Les termes « États clés » ou « États pivots » reviennent souvent dans la couverture électorale. Ils désignent les États américains qui ne sont acquis ni au Parti républicain ni au Parti démocrate et qui pourraient donc faire « basculer » l’élection — d’où le terme « swing states » en anglais.
Sept États sont considérés comme étant des pivots pour l’élection présidentielle du 5 novembre 2024 : l’Arizona, la Géorgie, le Michigan, la Pennsylvanie, le Wisconsin, la Caroline du Nord et le Nevada.
Les sept États clés pour les élections américaines de 2024
Le Devoir a demandé à la professeure états-unienne Emily Regan Wills, qui enseigne la politique comparée à l’Université d’Ottawa, de nous éclairer. Voici notre entrevue.
Qu’est-ce qu’un État clé ?
Les États clés sont ceux où une marge très mince sépare les deux partis lors de l’élection présidentielle. Dans le système électoral américain, le président est choisi par le collège électoral, au sein duquel chaque État a un nombre de voix proportionnel à sa taille. Pour tous les États sauf deux, il s’agit d’un système « le gagnant remporte tout » ou « winner-take-all », de sorte que si un candidat gagne avec une très faible marge, il reçoit tout de même 100 % des votes de cet État.
Lorsque ces États ont un grand nombre de voix au collège électoral, ils peuvent avoir un effet considérable sur l’élection — puisqu’un candidat remportant quelques États importants avec seulement quelques voix d’avance peut facilement gagner la présidence même si moins de personnes, dans l’ensemble, ont voté pour lui.
Est-ce que les États clés changent d’une élection à l’autre ?
Oui, les États clés évoluent dans le temps. Par exemple, la Floride était considérée comme un État pivot depuis son rôle dans l’élection controversée de 2000, mais [elle ne l’est plus], parce que Trump a remporté la Floride haut la main en 2016 et en 2020, et qu’il est en bonne posture en ce moment.
Le Michigan et l’Arizona ont fait l’objet de beaucoup plus d’attention depuis 2016, puisque l’élection de Trump dans le Michigan a joué un rôle majeur dans sa victoire en 2016, et que les deux États ont joué un rôle essentiel dans la victoire de Biden en 2020, ainsi que dans la stratégie de Harris pour 2024.
Des caractéristiques communes sont présentes dans les États pivots, comme le fait d’être assez grand pour disposer d’un nombre de voix suffisant au collège électoral justifiant une campagne intense. Cela n’aurait pas d’importance si, par exemple, la marge entre les candidats du Delaware était très mince, car le Delaware n’a que trois voix au collège électoral, le minimum pour un État.
La plupart des États susceptibles de faire basculer le vote ont aussi un certain équilibre dans leur population entre les habitants des grandes villes (qui ont tendance à voter démocrate) et ceux des banlieues et des zones rurales (qui ont tendance à voter républicain). […]
Parmi les sept États clés de l’élection de 2024, est-ce qu’il y en a qui sont plus importants que d’autres ?
Je dois admettre que je suis de près la Pennsylvanie : c’est l’État d’où je viens, et la dynamique politique y a été très intéressante ces dernières années.
Le Michigan est aussi particulièrement important pour cette course, puisque c’est le seul État où les électeurs arabo-américains sont suffisamment nombreux pour influencer de manière significative le résultat de l’élection. Bien qu’ils aient voté de manière constante pour les démocrates depuis le début des années 2000, ils sont très mécontents du gouvernement Biden [en raison de sa posture] dans la guerre qu’Israël mène à Gaza. […]
La Géorgie et l’Arizona m’intéressent également, car il s’agit d’États qui ont toujours voté républicain, mais qui, en partie grâce à la mobilisation électorale accrue des communautés racisées, commencent à bouger. […]
Est-ce que ces États reçoivent plus d’attention et donc plus de promesses et d’argent pour résoudre leurs problèmes ?
C’est certain que les États pivots font l’objet d’une plus grande attention pendant la saison électorale.
Par exemple, lorsque je vivais dans le Connecticut (un État solidement démocrate), les candidats à la présidence y faisaient rarement campagne, et lorsque je vivais à New York (également solidement démocrate et le troisième détenteur de votes du collège électoral), leur campagne portait essentiellement sur la collecte de fonds auprès de grands donateurs. Peu de publicités politiques étaient diffusées à la télévision, et la plupart d’entre elles concernaient des candidatures d’ordre local.
Mais, en Pennsylvanie, l’attention portée aux élections est constante tout au long du cycle de l’élection présidentielle. Lorsque je regardais la télévision à Philadelphie au mois d’août, il arrivait souvent qu’au cours d’une même pause publicitaire, trois ou quatre publicités pour Harris ou pour Trump étaient diffusées soit par leurs propres campagnes, soit par des comités d’action politique.
La question de savoir si cela se traduit par des avantages en dehors de la saison électorale est plus complexe. Une grande partie des dépenses fédérales est dictée par le Congrès, où tous les représentants et sénateurs tentent d’obtenir des fonds pour leurs districts.
Toutefois, les politologues Douglas L. Kriner et Andrew Reeves ont mené des recherches intéressantes qui ont montré que, oui, les comtés situés là où il y a une grande concurrence électorale reçoivent davantage de fonds que ceux situés dans des circonscriptions « sûres », et que cela a exactement l’effet escompté sur les électeurs : ils soutiennent davantage un candidat qui apporte des investissements à leur communauté qu’un candidat qui n’en apporte pas.
Magdaline Boutros
