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Politique

Dans le trou de la démocratie américaine

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L’expérience démocratique états-unienne est un objet de fascination depuis ses balbutiements. Prétextant étudier le système pénitentiaire, les magistrats et aristocrates français Alexis de Tocqueville et Gustave de Beaumont ont voyagé à travers les États-Unis en 1831 et 1832 afin de la voir de plus près. Ils ont observé dans ce pays non seulement « ses habitants, ses villes, ses institutions, ses moeurs », mais aussi « le mécanisme de son gouvernement républicain ». Tocqueville a tiré de ce séjour de 10 mois deux ouvrages emblématiques : De la démocratie en Amérique et Quinze jours dans le désert. Le Devoir a suivi leurs pas, 193 ans plus tard, au moment où cette démocratie paraît plus menacée que jamais.


La Nouvelle-Orléans, en Louisiane, longtemps la championne mondiale de l’emprisonnement.

Alexis de Tocqueville et Gustave de Beaumont sont dégoûtés de voir « des hommes confondus pêle-mêle avec des pourceaux, au milieu de toutes les ordures et de toutes les immondices » lors de leur visite de la prison de La Nouvelle-Orléans durant les premiers jours de l’année 1832. « En renfermant les criminels, on ne songe point à les rendre meilleurs, mais seulement à dompter leur méchanceté ; on les enchaîne comme les bêtes féroces ; on ne les corrige pas, on les abrutit », notent-ils dans le rapport Système pénitentiaire aux États-Unis et de son application en France.


Le rapport des deux Français fait grand bruit. Il pousse même les autorités de La Nouvelle-Orléans à réduire un tant soit peu la surpopulation carcérale en aménageant d’autres lieux de détention, raconte le guide du musée de l’Historic New Orleans Collection, Kurt Owens, à quelques visiteurs agglutinés autour de lui.

« Il est important que nous n’essayions pas de résoudre quoi que ce soit ici aujourd’hui », avertit Kurt Owens, après avoir pris grand soin de construire un espace positif (« safe space ») permettant à toutes les personnes qui le suivent d’être « à l’aise » durant la visite de l’exposition Un État captif (A Captive State), pourvu qu’elles soient animées des « meilleures intentions ».


Près de 200 ans après le séjour de Tocqueville et de Beaumont, les conditions de vie des prévenus et des détenus de la Louisiane demeurent extrêmes. La température a frôlé les 55 degrés Celsius durant l’été dans le mégapénitencier situé sur le site de l’ancienne plantation Angola dans le nord-est de l’État.

« Les institutions de l’esclavage et de l’incarcération de masse sont historiquement liées » sur ce territoire passé entre les mains de la France (1682-1762), de l’Espagne (1762-1800), de la France (1800-1803) et des États-Unis (1803-), dit posément Kurt Owens au milieu de l’exposition.

D’ailleurs, les hommes incarcérés dans « l’Alcatraz du Sud » — qui est le plus grand établissement de détention à sécurité maximale des États-Unis — sont contraints de planter et de cueillir du chou, du maïs, du gombo, du soja, du blé, entre autres choses, et ce, sans outils et équipements de sécurité adéquats, dénonce The Promise of Justice Initiative, un groupe militant contre l’incarcération de masse, y voyant des efforts de punition plutôt que de réadaptation des autorités.

50 000 Louisianais derrière les barreaux

La Louisiane arrive au deuxième rang mondial pour son taux d’incarcération (1067 par 100 000 habitants), juste derrière le Salvador (1086 par 100 000 habitants) et loin devant le Canada (88 par 100 000 habitants), selon Prison Policy Initiative. « La Louisiane enferme un pourcentage plus élevé de sa population que n’importe quel autre [État, et même que n’importe quel] pays démocratique indépendant de la planète », souligne à gros traits l’ONG américaine non partisane vouée à « mettre en évidence les effets néfastes de la criminalisation de masse ».

En Louisiane, une personne pouvait croupir en prison après avoir été reconnue coupable d’un acte criminel par la majorité des membres d’un jury (9 jurés sur 12, puis 10 jurés sur 12), jusqu’à ce que la Cour suprême des États-Unis statue en 2020 que les verdicts de culpabilité doivent être unanimes dans les procès criminels, peu importe l’État où ils se tiennent.

Les personnes noires sont fortement surreprésentées dans la population carcérale. Elles forment moins du tiers de la population louisianaise, mais les deux tiers de la population derrière les barreaux.

