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Côte d’Ivoire. Education en milieu rural : le dur chemin des écoliers du Morokro (Reportage 2/2)

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Faute de latrines , les éleves se soulagent à l’air libre , dans les herbes .

Des enfants qui parcourent quotidiennement des distances de 7 à 9 km pour accéder à l’école. Cette réalité entraîne une baisse du rendement scolaire, des cas d’abandon et même de l’insécurité pour les élèves de la sous-préfecture du Morokro dans l’Agnéby-Tiassa, au Sud de la Côte d’Ivoire.


Face à toutes les difficultés d'accès à l'école, les parents d'élèves ont cherché à trouver des solutions. En 2002, une école communautaire a été créée à Kpoubgoussou, mais a cessé de fonctionner en 2010, faute de moyens. « L’année scolaire était à 9 000 F CFA par an. Cette année, nous avons voulu la relancer, mais les bâtiments sont en ruines et personne ne veut venir nettoyer l’espace », déplore le président des jeunes de Kpoubgoussou, N’Gonian Kouassi.

Actuellement, ils se rabattent sur l’école communautaire de N’Guessan Kankro qui ne comprend que deux classes du primaire pour 52 enfants de CP1, CP2 et CE1. « La création de cette école réduit nos tâches, car les enfants de CP1, CP2 et CE1 du village Kpoubgoussou et le campement N’guessan Kankro sont dispensés de la marche. Néanmoins, certains parents préfèrent toujours les inscrire dans notre établissement. Dans ce cas, ils viennent avec les plus grands », souligne le directeur de l’EPP 1 Koyekro, Alexis Bou Kouassi.

Créée il y a trois ans, l’école communautaire de deux salles bâtie en terre, sans latrines, souffre également des attaques des termites. L’enseignant bénévole, Angaman Guillaume Koua, qui tient à lui seul l’établissement précaire, fait du mieux qu’il peut pour obtenir de bons rendements scolaires. « Je regroupe le CP1 et le CP2 dans une salle de classe que je divise en deux, y compris le tableau. Il n’y a pas tout le matériel didactique, les enfants apprennent difficilement. J’ai une maison dans le village, mais je reste à Koyekro, à 7 kilomètres pour préparer mes fiches à cause de l’électricité. J’utilise également des livres d’autres enseignants pour préparer ces fiches », confie le bénévole qui est obligé de faire le programme scolaire deux fois pour permettre aux enfants de mieux retenir.

Précarité économique

Les habitants du campement ont obtenu un terrain de 4 hectares pour la construction de trois nouveaux bâtiments scolaires. Le député-maire Assalé Tiémoko a offert 10 tonnes de ciment, mais les travaux traînent. « Que l’Etat et des personnes de bonne volonté viennent aider le député pour que ce rêve puisse enfin voir le jour. Nous avons besoin de l’école, de l’électricité, de l’eau », plaide Kouamé Kouakou, membre fondateur de l’école communautaire.

Pour le directeur de l'EPP 1 du groupe scolaire de Koyekro, Alexis Brou Kouassi, le problème réside avant tout dans la précarité économique de la population. « L'État doit prendre en charge la construction de ces écoles. Les parents veulent aider, mais ils n’ont pas les moyens. Il devrait y avoir une école dans chaque localité de 1 000 ou 500 habitants », insiste-t-il. Il propose également un meilleur encadrement des écoles communautaires pour qu'elles deviennent des établissements à part entière, car les élèves viennent de là avec beaucoup de lacunes, même si souvent, ils savent un peu lire.

Brou Kouassi Alexis , directeur de l’EPP 1 du groupe scolaire de Koyekro. L’Etat doit prendre en charge la construction des écoles . Les parents n’en ont pas les moyens


24 km pour recharger le téléphone

Malgré ces défis, le campement Tapékro, situé à 12 km de Koyekro, a trouvé une alternative en créant sa propre école. A l’instar des autres localités, ce campement de plus de 500 habitants vit les mêmes difficultés en matière, d'électricité et d'eau potable. Les élèves y étudient à la lumière des téléphones portables. « Quand le téléphone se décharge, il faut aller à Koyekro pour le recharger et le récupérer le lendemain. On parcourt donc 24 km en aller et retour. Les enfants et même les enseignants ne se lavent pas toujours avant d’aller à l’école. Comment un enfant peut-il étudier dans ces conditions ? », se plaint Clémentine Konan, la présidente des femmes de la localité.

Les enseignants ne sont pas épargnés par ces conditions de travail précaires. « Nous sommes six enseignants pour 170 élèves venant de différents campements également. Nous manquons de tout. Bâtiments, matériel didactique, eau, latrines... Quand il pleut, il fait sombre, et il devient difficile de travailler. Nous sommes obligés de forcer pour finir le programme », explique le directeur de l'école Tapékro, Inza Traoré. Le mauvais état de la voie qui mène au village est également un problème majeur, indique l’enseignant.

