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Politique

Henri Konan Bédié : L’empereur de Dabou

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"Les chemins de sa vie" (2)Combien sommes-nous à nous souvenir encore de Mory Doumbia, ancien député, ancien directeur général de l’Enseignement secondaire, ancien professeur certifié de Sciences physiques, premier proviseur ivoirien du Lycée classique d’Abidjan, disparu il y a seulement six ans, le 2 mai 2018 ? C’est à la rentrée d’octobre 1953 qu’il était arrivé à l’École normale de Dabou. Il trouve alors, en classe de Terminale, des aînés qui ont pour noms Ange-François Barry Battesti, Christophe Gbohou, Bissouma Séri. Il est ahuri devant l’intrépidité de l’un d’entre eux, que tout l’établissement appelle l’Empereur, et qui n’est autre qu’Henri Konan Bédié.


L’École normale de Dabou était alors ouverte à des élèves de Côte d’Ivoire et du Dahomey. Bédié est le porte-parole des élèves de Côte d’Ivoire. Si on l’appelait « l’Empereur », explique Mory Doumbia, c’était tout simplement parce qu’il se faisait passer pour Napoléon. Il adorait poser sa main sur sa poitrine, le torse bombé, et parader dans une allure altière, qu’on tenait pour napoléonienne.


Mory Doumbia s’amuse d’une autre anecdote. Il raconte que le directeur de l’École, Monsieur Houziaux, qui était en même temps le professeur de mathématiques, harcelait en permanence Henri Konan Bédié. Or c’était Bédié qu’on avait désigné pour prendre la parole à la petite cérémonie organisée pour dire au revoir à Monsieur Houziaux quand il devait quitter l’École. Il ne prendrait pas de gants, sourit Mory Doumbia, pour déclarer que le bonhomme était tout simplement mauvais. Il s’était heureusement rattrapé en ajoutant que, malgré tout, il nous avait bien formés.


L’École normale de Dabou n’est pas absente des souvenirs que Bédié lui-même a consignés dans son livre de réflexions politiques Les chemins de ma vie. Il n’a rien caché de la turbulence qui le caractérisait dans cet établissement. Il confie : « Dès que le professeur de philosophie quittait la salle, je reprenais son cours pour en faire une lecture plus africanisante. Nous avions même créé un salon littéraire, le "Salon d’Épicure", installé sur les marches de l’école. Chacun pouvait s’y exprimer sur un sujet littéraire ou philosophique. Le surveillant général, un nommé Gillotti, faisait des rondes. J’avais donné des instructions : "Dès que Gillotti surgit, laissez tomber votre exposé et enchaînez sur un conte africain." Il s’arrêtait en effet près de notre cercle. "Alors l’Araignée entonnait ce chant...", commençait l’orateur. Gillotti disparaissait et nous reprenions nos propos révolutionnaires. »


Toujours dans Les chemins de ma vie, Bédié confirme qu’à l’École normale de Dabou, il était le délégué des étudiants. Il s’était ainsi retrouvé en conflit avec la direction qui le tenait pour une forte tête. Juste avant les examens, il avait été convoqué au conseil des professeurs pour apprendre qu’il ne serait pas admis à redoubler s’il échouait, parce qu’il avait fondé « une école dans l’école ». Il poursuit : « J’ai répondu au professeur par une question : "À supposer qu’il ne me manque pas une seule fraction de point, me ferez-vous échouer ?" Ils m’ont répondu : "Non, monsieur Bédié". Ils ont tenu parole. À l’écrit, j’ai été premier ex aequo de ma promotion de sciences expérimentales. Mais ils ont choisi de me refuser l’octroi d’une bourse pour aller poursuivre mes études à l’université de Dakar. J’ai déclaré alors : "J’accepterai tout sauf d’obéir à l’ordre injuste. Je pars". Et j’ai rompu avec l’engagement décennal pour l’enseignement. L’essentiel pour moi était de désobéir et j’ai décidé d’aller en France poursuivre mes études à l’université de Poitiers... »


Avant de rejoindre l’École normale de Dabou à la rentrée d’octobre 1951, le jeune Henri Konan Bédié avait d’abord fréquenté l’école primaire publique de Bocanda de 1943 à 1947, puis le Collège moderne de Guiglo d’octobre 1947 à juin 1951. Pourquoi ne pas lui donner acte des termes de « major de ma classe de CM2 » qu’il s’était attribués en évoquant la fin de son parcours à l’école primaire ? Dans le Journal Officiel de la Côte d’Ivoire, où on trouvait chaque année la liste – « par ordre de mérite » – des élèves admis dans les rares établissements secondaires du territoire, la livraison du 1er novembre 1947 nous apprend que le jeune « Bédié Konan, de l’école primaire publique de Bocanda », titulaire du CEPE, était 2ème sur les 9 élèves du Centre de Dimbokro admis à entrer, en octobre 1947, au collège moderne de garçons (6ème moderne) de Guiglo.


C’est la même année que, d’après la même source, sont également admis au CEPE et au concours d’entrée en 6ème Gnaléga Mémé Jérémie, Offoumou Yapo, Dro Gaston, Joseph Avi, Camille Oguié, Albert Vanié-Bi-Tra, Raymond Aka Adjo, Emou Koffi, Jean Ali, Léon Amon, Firmin Ahouné, Tchétché Lebé, Denis Oussou Essui, Anvo N’Guetta.


