En Côte d’Ivoire, des cas successifs de suicide ont été observés ces dernières années. Cela a réveillé les discussions autour de ce sujet souvent perçu comme un phénomène occidental.
À trois reprises, Nourah Gbané a tenté de mettre fin à ses jours. Après chaque tentative, elle a dû faire face aux leçons de morale de son entourage, qui la jugeait sans vraiment « comprendre » son ressenti. Aujourd’hui, elle éprouve encore des difficultés à en parler. « Quand tu penses avoir abrégé tes souffrances en cherchant à te donner la mort et que, par la suite, tu te réveilles en t’apercevant du contraire, tu te sens plus minable qu’avant. Parce que même volontairement te supprimer la vie, tu n’arrives pas à le faire correctement », confie-t-elle.
En cherchant de l’aide pour ses troubles psychologiques, elle a constaté qu’il existait très peu, voire aucun organisme dédié aux personnes souffrant des mêmes troubles. Cela l’a poussée à créer Together, une ONG qui accompagne les personnes en difficultés psychologiques. Cette initiative est aussi un exutoire pour elle. « Aider les gens me permettait d’aller mieux. Cela donnait un sens à ma vie, un but auquel m’accrocher », affirme Nourah Gbané.
Comme elle, de nombreuses personnes en Côte d’Ivoire tentent de mettre fin à leurs jours. Les histoires de suicides, réussis ou manqués, sont souvent relayées par les médias ivoiriens et alimentent les discussions. Le mois de juillet 2024 a enregistré, à lui tout seul, plusieurs cas de suicide, rendus publics par les plateformes de sécurité sur les réseaux sociaux. Le 9 juillet 2024, Francis K., officier supérieur de gendarmerie d’Attécoubé, a sauté du pont Charles de Gaulle et s’est noyé dans la lagune Ebrié. Après deux jours de recherches, les plongeurs du Groupement des Sapeurs-Pompiers Militaires (GSPM), ont retrouvé son corps. Il était marié et père de quatre enfants. Le 23 juillet, un autre homme s’est suicidé en plongeant dans la lagune depuis le pont Henri Konan Bédié. Quelques jours plus tard, le 30 juillet, une femme a mis fin à ses jours en se jetant du haut du pont Charles de Gaulle dans la lagune.
Des chiffres préoccupants
Ces histoires ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres. La Côte d’Ivoire enregistre le troisième taux le plus élevé de suicides en Afrique, avec 23 cas par an, selon une étude de l’unité de médecine légale du service d’Anatomopathologie du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Treichville. Cette étude a été réalisée sur une période de huit ans, du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2020.
Par ailleurs en 2021, une étude sur la prévalence du suicide, menée entre 2019 et 2021 par le Programme national de santé mentale (PNSM) et financée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a permis d’obtenir des données précises sur le taux de prévalence des suicides en Côte d’Ivoire. Les principaux résultats indiquent que 418 cas de suicide et 927 tentatives de suicide ont été signalés entre le 1er janvier 2019 et le 31 décembre 2021. Les tranches d’âge les plus concernées par le suicide étaient les adultes de 35 à 59 ans (46,31 %) et les jeunes adultes de 25 à 34 ans (25,36).
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Médard Koua Asseman, Coordinateur du PNSM affirme que le taux de prévalence des suicides n’a pas augmenté en 2024, par rapport au premier semestre de 2023. Selon lui, le sujet serait simplement plus médiatisé. Il a tenu ces propos lors d’une interview avec nos confrères du journal Le Monde.
Ce que disent les religions
Dans les religions chrétiennes et musulmanes, le suicide est vu comme un crime de lèse-majesté. C’est ce que relève l’imam Soro Vamara. « S’ôter la vie est un crime majeur dans l’islam. Notre vie est la propriété de Dieu. Il faut en prendre soin jusqu’à ce que lui-même décide de nous la retirer », indique l’Iman qui conseille aux musulmans qui ont des esprits suicidaires de s’investir dans la prière pour surmonter ce moment.
