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Fanico

une réorientation de la transition afin d’éviter que le Gabon ne remplace “une dictature par une autre"

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Le 30 août 2023, aux lendemains de l’élection présidentielle, après un ultime et désespéré effort pour s’accrocher au pouvoir, le règne de 14 ans d’Ali Bongo Ondimba, celui que l’on aura appelé ailleurs le potentat « Émergent », à la tête du Gabon prit brusquement fin.

Pout tout observateur averti de la scène politique gabonaise, le putsch du 30 août fut prévisible tant les signaux d’effondrement de la gouvernance autocratique, capricieuse, et catastrophique, il faut le dire, des Bongo après presque soixante ans de pouvoir furent « au rouge ». Cependant, l’incursion ouverte des militaires de la Garde Républicaine, entrainant au passage avec eux d’autres acteurs de leur milieu sécuritaire, dans le jeu politique aura surpris plus d’un. Rien n’était acquis d’avance, surtout au vu de l’histoire politique connue du pays depuis 1964.

En août 2023, apparemment, les militaires, plus globalement les forces de défense et de sécurité (FDS), réunis sous le sigle du Comité de la Transition pour la Restauration des Institutions (CTRI), auront décidé d’agir, créant ainsi une nouvelle donne. Depuis lors, le Gabon est officiellement embarqué dans une transition politique dirigée par le Général Brice Oligui Nguéma, le « tombeur » des Bongo. Derrière des allures normales, le Gabon vit certainement au rythme de la junte au pouvoir et de « sa » Transition. Cette Transition dont elle vante tant de manière répétée et mécanique les mérites sans vraiment attendre sa conclusion et le jugement de l’histoire.

Cela dit, que retenir de la trajectoire actuelle de la Transition ? Est-elle émancipatrice ou ses bienfaits exagérés ? Dans l’ensemble, et c’est bien là la tragédie, l’on notera qu’un an après la chute de la « maison Bongo » et le pronunciamento du 30 août, les risques de dérive et de continuation du gouvernement autocratique et prédateur gabonais sont toujours bien présents.

Plusieurs actes posés depuis un an par cette Transition, dont le récent projet d’une loi fondamentale scélérate, la soi-disant nouvelle Constitution qu’il faut rejeter sans équivoque, illustrent bien cet immense danger d’une dérive absolue que court à nouveau la république.

Un discours initial cohérent assombri par le familier spectre de « l’homme-orchestre »

Tout d’abord, il faut souligner que même si nous n’avions pas célébré le putsch du 30 août, tant il fut un regrettable symbole de l’échec général de la gouvernance étatique postcoloniale et de la faiblesse des politiques gabonais à imaginer un avenir meilleur pour le corps politique tout entier, nous l’avions à tout le moins applaudi. En août/septembre 2023, nous partagions le sentiment exprimé par beaucoup que le putsch des militaires gabonais fut un moindre mal étant donné la sclérose ambiante et l’étreinte asphyxiante du précédent régime. Pour éviter une plus grande catastrophe nationale et aussi aller de l’avant, Il fallait trancher ce nœud gordien.

À la suite du coup, face aux questions sur la signification de son acte, s’il s’agissait d’une simple révolution de palais ou d’un réel essor patriotique, républicain, et démocratique, la réponse initiale de la junte prit la forme d’un discours séduisant et « libérateur ». Assurément, le réquisitoire contre les nombreuses injustices du passé du Général Oligui Nguéma, prononcé le jour du 4 septembre 2023, semblait démontrer une connaissance sincère et réelle des attentes et enjeux historiques du moment ainsi qu’un attachement profond à un idéal, peut-être pas démocratique mais à tout le moins républicain, émancipé des boulets d’un passé récent. En partie à cause de cela, au milieu de l’euphorie du renversement du potentat « Émergent », le bénéfice du doute lui fut donc accordé.