« Ce qu’ils font maintenant, systématiquement, c’est qu’ils vous gardent dans les prisons, avec des peines minimales obligatoires. Si vous n’avez pas le bon avocat, vous écopez d’une peine d’emprisonnement deux fois plus longue que quelqu’un d’autre », affirme Turone Sledge, un Afro-Américain de Cleveland en vacances dans le sud des États-Unis. « Quelqu’un comme Trump peut commettre 34 crimes en une journée. Si je commets 34 crimes, vous ne me verrez plus jamais. »

Privé de liberté, privé de vote

Aux États-Unis, les personnes accusées ou reconnues coupables d’un acte criminel sont dépouillées de leur droit de vote dès qu’elles sont incarcérées, sauf à Washington D.C., dans le Maine et le Vermont.

Dans certains États, elles sont aussi privées de leur droit de vote lorsqu’elles sont en probation ou en liberté conditionnelle.

Plus de 4,6 millions d’Américains ayant été reconnus coupables d’une infraction criminelle ont été privés de leur droit de vote lors des élections de mi-mandat de 2022, dont un nombre disproportionné de citoyens noirs et latino-américains.


Aux États-Unis, les personnes accusées ou reconnues coupables d’un acte criminel sont dépouillées de leur droit de vote dès qu’elles sont incarcérées, sauf à Washington D.C., dans le Maine et le Vermont.

Au Canada, les citoyens incarcérés peuvent voter par bulletin spécial à une élection ou à un référendum, a tranché le plus haut tribunal du pays en 2002.

Rencontré dans un coin des États-Unis où tout le monde connaît quelqu’un qui est ou a été emprisonné, Al ne pourra pas participer aux élections du 5 novembre prochain. « Je ne peux pas voter. Je suis un criminel », dit l’homme noir sans ambages. « Il y a beaucoup de choses à faire pour ravoir le droit de vote. Ça ne se fait pas en un claquement de doigts », poursuit-il, accompagné de son fils, jeune adulte, Al, troisième du nom.

Dans certains États, un ex-détenu doit payer des frais élevés ou obtenir le pardon du gouverneur pour se voir autorisé à voter de nouveau.

.Cela dit, 26 États ont étendu le droit de vote à environ 2 millions de détenus ou d’ex-détenus depuis 1997. Malgré ce doux vent de réforme, la lutte pour ravoir la possibilité de voter apparaît pour le moment secondaire pour plusieurs, y compris Al.

L’ex-détenu se demande à haute voix pour qui et pour quoi il voterait cet automne, s’il en avait l’occasion. « Ça ne peut pas être “pour la liberté”. Des gens qui ressemblent à mon fils et à moi-même se font encore tuer pour rien. La liberté n’arrivera probablement jamais », dit le croyant, avant d’ajouter : « Je ne pense pas que les Noirs auront une chance sur cette Terre avant que Dieu revienne et nous sauve. » Son garçon acquiesce d’un signe de tête.

Égalité dans l’impuissance

À l’intérieur du musée de l’Historic New Orleans Collection, des élèves de l’école secondaire Frederick Douglas examinent avec une certaine incrédulité une cellule reconstituée montrant les conditions de vie dans les geôles de l’État. « C’est affreux », lâche l’un d’eux.

Non loin, le guide Kurt Owens montre l’une des courtepointes confectionnées et vendues par des hommes incarcérés sans possibilité de libération conditionnelle à « Angola » afin d’amasser des fonds pour offrir des services à leurs codétenus en fin de vie. Aux États-Unis, plus de 4000 personnes mourraient chaque année en prison au tournant des années 2020, avant que la COVID-19 ne frappe l’Amérique.

Puis, le guide amène les visiteurs dans une salle de conférence où ils peuvent finalement « agir » pour améliorer le sort des détenus et des ex-détenus : en signant une pétition pour mettre fin aux prisons-plantations, pour convaincre les membres du Congrès d’abroger la clause d’exclusion des programmes Medicare et Medicaid frappant les personnes incarcérées, pour « retirer la case » sur les antécédents criminels des formulaires de demande d’emploi, ce qui accroîtrait « les chances » des ex-détenus de décrocher un emploi…

À défaut d’action, les prisons américaines continueront d’offrir le triste spectacle « du plus complet despotisme » observé par Alexis de Tocqueville et Gustave de Beaumont il y a près de 200 ans.

La législation civile et criminelle des Américains ne connaît que deux moyens d’action : la prison ou le cautionnement. Le premier acte d’une procédure consiste à obtenir caution du défendeur, ou, s’il refuse, à le faire incarcérer ; on discute ensuite la validité du titre ou de la gravité des charges. Il est évident qu’une pareille législation est dirigée contre le pauvre, et ne favorise que le riche. Le pauvre ne trouve pas toujours de caution, même en matière civile, et, s’il est contraint d’aller attendre justice en prison, son inaction forcée le réduit bientôt à la misère. Le riche, au contraire, parvient toujours à échapper à l’emprisonnement en matière civile ; bien plus, a-t-il commis un délit, il se soustrait aisément à la punition qui doit l’atteindre : après avoir fourni caution, il disparaît.— Alexis de Tocqueville

Marco Bélair-Cirino





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