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Politique

Henri Konan Bédié: La diplomatie , première étape d’une longue épopée politique

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« Les chemins de sa vie »( 4) .À la fin de ses études de droit à Poitiers, c’est d’abord une carrière d’avocat qui tente le jeune Henri Konan Bédié. Peut-être songeait-il à prendre la défense des siens dont il avait vu, enfant, la maltraitance quotidienne et multiforme sur l’espace colonial. Depuis son départ de Dengdé Pepressou pour Daoukro où il avait commencé l’école en 1943, à l’âge de 9 ans, il n’avait été que témoin de la détresse dans son sillage. Dans Les chemins de ma vie, il fait état de ces ressortissants de Daoukro emmenés sur les chantiers forestiers ou mobilisés pour la construction des routes et des ponts, et dont beaucoup n’étaient plus revenus. C’était le temps des travaux forcés. Il raconte comment ces travailleurs, recrutés de force et obligés d’effectuer ces affreuses corvées à la main, étaient « stimulés » à coups de chicote par des gardes-cercles en uniforme. Pour donner une idée de la sévérité de l’époque, il conseille la lecture de Terre d’ébène d’Albert Londres. Un épisode édifiant de ce livre, signale-t-il, raconte le sort réservé à nos parents, qui travaillaient dans des conditions épouvantables. Et il déclarait, outré : « J’ai vu sous mes yeux des écoliers fouettés jusqu’au sang par d’autres Africains. Des Noirs maltraitaient et frappaient d’autres Noirs ! Le système colonial avait institué de telles extrémités sans état d’âme. » Pourquoi un enfant qui avait été un observateur attentif et indigné du traumatisme de ses parents n’aurait-il pas porté le rêve de devenir, une fois adulte, leur défenseur ?


Il s’aperçoit, à la fin de ses études, que l’environnement sociopolitique a substantiellement changé dans son pays, et qu’il doit conformer ses perspectives de travail à la donne du moment. La donne du moment ? Elle tient essentiellement à la Loi-cadre et aux perspectives qui en sont attendues.


La Loi-cadre, discutée en conseil des ministres dès les semaines qui avaient suivi l’entrée d’Houphouët-Boigny au gouvernement de Paris en février 1956, et votée en première lecture et à une très forte majorité par l’Assemblée nationale, était une mesure législative décisive. Elle avait créé, dans les territoires d’outre-mer, des Conseils de gouvernement dont les membres devaient être de véritables gestionnaires de départements formellement dotés d’attributions. Elle avait également vocation à régir la réforme de la Fonction publique. Et celle-ci comptait, parmi ses objectifs, l’accès des originaires des territoires à tous les échelons de la hiérarchie.


Ces développements étaient des nouveautés de toute première importance, qui n’avaient laissé insensible aucun des jeunes diplômés ivoiriens présents en métropole. N’était-ce pas le besoin de cadres autochtones qui avait poussé le député Félix Houphouët, porté par un sens stupéfiant de l’anticipation, à envoyer en formation en France en 1946, quelque 150 enfants de son pays ? Dix ans après, pourquoi ceux de ces enfants qui avaient terminé leur parcours devaient-ils répondre absents, alors que le temps de se jeter à l’eau était arrivé ?


Konan Bédié ne fait pas partie des jeunes de l’Aventure 46, mais il n’en est pas moins prêt à se mettre au service du pays. « À l’orée de l’indépendance, écrit-il, le pays ne disposait pas de cadres ivoiriens en nombre suffisant pour diriger son administration et on a battu le rappel de tous ceux qui vivaient à l’extérieur et qui étaient susceptibles de servir. Il fallait faire l’effort de remplacer immédiatement les administrateurs coloniaux afin que les gens comprennent clairement qu’il y avait une véritable passation des pouvoirs, un changement de commandement. » Voilà l’environnement social et psychologique dans lequel il prend la décision de rentrer en Côte d’Ivoire.