Pour autant, la parade aura duré le temps d’un discours, les actions de la junte et de son leader étant à rebours de leur parole. Tous ceux qui attendaient un peu plus de rectitude et de direction dans la gestion du pays ainsi qu’une vision nette du futur espéré des « animateurs » de la Transition seront plus que désappointés. Et à raison. Le dérapage, si en effet il y en a eu un, prend sa source dans la fameuse Charte de la Transition. En son sein, elle contenait déjà certaines dispositions contentieuses et franchement dangereuses. Ces dernières allaient à l’encontre même de la Charte puisque celle-ci déclarait dans son préambule « la nécessité d’une Transition démocratique inclusive et impartiale ».

En gros, en créant une exception au principe de neutralité et d’exclusion pour la prochaine élection présidentielle de tout acteur majeur de la Transition pour le seul leader de la junte, la Charte ouvrira, naturellement, la voie aux dérives en cours. Elle aura changé les calculs des uns et des autres, aussi bien des acteurs centraux que périphériques de la Transition, et énormément faussé le jeu dès le départ.

Officiellement, dit-on, le Président de la Transition est au-dessus de la mêlée. Au quotidien, toutefois, il demeure le familier « homme-orchestre » d’un temps pas si loin. Rien ne se fait sans la bienveillance du leader « éclairé » qui est, bien entendu, juge et partie. Nonobstant le fait qu’il soit au four et au moulin de la Transition, même si on veut faire croire autrement, il est censé être au-dessus des critiques puisque c’est grâce à lui que le Gabon est désormais « libre ». Ce qui s’applique aux autres, ne le concerne nullement. C’est lui le « chef ».

Critiquer ouvertement la junte et son chef sur la direction de cette Transition c’est où se montrer ingrat devant le ou les « libérateur (s) » ou bien commettre un crime de haute trahison contre la patrie en ces temps de « Libération ». Un dangereux glissement s’opère.

Ainsi donc, on passera très rapidement d’un Président de la Transition, leader « légitime », à un « Président de la République » en quête d’un futur plébiscite avec en ligne de mire, semble-t-il, la première présidentielle de l’après-Transition. Périodiquement, par le biais d’onéreuses tournées « républicaines » ou toute autre action savamment orchestrée, on reproduit les schémas classiques d’antan. Les nombreuses promesses et annonces à caractère purement électoralistes prolifèrent ainsi que les soi-disant ralliements à la cause du moment.

Plus ça change, plus c’est la même chose : statu quo et déni d’inventaire

D’entrée de jeu, une fois débarrassé du dernier potentat, s’il fut légitime pour la junte de s’attaquer dans l’immédiat aux problèmes les plus pressants de la population gabonaise, tels que l’accès à l’eau et l’électricité et certains chantiers en suspens, la priorité de la Transition se trouvait ailleurs. Son but n’était pas de magiquement s’atteler à régler les « mille et un » problèmes du pays avec au centre un « homme-orchestre ».

Plutôt son leader se devait de la guider, rassurer la société gabonaise sur ses intentions futures, et montrer l’exemple pour demain.

Poser les bases d’un renouveau citoyen et républicain et l’avènement d’un pouvoir démocratique basé sur le consentement populaire et résolument au service des gouvernés, et non des gouvernants, passait nécessairement par un choix judicieux du personnel politique et administratif animant cette Transition. Pour cela, il fallait du courage, pour neutraliser tous ces vrais prédateurs de la république et affronter le passé collectif, et de la modération, pour pouvoir distinguer le « bon grain de l’ivraie ». Il en allait résolument de la crédibilité de l’institution militaire et de la Transition.

Comme avec la Transition « bâclée et ratée » de 2009, celle de 2023 a pris une autre tangente, commettant ainsi, et ce n’est pas encore fini, de très grosses erreurs qui la plombent et décrédibilisent véritablement. En effet, sous prétexte d’associer tous les gabonais et gabonaises à cette Transition et de « travailler avec tout le monde », la junte a ramené, ou conservé, au pouvoir un bon nombre de cadres, les apparatchiks du PDG, ayant pris part, ou contribué, au malaise actuel. La recherche d’un équilibre de compétences humaines entre « anciens » et « nouveaux » ayant été mise de côté. Actuellement, on retrouve au sein de la Transition des acteurs dont on ne sait réellement pour qui ils roulent. On joue la partition comme avant.