Pour le révérend Eric M’Balla, toute pensée suicidaire est la manifestation d’un démon qui pousse l’individu à s’arracher la vie. « Une personne qui se suicide ira directement en enfer. La vie est un don que Dieu a fait chaque humain, l’homme n’est juste qu’un gestionnaire d’une vie qui ne lui appartient pas ».
Pression psychologique
Dr. Ameda N’Gbesso, psychologue de son état, indique que le désir de se suicider est provoqué par une souffrance psychologique due à l’environnement social. « Cela peut être la perte d’un être cher ou d’un emploi, un sentiment d’insécurité ou un stress qui exerce une pression psychologique sur l’individu. Cette pression peut affecter l’humeur et le comportement de la personne », souligne le psychologue. Il précise que, pour les personnes au bord du suicide, la mort est perçue comme le seul moyen de mettre fin à la souffrance qu’elles ressentent.
Pour aider les personnes traversant ces troubles émotionnels, il recommande de ne surtout pas les juger. « Il faut essayer de les comprendre et les encourager à consulter un spécialiste. C’est la meilleure manière d’aider une personne en détresse », ajoute t-il.
Parler pour briser le silence
Éduquer, sensibiliser, briser le silence : c’est ce que Raïssa Kouadio a tenté de faire en 2020. Avec l’aide de la communauté Jeunes Blogueurs, dont elle faisait partie, elle a lancé une campagne en ligne intitulée « Comment te sens-tu ? ». Pendant un mois, les membres de cette communauté ont utilisé les réseaux sociaux, la radio et leurs blogs personnels, pour atteindre un large public. Ce projet, visait à lutter contre la dépression et le suicide chez les jeunes. Il est né d’un sentiment de frustration de l’initiatrice, face au « silence persistant et aux perceptions floues et taboues » autour de la santé mentale.
« On dit souvent que la dépression est une maladie des Blancs, que ceux qui en souffrent sont fous, qu’il faut être lâche pour se suicider, ou encore que les gens font semblant pour attirer l’attention. »
Pour de nombreux Ivoiriens, la dépression qui peut mener au suicide est encore souvent perçue comme un « phénomène de Blancs », importé d’Occident. Cette perception freine une prise en charge adéquate des victimes, qui restent parfois dans le déni. « Trop souvent, la dépression est vue comme une faiblesse, une réaction émotionnelle que l’on doit surmonter seul, sans aide extérieure. Ce stéréotype est l’une des principales raisons pour lesquelles, nombre de personnes souffrent en silence et n’osent pas parler de leur mal-être », déplore Raïssa Kouadio.
Nourah Gbané, fondatrice de l’ONG Together, partage cet avis. Elle énumère les idées reçues qui persistent autour de la question du suicide en Côte d’Ivoire. « On dit souvent que la dépression est une maladie des Blancs, que ceux qui en souffrent sont fous, qu’il faut être lâche pour se suicider, ou encore que les gens font semblant pour attirer l’attention », déplore-t-elle. Pour elle, il est impératif d’éduquer et de sensibiliser la population sur la santé mentale.
La dépression n’a pas toujours un visage visible. C’est ce que Raïssa Kouadio s’évertue à expliquer. « De nombreuses personnes souffrant de dépression cachent leur mal-être derrière un sourire. C’est un aspect souvent ignoré. Les symptômes internes, comme la détresse émotionnelle ou l’angoisse, peuvent être dissimulés. Cela rend encore plus difficile la détection de la maladie ». Pour y remédier, elle recommande de multiplier les campagnes de sensibilisation et de plaider pour une plus grande ouverture sur le sujet, afin que ceux qui souffrent en silence se sentent encouragés à parler et à chercher de l’aide.
Un numéro vert pour une prise en charge
En Côte d’Ivoire, depuis mars 2023, un numéro vert a été mis en place pour toute personne souffrant de dépression. Il s’agit du 143, du Ministère de la Santé, de l’Hygiène publique et de la Couverture Maladie universelle, renforcé pour constituer la première ligne d’aide psychologique. Les bénéficiaires sont orientés vers l’équipe de psychologues vacataires rattachés à la Direction de Coordination du Programme national de Santé mentale (DC-PNSM). Les services offerts sont anonymes et entièrement gratuits.
De Lima Soro