Il atterrit à Abidjan au mois de juin 1958. Son point de chute est la Caisse de Compensation des Prestations Familiales de Côte d’Ivoire (CCPFCI), organisme créé et dirigé depuis 1955 par Hubert Ballay, le conseiller d’Houphouët-Boigny pour la mise en place des institutions sociales. Il vient là pour relever Usher Assouan qui venait de se faire élire à l’Assemblée territoriale de la Côte d’Ivoire et dont le nouveau statut était incompatible avec ses fonctions à la Caisse. Il écrit : « On lui avait demandé : "Qui vois-tu pour te remplacer ?" Il avait répondu : "M. Bédié vient justement de terminer ses études, appelez-le". »


À la CCPFCI, Hubert Ballay n’est pas son unique interlocuteur. Henri Konan Bédié fait la connaissance d’un certain nombre d’autres personnalités, en général des aînés, qui l’intéressent, pour être susceptibles de peupler son carnet d’adresse et de former le noyau d’un réseau de soutiens. Il y a, bien sûr, le président du Conseil d’administration Kouassi Kouadio, mais il y a aussi les membres du Conseil, Georges Kassy, Claude Séchaud, Amoa Jean, Almamy Ouattara, Marcel Aufort, Claude Prion, Maurice Bon, Gaston Kanon, Tiéba Ouattara. Ces premières rencontres sont enrichies par celles des membres du bureau de la Caisse de Retraite des Travailleurs de Côte d’Ivoire (CRTCI) qui collaborent étroitement avec la CCPFCI. Le président de cette CRTCI s’appelle René Amichia. Il est secondé par le directeur général de la Société Générale de Banques Louis Buttay, par Bazoumana Coulibaly, Bernard Dagbolo Ouattara, Louis Kouadio, Ompréon Léon, Séry Georges. On peut citer également Mme Diaco qui est adjointe à la Direction de la Prévoyance sociale et le futur écrivain Ahmadou Kourouma, qui est sous-directeur de la CCPFCI.


Avec ces premières fréquentations professionnelles, Bédié ne passe malheureusement que deux mois. Cette célérité dans un emploi tient plus à l’histoire qu’à sa volonté. Qu’est-ce à dire ?


Les développements post Loi-cadre avaient abouti à la création d’une Communauté franco-africaine, prise en compte dans la Constitution de la Ve République. Aux termes de cette Constitution (Art 78), la diplomatie formait avec la défense, la monnaie, la politique économique et financière, et la politique des matières premières stratégiques, un ensemble de domaines que les États membres devaient mettre en commun. Les territoires associés à la France dans la Communauté franco-africaine devaient, de ce fait, désigner des cadres qui seraient attachés au ministère des Affaires étrangères de Paris et amenés à se former à la diplomatie dans des ambassades de France à l’étranger.


En Côte d’Ivoire, Henri Konan Bédié fait partie des rares personnes dont le nom a été soumis, dans ce cadre, à la première personnalité du territoire. Joachim Bony, ministre de l’Éducation nationale dans le premier gouvernement de la jeune République, m’a confirmé avoir parlé de lui au Premier Ministre Félix Houphouët-Boigny. D’autres témoignages m’ont également cité les noms d’Aoussou Koffi, Camille Alliali, Jean Konan Banny et surtout Amadou Koné au nombre des jeunes qui avaient invoqué le nom de Konan Bédié auprès du Premier ministre Félix Houphouët-Boigny.


Voici en substance le propos que m’avait tenu Joachim Bony : « Quand j’ai évoqué devant le Président Houphouët le nom de Bédié comme jeune cadre à appeler pour les missions qu’il y avait à remplir, le Président m’a demandé si je faisais confiance à cet agitateur. Je lui ai répondu que, plus jeunes, nous avions tous été des agitateurs et que nous travaillions désormais avec lui sans problème. Qu’il considère cela. Et bizarrement, quand j’en avais parlé à Bédié, il n’était pas plus rassuré. Il m’a demandé si Houphouët ne voulait pas le voir tout simplement pour le mettre aux arrêts, en raison de ses activités syndicales… »


