En Côte d’Ivoire, ces dernières décennies ont vu émerger les paris sportifs en ligne. Ce sont des jeux de hasard qui consistent à faire des pronostics sur les matchs de football, comme ceux de l’Euro, de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) ou même de la Ligue des champions. Le revers de ces jeux prisés par les jeunes est leur exposition à l’addiction et aux troubles comportementaux.
Pour effectuer un pari sportif en ligne, il faut d’abord télécharger une application appropriée, créer un compte et le recharger via un compte mobile-money. Une fois cette étape franchie, vous pouvez parier et espérer que la chance soit de votre côté. Cependant, certaines personnes éprouvent des difficultés à recharger leurs comptes ou à retirer leurs gains. Pour les aider, des intermédiaires appelés « rechargeurs » offrent leurs services.
Moussa Koné qui est l’un de ces rechargeurs, exerce cette activité depuis trois ans. « C’est une application qui me permet de faire les rechargements et les retraits d’argent. Plus j’aide les gens, plus je gagne de l’argent de la part des promoteurs des paris », explique-t-il. Cependant, Il avoue que les paris sportifs en ligne peuvent devenir dangereux pour les joueurs qui manquent de maîtrise de soi, de la faculté naturelle de dominer leurs envies et tentations. « Ceux-ci peuvent se ruiner, sombrer dans la dépression, et dans des cas extrêmes, aller jusqu’au suicide », nous fait-il remarquer.
5 millions de francs CFA dilapidés dans un pari sportif
Nombre de jeunes se laissent emporter par l’envie de gagner davantage et finissent par tout perdre. Moussa Koné en a connu plusieurs dans ce cas et l’une de ces histoires lui revient souvent à l’esprit. Il s’agit de celle d’un jeune homme accro aux paris en ligne, qui jouait sans relâche. Un jour, la chance a tourné en sa faveur. Il a gagné la somme de 5 millions de F CFA qu’il n’a pas su gérer. « Il a dilapidé une partie de ses gains et utilisé le reste pour miser à nouveau, Mais cette fois, la chance n’était plus de son côté. Il a tout perdu. Il lui est même arrivé de vendre ses meubles pour continuer à parier », raconte Moussa.
Après avoir perdu tout son argent, ce jeune, ainsi victime du pari en ligne, a dû quitter la ville sans donner de nouvelles pendant plusieurs mois. « Un jour, il m’a appelé et m’a dit qu’il avait eu un accident de la circulation à Bouaké. À plusieurs reprises, il m’a demandé de recharger son compte de paris en ligne, tout en me promettant de me rembourser plus tard. Au début, j’ai accepté, mais ensuite, j’ai refusé parce que je savais qu’il ne me rembourserait pas et qu’il n’avait plus rien ». Depuis ce refus, Moussa n’a plus jamais eu de nouvelles de lui.
Grandes déceptions
Fuir la ville après avoir tout perdu, c’est également ce qu’a fait Alexandre, lui aussi accro aux paris sportifs en ligne. Il s'est même endetté pour continuer à jouer. « Il a tout perdu à cause de ces jeux. Il a été contraint de fuir la ville, car il ne pouvait plus rembourser les prêts qu’il avait contractés », explique l’un de ses amis.
C’est ce genre d’histoires qui emmène David à penser que les paris sportifs en ligne sont remplis de vices. Le jeune homme en est persuadé parce qu’il a eu une expérience qui lui a laissé un goût amer. Il y a quelque temps, une de ses proches lui a offert 100 000 F CFA pour résoudre des problèmes financiers. Une fois l’argent en poche, il s’est dit qu’il pouvait le fructifier en injectant la moitié dans un pari sportif. Une décision qu’il a finalement regrettée. « J’ai perdu le pari à deux minutes environ de la fin du match. C’était ma plus grande déception dans ces jeux de hasard. J’ai perdu mon argent et je n’ai pas pu résoudre le problème que j’avais ». Aujourd’hui, David continue de parier, principalement chaque week-end, mais il s’efforce de ne plus miser de fortes sommes d’argent.
Addiction aux paris
Konan Yao Fernand, psychologue psychothérapeute, indique que les addictions aux paris sportifs peuvent engendrer un trouble comportemental qui plonge les parieurs dans l’anxiété, la dépression ou même la tristesse. « Au début, ils pensent qu’ils maîtrisent le jeu et qu’ils savent ce qu’ils font, jusqu’à ce qu’ils repoussent sans cesse leurs limites. Certains vont même commencer à faire des choses illicites, comme voler, pour satisfaire ce besoin de pouvoir retourner parier », explique-t-il, tout en recommandant de se tourner vers des professionnels de la santé mentale dans ce genre de situation.
Le psychologue indique qu’un élève autrefois brillant à l’école peut ainsi perdre sa motivation à étudier, s’il constate qu’un simple pari peut lui rapporter des gains importants. « Cela peut bouleverser son engagement scolaire et le détourner de ses études », précise-t-il.
Ne pas prendre trop de risques
De son côté, Moussa Koné essaie de sensibiliser les parieurs qui sollicitent ses services. « Je leur conseille d’éviter de prendre trop de risques pour ne pas subir de lourdes pertes qu’ils pourraient regretter. Il faut savoir se fixer des limites et jouer en fonction de ses moyens ». Il plaide également pour un encadrement de cette activité et une sensibilisation des joueurs aux risques qu’ils encourent en devenant dépendants de ces jeux.
Kambou Paterne a lui aussi décidé de gagner de l’argent grâce à sa passion pour le football. Depuis quelques années, il réalise des paris en ligne, même s’il ne gagne pas toujours. « Ça ne peut pas marcher à tous les coups. Il y a des moments où l’on perd et d’autres où nos pronostics sont exacts », explique-t-il. Pour ce jeune homme, il n’existe pas de stratégie infaillible pour garantir une victoire. Il faut simplement être observateur et effectuer une analyse qui augmente les chances de réussite. « Il faut éviter de prendre trop de risques. Plus tu prends des risques, plus tu cours des risques de perdre lourdement », ajoute-t-il.
À la différence de certains, Paterne Kambou a réussi à monter un business après un pari. Il y a quelques années, une de ses connaissances a gagné 2 millions de francs CFA suite à un pari sportif. Paterne a aidé cette personne à retirer l’argent sur son compte. Reconnaissant pour ce service rendu, elle lui a offert 100 000 FCFA en guise de remerciement. « J’ai utilisé cet argent pour créer un poulailler, et ensuite j’ai arrêté de parier, car je ne voulais pas risquer l’argent de mon activité dans les paris. Un seul mauvais pari pouvait me faire tout perdre », ajoute-t-il.
Pour assainir le milieu, l’État de Côte d’Ivoire a mis en place l’Autorité de régulation des Jeux de hasard (ARJH). Elle a principalement pour mission le suivi de la mise en œuvre de la réglementation des jeux de hasard. L’ARJH a également pour but de vérifier les mesures prises par les opérateurs, pour la promotion du jeu responsable et la lutte contre le jeu excessif. Mais, au regard de ces cas d’addiction précités, l’on se demande bien si elle peut véritablement combattre la pratique excessive qui relève de pulsions individuelles.
De Lima Soro