Plus grave encore pour la construction d’un réel état de droit et la lutte contre l’impunité, par son choix des « animateurs » de la Transition et bien d’autres actions connexes, la junte a envoyé le message que le passé et les actes passés de tout détenteur de la puissance publique ne comptent pas. L’impunité est, et demeure, la règle générale au Gabon aussi bien hier que maintenant.

De la même manière, en occultant les vraies questions à traiter durant cette Transition, auxquelles la mise en place d’un inventaire intégral du passé aurait répondu, la junte a freiné le nouvel « essor » tant vanté. Et pourtant, au vu du contexte qui a précipité les évènements du 30 août et du fait de leur position théoriquement apolitique et missions officielles de protection des personnes et des biens et de sauvegarde et défense de l’intégrité territoriale de la nation, la junte et les FDS semblaient être outillées pour mettre en branle les conditions d’un véritable débat sur le passé. Ce moment, elles l’ont raté.

Au bout du compte, ce déni d’inventaire, inévitablement, nous amène à la situation présente d’allure de vendetta et de chasse aux sorcières « ciblée » sur certaines personnes, particulièrement les « enfants-là » du régime Bongo-Fils, au lieu d’une quête véritable de justice et de droit. Peu importe ce que l’on puisse penser des actions de ces personnes qu’on accuse de tout et de rien, elles bénéficient de la présomption d’innocence et doivent être traitées conformément, et ce, même si elles n’auront pas accordé ces privilèges à d’autres par le passé.

Il ne s’agit pas ici de défendre ceux dont hier encore on condamnait vertement les pratiques, mais plutôt de rappeler qu’au lendemain du 30 août la construction d’un état de droit fondé sur un inventaire du passé aurait dû être l’antienne de la junte au pouvoir. Pas défendre le statu quo et se lancer dans des règlements de comptes sélectifs.

Du prétendu dialogue national inclusif au projet de nouvelle loi fondamentale scélérate

En parlant brièvement du prétendu « dialogue national inclusif », on n’aura pas assez de mots forts et durs pour qualifier ses conclusions finales. Ainsi, on est en droit de se demander que fut l’objet réel de cette rencontre et quelles sont les questions qui l’auront motivé pour arriver à de telles recommandations, surtout dans le cas de cette proposition de nouvelle loi fondamentale ignominieuse. À l’extrême monopolisation du pouvoir depuis au moins les indépendances par la seule institution de la présidence de la république, un des fondements importants du potentat postcolonial gabonais, les participants au DNI conclurent qu’il fallait encore plus renforcer les pouvoirs de celle-ci.

Par cette conclusion aberrante de « plus de dictature pour combattre la dictature », à rebours de nombreuses études sur le sous-développement politique et économique en Afrique en général, le « dialogue » ouvrait grand la porte à la continuation de l’autocratie gabonaise.

Ces risques ne sont plus théoriques puisque la proposition de nouvelle loi fondamentale, celle qui circule actuellement et dont la junte et ses auxiliaires appellent à voter « oui » depuis plusieurs mois avant même que le texte n’ait été rendu public, reprend les conclusions abjectes du « dialogue » pour installer un nouveau monarque à la tête du pays. Ce dernier, « détenteur exclusif » du pouvoir exécutif, est en même temps chef de l’État et de gouvernement et a le champ libre pour gouverner sans contrepoids réels. Il est assisté d’un vice-président de la république et un vice-président du Gouvernement, tous deux nommés par lui-même et responsables devant lui et non le peuple gabonais.

La loi est complétement reléguée de côté puisque c’est le nouveau monarque qui fixe à sa guise par décret les attributions des membres du gouvernement. Toutefois, ces derniers, qui sont essentiellement de simples figurants, et c’est là l’ironie, sont pénalement responsables des actes commis par le seul monarque. Celui-ci reste au-dessus de la loi. Il est même la loi on peut dire. In fine, à la lecture de ce projet de nouvelle loi fondamentale, il est apparent qu’aucun arrangement institutionnel et pratique existe pour rendre Ce président de la République responsable vu sa prépondérance dans le système proposé.

