La promesse faite lundi par Donald Trump en a laissé plusieurs perplexes. Dans une interview accordée au Fox News Digital, le prochain président des États-Unis a assuré qu’il allait se montrer « ouvert et disponible » aux médias, durant son second mandat qui va s’amorcer en janvier prochain, et ce, après des mois passés durant sa campagne électorale à dénigrer et à remettre en question la légitimité de plusieurs d’entre eux.
Dans la foulée, le futur homme fort de la Maison-Blanche en a profité pour faire l’éloge d’« une presse et de médias libres, justes et ouverts », chose importante, « voire vitale », selon lui, « pour rendre sa grandeur à l’Amérique ».
La déclaration cultive autant le paradoxe que l’ambiguïté pour ce politicien qui, loin de se préparer à protéger la liberté de la presse, annonce plutôt depuis des années son intention de régler ses comptes avec une partie de la classe médiatique — celle qui vérifie les faits et prend en défaut le populiste sur ses réalités alternatives et ses mensonges.
Ce climat de vengeance, couplé à la défaite brutale que le républicain a imposée aux démocrates et à la mainmise qu’il se prépare à avoir sur les institutions et ministères du pays, menace désormais un des piliers de la démocratie américaine : le quatrième pouvoir.
« Le premier mandat de Donald Trump était un échauffement [en matière d’attaque contre les médias], a commenté il y a quelques mois Frank Sesno, professeur à l’Université George Washington et expert de la presse américaine, dans les pages du Washington Post. Un second mandat va être une course folle. Je m’attends à une approche sans retenue. Il pourrait fermer le bureau de presse de la Maison-Blanche et expulser les journalistes. Il pourrait y avoir des représailles si vous faites un reportage critique sur le président. »
Dans les heures qui ont suivi sa consécration par les urnes, dans la nuit du 5 au 6 novembre dernier, le républicain a d’ailleurs donné le ton. Il a profité d’un discours servant d’ordinaire aux candidats à accueillir la victoire avec humilité et dans l’unité pour plutôt entretenir les divisions en pointant du doigt le « camp ennemi », soit les réseaux CNN et MSNBC, selon lui. Lors de son premier mandat, la presse était qualifiée d’« ennemie du peuple ».
Dans les jours qui ont précédé le scrutin, Donald Trump a également laissé entendre, lors d’un rassemblement politique en Pennsylvanie, qu’il ne serait « pas tellement dérangé » de voir les membres des « fake news », vocabulaire trumpiste évoquant les médias non serviles, placés dans la ligne de mire d’un tireur cherchant à nouveau à l’atteindre. Ce discours violent et haineux contre les médias faisait suite aux nombreux appels lancés, durant sa campagne, à emprisonner des journalistes, à révoquer les licences de diffusion des réseaux se montrant critiques à son endroit ou à intenter des poursuites judiciaires contre eux.
Une menace
« Le second mandat imminent de [Donald] Trump représente une menace crédible et sans précédent pour la liberté de la presse telle que l’Amérique l’a connue », a écrit il y a quelques jours Jon Allsop, dans les pages numériques de la Columbia Journalism Review. Une crainte formulée par le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) dans les heures qui ont suivi l’élection de Donald Trump, qualifiée de « tournant pour la liberté des médias en tant que pilier essentiel de la démocratie », a-t-il écrit.
« Les menaces et les mensonges contre les médias qui ont caractérisé une grande partie de la campagne présidentielle du Parti républicain représentent un danger clair et direct », a déclaré la directrice générale du CPJ, Jodie Ginsberg, par voie de communiqué. « À ce moment crucial de l’histoire des États-Unis, nous exhortons la prochaine administration et le gouvernement et les entreprises à reconnaître la liberté de la presse et les informations factuelles fournies par les journalistes comme un élément essentiel à la démocratie, à la stabilité et à la sécurité publique. »
Pourtant, le régime répressif semble doucement se mettre en marche, à en croire les lettres envoyées quelques jours avant l’élection par l’avocat de Donald Trump, Edward Andrew Paltzik, au New York Times et à l’éditeur Penguin Random House. Il réclame 10 milliards de dollars en dommages et intérêts pour des articles critiques à l’égard du populiste. C’est le Columbia Journalism Review qui a révélé la chose la semaine dernière.
Dimanche, le président désigné a également nommé Brendan Carr à la tête de la Commission fédérale des communications (FCC), instance gouvernementale que Donald Trump menace d’utiliser contre ceux qu’il dépeint comme ses opposants médiatiques. En campagne, il a appelé cette agence à retirer le droit de diffusion aux réseaux NBC et CBS en raison d’une couverture qu’il considérait comme tendancieuse en faveur de Kamala Harris.
Brendan Carr, qui siège à cette Commission, est l’auteur du chapitre sur la FCC du Projet 2025, le manuel ultraconservateur d’un prochain gouvernement républicain. Il adhère aussi aux promesses de Trump de réduire les réglementations, mais aussi de s’en prendre aux entreprises de la Silicon Valley et aux médias ne participant pas à une construction active assujettie au trumpisme.
« À partir de l’année prochaine, l’assaut de Trump contre la presse va s’intensifier », prédit le journaliste Kyle Paoletta dans les pages du Columbia Journalism Review en parlant de « tentative d’étouffer » les reportages négatifs ou de permettre l’accès à la « West Wing », épicentre du pouvoir exécutif de la Maison-Blanche, aux seuls médias conservateurs.
« Les plans de Donald Trump et de ses alliés pour retourner le ministère de la Justice et la Commission fédérale des communications contre les médias pourraient entraîner une série d’enquêtes sur les fuites, la politisation des licences de diffusion et la mise en examen potentielle de journalistes pour espionnage », poursuit-il. Le scénario s’est joué dans des régimes autoritaires comme la Russie de Vladimir Poutine, l’Inde de Narendra Modi ou la Hongrie de Viktor Orbán, des régimes forts régulièrement louangés par Donald Trump. « Les journalistes couvrant les manifestations [contre le pouvoir] ou le contrôle de l’immigration seront placés en détention non seulement par la police locale, mais aussi par le ministère de la Sécurité intérieure. Il est possible que Trump cherche même à obtenir du Congrès une réforme des lois sur la diffamation pour criminaliser ainsi la dissidence », poursuit-il.
Et le futur président va pouvoir le faire dans un climat de défiance des médias qu’il a savamment entretenu dans les dernières années et qui lui offre désormais un terrain fertile à cause des 49 % des Américains qui estiment que la couverture de la campagne électorale était tendancieuse, des 57 % qui estiment qu’elle l’était contre Donald Trump, rapporte un sondage Harvard CAPS/Harris dévoilé mardi.
Pis, dans le contexte politique divisé et en constante confrontation, la vérification de faits ou la lumière mise sur les mensonges ou demi-vérités ne sont plus perçus comme une pratique rigoureuse du journalisme : 60 % des répondants voient plutôt la chose comme la défense d’une cause plutôt que du journalisme impartial, résume le coup de sonde.
Fabien Deglise