Naturellement Bédié lui-même s’est souvenu de cet épisode dans Les chemins de ma vie. Il assure : « J’ignorais tout de la décision qui venait d’être prise. J’étais allé à l’aéroport raccompagner des étudiants qui rentraient de vacances et là, j’ai rencontré un membre du Conseil de gouvernement qui m’a dit : "Félicitations ! On vient de te désigner pour un stage diplomatique au Quai d’Orsay." Je suis immédiatement rentré chez moi où j’ai trouvé un message de mes amis, les jeunes cadres qui étaient au gouvernement, me demandant de les rejoindre à 16 heures à l’Assemblée nationale. Je suis allé les voir et ils m’ont confirmé la décision qui venait d’être prise en conseil. »


Cette décision d’envoyer Henri Konan Bédié en stage au Quai d’Orsay sera le prétexte de la toute première rencontre entre Félix Houphouët-Boigny et lui. Bédié assure que le Premier ministre l’avait reçu pour s’excuser. « Je vous ai nommé sans vous avoir rencontré, mais vos amis m’ont dit tellement de bien de vous que j’ai cru bien faire en vous retenant sur-le-champ. » Houphouët-Boigny ne lui cache pas qu’il sait leurs opinions politiques divergentes sur un certain nombre de points. Mais il lui déclare, bon prince, que cela est sans importance. Quant à Bédié, l’image qu’il a gardée du Premier ministre est celle d’ « un homme très calme, très serein, qui m’a exposé longuement ses vues et sa politique en matière de coopération ». Il n’a pas oublié non plus qu’il a reçu de lui ce jour-là une enveloppe de « 300 000 anciens francs » qui étaient une somme importante.


Parti de Poitiers en juin, voilà donc Henri Konan Bédié à Paris en octobre. C’était comme quand, étudiant, il lui était arrivé parfois de passer l’été en Côte d’Ivoire et de revenir en métropole à l’automne. L’unique différence tient au point de chute qui n’est plus Poitiers mais Paris.


Combien de temps y restera-t-il ? Il affirme lui-même que son stage au Quai d’Orsay a duré de ce 10ème mois de l’année 1958 jusqu’au début du mois de mai 1959. Il a reçu ensuite une affectation pour continuer la formation de diplomate à Washington. « J’ai débarqué aux États-Unis le 9 mai 1959, dit-il, pour prendre mon poste à l’ambassade de France, sur Belmont Road, à Washington. L’ambassadeur de France, Hervé Alphand, m’a reçu agréablement. »


À Washington, il est moins accablé par le travail à l’ambassade que par le racisme qui imprègne toute la ville. Sortir dans la rue avec ses collègues diplomates français blancs était une chose qui ne manquait pas de l’exposer au mauvais œil des américains. C’était pire de se retrouver avec eux dans un restaurant. Dans ces conditions, une année entière dans cette ville était une durée plutôt longue. Il n’est pas mécontent d’être rappelé en Côte d’Ivoire en juin 1960, à la suite des cahots de la Communauté franco-africaine qui vont ouvrir la porte aux indépendances des colonies françaises d’Afrique.


Ainsi, c’est sous ses yeux que se déroulent à Abidjan, le 7 août 1960, les fastueuses cérémonies qui marquent le transfert des compétences et la proclamation de l’indépendance de la Côte d’Ivoire.


Cinq mois viennent de s’écouler. Le 30 janvier 1961, le quotidien Abidjan Matin fait savoir en première page que « notre ambassadeur à Washington » a rencontré le nouveau secrétaire d’État Dean Rusk. Et le nom que tout le monde entend alors est celui de « His Excellency Henri Konan Bédié ».


Le jeune diplomate avait été reçu le 16 janvier 1961 à la Maison Blanche par le président Dwight Eisenhower, trois jours avant son départ du pouvoir. Et c’était pour lui remettre les lettres de créances l’accréditant à Washington comme premier ambassadeur de Côte d’Ivoire aux États-Unis.


Henri Konan Bédié démarrait ce jour-là, à 27 ans, une carrière qui serait la première étape d’une longue épopée politique. Une épopée dont lui-même ignorait alors, qu’elle s’étalerait sur plus de soixante années. Elle ne prendrait pas fin, en effet, avant son dernier souffle le 1er août 2023, à l’âge bien respectable de 89 ans. Frédéric GRAH MEL






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