On s’attardera un moment sur cette importante question des conditions d’éligibilité à la magistrature suprême du pays de tout gabonais ou gabonaise voulant servir son pays. Encore là, comme durant le « dialogue », la confusion sur les racines du problème, et donc les solutions proposées (un tas de conditions saugrenues et inutiles), est totale. Au lieu de s’attaquer à la capture du pouvoir par un « homme-orchestre », capture qui est foncièrement à la base des problèmes du pays, le projet de nouvelle loi fondamentale pointe faussement du doigt la question de la nationalité et de prétendus étrangers usurpateurs du pouvoir politique et administratif national.

Dans tout ce délire, il faut bien le souligner, autour de la nationalité et de la capture du pouvoir politique et administratif par autrui, nulle part n’est mentionnée le fait que l’usurpation dont il est supposément question durant le règne du potentat déchu (2009 à 2016) aura été rendue possible par les nombreuses complicités institutionnelles et personnelles des « nationaux », les soi-disant gabonais de père et de mère. L’obséquieuse Cour Constitutionnelle ou à la chambre d’enregistrement qu’était devenu le parlement, pour ne citer que ces deux-là, viennent immédiatement en tête.

Le projet de nouvelle Constitution reprend des thèses sordides, xénophobes et « nativistes », avancées par certains acteurs, pour exclure d’office ces citoyens et citoyennes qui ont eu le « malheur » de n’avoir qu’un seul parent gabonais ou auront acquis la nationalité par voie de naturalisation de nombreux avantages attachés à la citoyenneté/nationalité.

En définitive, il est clair que ce projet de nouvelle loi fondamentale, que l’on a qualifié plus haut d’entreprise scélérate, ne réglera aucunement cette importante question d’accaparation du pouvoir par un groupuscule, étranger ou pas, et le problème de la persistance du gouvernement autocratique gabonais, puisque c’est bien de cela il s’agit, et pas ce dont on traite à présent. Il ne fera que diviser encore plus la nation, car il est au service d’un agenda centré sur la conservation du pouvoir absolument, et ce, au détriment de règles objectives, consensuelles, et républicaines.

Réorienter la Transition en rejetant le projet de nouvelle constitution

Le 30 août 2024, la junte a célébré la « Journée Nationale de la Libération en République Gabonaise » pour marquer le premier anniversaire de son pronunciamento et de son arrivée au pouvoir. Malgré cela, les mêmes questions demeurent toujours. Libération de qui et de quoi ? Des Bongo ? Du système Bongo-PDG ? De quoi exactement parle-t-on ? Comme cette Transition, rien n’est moins sûr.

Néanmoins, quoi qu’il arrive, le 30 août représentera toujours un de ces moments exceptionnels où les FDS auront répondu aux cris d’alarme populaire et à l’affaissement de la république. Et pour cela, le Gabon leur en sera éternellement reconnaissant pour cette brèche géante vers un nouveau futur, certes incertain. Mais le 30 août devrait représenter bien plus que cela. Il devrait signifier le jour où les FDS se sont mises résolument au service du peuple et de la république. Là, on parlera incontestablement de « Libération ».

Pour l’instant, au vu de la trajectoire actuelle de la Transition, il est encore trop tôt pour jubiler, car, en si peu de temps, on peut dire qu’on sera passé d’un moment émancipateur à la désillusion et maintenant à une entreprise de consolidation du gouvernement autocratique gabonais. Ali Bongo Ondimba et sa famille ont été chassé du pouvoir. Le Gabon s’en porte mieux. Mais, il ne faudrait pas remplacer une dictature par une autre. C’est bien ça le danger qui guette le Gabon.

C’est pourquoi, dans sa version actuelle, il est du devoir de TOUS de voter « NON » au referendum prévu et rejeter massivement ce projet constitutionnel. Sous couvert de libération, il tente subrepticement d’étendre encore plus la dictature postcoloniale et installer un pouvoir encore plus fort que celui que l’on tente de remplacer.

Gyldas Ofoulhast-Othamot, Ph.D.

Associate Professor of Political Science,

St Petersburg College, Florida, USA




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