’ils y arrivent, cela signifie que nous en sommes capables aussi », souligne-t-elle.

Recrutement dérogatoire

En Côte d’Ivoire l’État a instauré un recrutement dérogatoire qui vise à intégrer des personnes en situation de handicap dans la Fonction publique. En 2022, 200 postes ont été réservés pour leur offrir des opportunités d’emploi adaptées.

C’est ce qui pousse Joël N’Guessan à dire qu’il y a une amélioration des conditions des personnes en situation de handicap en Côte d’Ivoire. « C’est bien, mais il faut aller au-delà. Il faut leur donner des moyens pour qu’ils puissent créer leurs propres activités économiques. Cela se fait un peu, mais ce n’est pas suffisant », estime -t-il.

Pour Koffi Ntawo, qui est aujourd’hui à la tête d’une ONG défendant les personnes en situation de handicap, les familles doivent accepter leurs enfants en situation de déficience et les faire voir des psychologues au besoin.


De Lima Soro











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