Hier,6 octobre 2024, les 9,7 millions de Tunisiens inscrits sur les listes électorales, étaient convoqués aux urnes pour départager le président sortant et candidat à sa propre succession, Kaïs Saied et les deux autres candidats autorisés à briguer avec lui la magistrature suprême du pays. Mais de l’avis de nombreux observateurs de la scène politique tunisienne, ce scrutin est sans saveur parce que dépourvu de tout suspense. Kaïs Saied est, en effet, parti pour gagner la compétition en roue libre non seulement à cause de la prime au candidat sortant qui a toujours l’avantage d’un bilan à défendre, contrairement aux autres concurrents qui n’ont que leur rêve à vendre, mais surtout à cause du tour de vis qu’il a donné au processus électoral pour s’assurer de la victoire. L’on sait, en effet, que le président-candidat a verrouillé, à l’aide d’une clé à plusieurs tours, le scrutin de l’intérieur. Le premier tour a consisté à mettre sous contrôle l’autorité électorale tunisienne. Depuis la réforme constitutionnelle d’avril 2022 que l’opposition tunisienne d’ailleurs a qualifiée d’attentat contre la loi fondamentale, le président Kais Saied est le seul à pouvoir nommer les 7 membres de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE).
Ces candidats que le président s’est choisis à des fins d’escorte, n’ont aucune chance de l’emporter face à lui
L’on peut donc, sans trop grand risque de se tromper, dire que c’est une commission aux ordres qui a eu pour charge de préparer l’élection présidentielle avec pour mission principale d’assurer la victoire du prince régnant. Le second tour de clé a consisté à écarter tous les candidats sérieux, de la liste, pour ne garder que des challengers motards. L’on se rappelle que pour le scrutin de 2019, la compétition avait enregistré 26 candidatures. Pour l’élection de 2024, bien au contraire, le casting électoral organisé par le pouvoir, n’a autorisé que 2 candidats à faire face au président et cela malgré les protestations de l’opposition. Et il faut le dire, ces candidats que le président s’est choisis à des fins d’escorte, n’ont aucune chance de l’emporter face à lui. A titre illustratif, l’un des candidats est inquiété par la justice. Ayachi Zammel a, en effet, été condamné ces dernières semaines à près de 14 ans de prison dans plusieurs affaires où il est accusé de « faux parrainages ». Pour la campagne présidentielle, ses partisans n’ont été autorisés qu’à partager ses vidéos enregistrées avant son arrestation le 2 septembre dernier, le jour même de la validation de sa candidature par la commission électorale. A moins de rêver donc d’un scénario à la sénégalaise, l’on ne voit pas comment cet opposant peut gagner du fond de son cachot, la compétition. Enfin le dernier tour de vis donné au processus électoral est la révision à la dernière minut,e des règles électorales. En effet, 9 jours exactement avant le scrutin, il est intervenu une révision de la loi électorale qui a consisté essentiellement à transférer l’arbitrage du contentieux électoral à la Cour d’appel soit à la justice pénale, alors que jusque-là, cela relevait de la justice administrative.
L’inconnue dans cette affaire rondement bien préparée par le pouvoir, est le taux de participation au scrutin
Et selon certains analystes bien au parfum des affaires tunisiennes, « le problème de ce changement à la dernière minute, c’est que la Justice est devenue moins indépendante ces dernières années…les juges ont été mis au pas avec la dissolution en février 2022, du Conseil tunisien de la magistrature qui place la carrière des juges sous le contrôle de l’Exécutif ». Cette révision dans les derniers six mètres de l’élection, n’est donc qu’un massacre légal qui ne vise qu’à préparer le massacre électoral. Et là, il y a de quoi véritablement nourrir des regrets car c’est définitivement l’héritage du printemps arabe qui est ainsi enterré. Cela dit, si la victoire du président Kaïs Saied dont les dérives autoritaires sont bien connues des Tunisiens, semble acquise, l’inconnue dans cette affaire rondement bien préparée par le pouvoir est le taux de participation au scrutin. En effet, si le président ne fait pas mystère de son intention de gagner le vote par un score stalinien, de nombreux Tunisiens ont été tenaillés par le doute entre le boycott de l’élection et le fait d’aller voter pour affaiblir le score de Kaïs Saied. Mais la question est de savoir si les officines secrètes ne sont pas à la manœuvre pour fabriquer des chiffres au service de l’ambition présidentielle comme on le voit très souvent dans les régimes autoritaires.
Le tout n’est pas de gagner cette élection
Quoi qu’il en soit, le tout n’est cependant pas de gagner l’élection. Au sortir du scrutin, le président devra trouver des réponses au marasme économique du pays. L’économie du pays est pratiquement à l’arrêt avec un taux de croissance de 0,4% et un taux de chômage de plus de 16%. Il faudra donc plus que les discours nationalistes aux relents de xénophobie dont se délectent les partisans du pouvoir, pour faire face à la situation. Mais au-delà de la crise économique à laquelle doit faire face un Etat tunisien surendetté, la grande équation reste celle des libertés démocratiques avec un président qui, visiblement, a débranché tous les contre-pouvoirs pour concentrer dans ses seules mains, les rennes du pays. Mais sur ce plan, rien ne semble gagné quand on connait les forces d’ébullition du front social tunisien. A titre illustratif, l’on se rappelle les manifs gigantesques à l’appel des organisations syndicales de 2023. C’est donc dire qu’après ce triomphe sans gloire qui s’annonce, c’est la vraie bataille qui s’ouvre pour le président Kaïd Saied.
« Le Pays »