Dans cette localité de la sous-préfecture de Moroko, les acteurs du système éducatif, enseignants, parents et élèves plaident pour la construction d’établissements proches des populations, l’accessibilité aux infrastructures de base, notamment l’électricité, l’eau et les centres de santé, en vue d’améliorer leurs conditions de vie. Selon une étude du site de l’Institut international de planification et d’éducation de l’Unesco, ces infrastructures favorisent la bonne santé des enfants et des instituteurs. Quant à la Banque mondiale, elle atteste, dans une étude, que « combler le besoin en infrastructures pourrait augmenter le PIB d’environ 2 points de pourcentage par an ».

Marina Kouakou


Encadré 2

Des cas de grossesses précoces signalés

Un rapport de l’ONU fait état de ce qu’une adolescente ivoirienne sur quatre a déjà été enceinte, avec le risque de quitter le système éducatif. Dans l’Agneby-Tiassa, principalement dans la sous-préfecture du Moroko, ces cas sont légions. Les adolescentes venant des localités telles que N’guessan Kankro, Kpougboussou, Alikro et bien d’autres n’en sont pas épargnées. Les longs trajets pour accéder au savoir les exposent aux risques de grossesses. L’année dernière Vanessa et Evelyne, âgées respectivement de 13 et 14 ans, en ont fait les frais.

« Entre midi et deux, les élèves ne savent pas où aller. Certains conducteurs des mototaxis les abordent et profitent de leur vulnérabilité. Vu les conditions de précarité, plusieurs tombent dans le panneau et finissent par tomber enceintes », raconte l’enseignant Alphonse Yao. Ces grossesses précoces font également monter le taux d’absentéisme scolaire dans la région. « L’amélioration des conditions de vie pourrait réduire ce phénomène», suggère-t-il.

Un conducteur de mototaxi de la zone, qui préfère garder l'anonymat, confirme cette réalité. « Plusieurs de mes collègues préfèrent aborder ces jeunes filles parce qu’ils savent qu’elles vivent difficilement », témoigne le jeune homme.

Selon une étude du Conseil national des droits de l’homme (CNDH), sur les grossesses en milieu scolaire, 4 137 cas de grossesse en cours de scolarité ont été enregistrés, entre septembre 2023 et mai 2024, sur le territoire national ivoirien. Soit une augmentation de l’ordre de 15,30% comparativement à l’année scolaire 2022-2023. L’Agneby-Tiassa, avec 201 cas, fait partie des régions où les chiffres les plus élevés ont été enregistrés.

M. K.


Encadré 3 :Des centres de santé aussi éloignés que les écoles

Comme pour les établissements scolaires, les habitants de N’guessan Kankro, Kpougboussou et Tapékro doivent parcourir de longues distances avant d’accéder aux soins. « Kpougboussou est à 10 km du centre de santé Affikro. Il faut faire 20 km en aller et retour. Nos femmes enceintes accouchent beaucoup au village, car c’est un moment imprévisible. Si nos mamans tradipraticiennes n’existaient pas, il y aurait beaucoup de dégâts », explique Kouamé Koffi, un habitant du village. Les populations de N’guessan Kankro sont à 8 km du centre de santé le plus proche, quand ceux de Tapékro en sont beaucoup plus éloignés, à 15 km. Cette distance, associée au mauvais état de la route, cause de nombreuses peines aux habitants dudit campement.

« Il n’y a pas si longtemps, l’enfant de mon petit frère était en train de mourir aux environs de 2 heures du matin. Nous avons appelé l’ambulance mais il a rebroussé chemin à cause de l’état de la route. Nous avons cherché deux motos pour pouvoir faire le chemin. En cours de route, l’enfant s’est évanoui ; nous avons utilisé l’eau dans les nids de poule pour pouvoir rafraîchir son visage afin de le faire réagir. Cet enfant de 9 ans est en classe de CE1 dans notre établissement », raconte, le visage anxieux, Pierre Koffi, président des jeunes de la localité.

Cet enfant, est l’aîné de jumelles décédées en l’espace d’un an, dans les mêmes conditions de précarité. « En 2022 et en 2023, mes filles sont décédées. Elles sont tombées malades la nuit, le temps de rejoindre l’hôpital, c’était trop tard. La dernière fois, quand mon mari transportait l’aîné, tout est revenu à la surface. Je n’ai pas pu dormir, j’ai pensé au pire », rapporte la mère des enfants concernés, Ahou Léa Kouassi, les yeux remplis de larmes.

Les enseignants également souffrent de ces difficultés d’accès aux soins. Le directeur de l’école de Tapékro, Inza Traoré, revient d’une hospitalisation de deux mois. « J’étais sur Abidjan puisque nous ne sommes pas dans de bonnes conditions ici. L'état de la route ne facilite pas la tâche. Lorsque je suis en face des enfants qui ne peuvent pas justifier leur absence, je m’en tiens aux paroles des parents. Je trouve des solutions pour rattraper le retard de l’enfant concerné », explique celui qui est parfois obligé d’arrêter subitement d’enseigner, pour faire face aux urgences sanitaires des élèves dont les parents sont absents.

Pour pallier ces situations de détresse sanitaire, il faudrait mettre à disposition des centres de santé de proximité se rapprochant des normes internationales : « la distance à couvrir pour se rendre dans la structure sanitaire la plus proche doit être la plus courte possible, au maximum 5 km ».

M. K.













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