Vingt-quatre heures après le double scrutin législatif et présidentiel du 15 juillet dernier au Rwanda, le verdict des urnes est quasiment déjà rendu. En effet, après dépouillement de 79% des bulletins de votes, les résultats provisoires créditent le président sortant, Paul Kagame, de 99,15% des voix. Autant dire que la partie est déjà pliée parce qu’avec un tel score, on ne voit pas comment la victoire pourrait encore échapper au maître de Kigali qui cumule pratiquement trois décennies de pouvoir dans son pays. Et au regard des tendances, c’est vers un véritable plébiscite que se dirige le chef de l’Etat rwandais qui pourrait, à la faveur de cette présidentielle, battre tous ses records de réélections depuis qu’il est à la tête de son pays. Un score qui, si l’on s’en tient aux chiffres, traduit son degré d’extrême popularité dans un pays où tout le monde est tenu de marcher au pas sous peine de s’attirer les foudres du prince. Toujours est-il qu’avec des candidats pratiquement triés sur le volet pour accompagner le président sortant dans la course à sa propre succession, c’est un résultat qui ne saurait étonner. D’autant plus qu’à eux deux réunis, Frank Habineza, porte-étendard des Verts démocratiques et Philippe Mpayimana, candidat indépendant, ne pèsent pas plus qu’une plume d’oiseau avec moins de 1% des voix récoltées.
Aussi clivant que puisse paraître Kagame, il a su admirablement travailler au renouveau de son pays
C’est à se demander même si ce n’est pas par pudeur que le président Kagame évite de faire le plein des voix. En tout cas, même Joseph Staline, le célèbre chef de l’Etat soviétique dont le nom rime avec totalitarisme et score de vote extrêmement élevé, n’a jamais réalisé un tel score en plus de deux décennies de règne sur son pays qu’il dirigea d’une main de fer jusqu’à sa mort en 1953. Mais il faut croire que, loin de gêner aux entournures le maître de Kigali, c’est un score qui permet au leader du Front patriotique rwandais (FPR) de montrer à la face du monde, qu’il est adulé par son peuple. Le jeu en vaut d’autant plus la chandelle pour lui qu’au-delà de sa longévité au pouvoir sur fond de despotisme, il a besoin de montrer à l’opinion internationale en général et aux Occidentaux en particulier, qu’il a le soutien de son peuple et qu’il est en phase avec lui. Plus encore aujourd’hui où il fait l’objet d’accusations multiples de soutien aux rebelles du M23 dans la crise en République démocratique du Congo. Mais au-delà de ce scrutin qui était une simple formalité, il faut reconnaître les mérites du président rwandais qui a façonné son pays en l’installant durablement dans une certaine stabilité tout en réussissant un spectaculaire redressement économique au point d’ériger aujourd’hui le Rwanda en modèle sur le continent noir. Et ses compatriotes peuvent d’autant plus lui être reconnaissants que l’on peut penser que le traumatisme du génocide auquel il a mis fin dans les conditions que l’on sait, est encore loin de s’estomper dans certains esprits. C’est dire si la victoire sans coup férir qui tend les bras au président Kagame, est loin d’être une surprise.
Le plus grand défi pour le Rwanda, reste aujourd’hui l’après-Kagame
Car, non seulement tout a été mis en œuvre, en amont, pour écarter les candidats gênants, mais aussi, au regard des résultats, il n’y avait véritablement pas match entre lui et ses challengers. Et puis, quoi qu’on dise, son bilan parle aussi pour lui en termes d’innovations et de progrès remarquables dans des domaines aussi divers et stratégiques que ceux de la santé, de l’éducation et des infrastructures. C’est dire si aussi clivant que puisse paraître Kagame, il a su admirablement travailler au renouveau de son pays. Reste maintenant la question de l’amélioration du paysage démocratique avec ses corollaires de respect des libertés individuelles et collectives ainsi que des droits de l’Homme, qui nécessite de sérieux progrès. Et le président Kagame qui passe aux yeux de ses admirateurs pour un héros visionnaire, loin du tyran décrié par ses contempteurs, est d’autant plus interpellé sur la question qu’après trente ans de règne sans partage, le moment est peut-être venu pour lui de commencer à songer à passer la main. En tout état de cause, nul n’est éternel sur terre. Et il est aussi connu que les longs règnes débouchent souvent sur le chaos. C’est pourquoi, après avoir travaillé, comme qui dirait de son mieux, à ajouter de la terre à la terre, la sagesse recommande au sexagénaire chef de l’Etat rwandais de songer à faire valoir ses droits à la retraite. Car, autant il faut savoir quitter les choses avant que les choses ne vous quittent, autant le plus grand défi pour le Rwanda, reste aujourd’hui l’après-Kagame. C’est dire si en attendant les résultats définitifs prévus pour le 27 juillet prochain, c’est un quinquennat que l’homme mince de Kigali gagnerait à utiliser pour préparer sa sortie de scène.
« Le Pays »