Voilà donc Henri Konan Bédié désormais à Guiglo. L’établissement qui l’accueille est un camp militaire désaffecté, transformé en collège moderne. Plus d’une fois dans Les chemins de ma vie, il s’offusquera de la mentalité coloniale qui n’éprouvait aucun scrupule à former l’élite sur les traces douloureuses de la violence.


C’est à Guiglo que, déjà, il se met en jambes pour se préparer à la turbulence des années de Dabou. Il confie, dans son livre : « Pendant les trois années passées à Guiglo, de la 6ème à la 3ème, nous nous sommes révoltés constamment contre la mauvaise qualité de la nourriture, ou le mépris qu’on nous témoignait. Je conduisais ces révoltes... »


L’agitation ne nuit heureusement pas à ses performances scolaires. Il ne franchit pas une classe en effet sans engranger des résultats et des appréciations à faire rêver. C’est du moins ce qu’on découvre au fil des pages d’une plaquette intitulée Spécial Guiglo, publiée par la mairie de la ville à l’occasion du baptême de la Place Félix Houphouët-Boigny en 1983. Dans un article de cette plaquette intitulé « Henri Konan Bédié, un prestigieux "ancien" du collège de Guiglo », on rapporte ces lignes écrites sur lui par ses enseignants de la classe de 6ème : « Année scolaire 1947-1948. 1er trimestre : 3ème sur 32. Moyenne 13,16. Bon élève, jeune, résultats très satisfaisants, bon esprit. 2ème trimestre : 4ème sur 32. Moyenne 13,59. Bon élève dans l’ensemble. Caractère sérieux. Du bon travail. 3ème trimestre : 3ème sur 32. Moyenne 12,57. Travail et résultats satisfaisants. Moyenne annuelle 13,10. Classement annuel 3ème sur 32. »


En 5ème, la tonalité des appréciations est encore meilleure : « 1er trimestre : Moyenne 14,04. Classement 1er sur 29. Bons résultats. Bon élève. 2ème trimestre : Moyenne 13,92. Classement 2ème sur 29. Donne satisfaction à tous ses maîtres, mais doit redoubler d’efforts en composition française. 3ème trimestre : Moyenne 14,18. Classement 2ème sur 29. Du bon travail. Bon élève. Moyenne annuelle 14,04. Classement annuel 1er sur 29. Appréciations et propositions du conseil de classe : Très bon élève, intelligent et travailleur, discipliné, excellents résultats. Passage en 4ème. Proposition : Renouvellement de bourse. »


En 4ème, il maintient le cap. « 1er trimestre : Bon élève. Travail et résultats satisfaisants. Moyenne 12,79. Classement 3ème sur 25. 2ème trimestre : Élève en progrès continu dans la plupart des matières. Doit continuer son effort avec persévérance. Moyenne 13,34. Classement 2ème sur 25. 3ème trimestre : Travail et résultats satisfaisants. Moyenne 12,94. Classement 2ème sur 25. Appréciations générales : Excellent élève à tous points de vue. Donne pleine satisfaction pour sa conduite, son travail et les résultats obtenus. Propositions de renouvellement de bourse avec passage en 3ème. Moyenne annuelle 13,02. Classement annuel 2ème sur 25. »


Et il parachève l’élan en 3ème où il arrive durant l’année scolaire 1950-1951. « Premier trimestre : Élève doué et travailleur mais qui doit, cependant, apporter dans ses efforts plus de soin, d’application et de régularité, tenace et persévérant. Moyenne 12,05. Classement 2ème sur 22. Deuxième trimestre : Élève en progrès constant mais qui doit soigner davantage tout ce qu’il fait. Donne cependant satisfaction à tous ses maîtres. Moyenne 13,42. Classement 1er sur 22. Troisième trimestre : Progresse avec régularité et d’une façon satisfaisante malgré un manque de soin et d’application. Moyenne 12,97. Classement 1er sur 22. Appréciations générales : Excellent élève donnant pleine satisfaction par sa conduite et son travail. Propositions de renouvellement de bourse avec redoublement de la classe de 3ème en cas d’échec au BE. Moyenne annuelle 12,81. Classement 1er sur 22. »


De la 6ème à la 3ème, le parcours était tout simplement admirable. Le jeune Konan Bédié apparaît comme un élève studieux, planant toujours dans les cimes. Certes, il couvait une certaine tendance à la contestation et à la chicane. Les informations sur ses performances, celles qui émanent de lui-même comme celles qui viennent des autres, n’en restent pas moins des témoignages sur une intelligence certaine, un goût avéré pour le travail, une recherche probante du succès, bref des dépositions sur un élève brillant. « La dernière fois que je suis revenu au collège de Guiglo, il y a plusieurs années, a-t-il écrit lui-même, le proviseur s’est mis à lire mes résultats. J’avais oublié que j’étais major presque tout le temps, et que j’avais quitté le collège avec une moyenne de 17 en maths et l’appréciation : "Élève extrêmement doué en mathématiques" (...) »


La distance qui séparait Bocanda de Guiglo dépassait les 500 kilomètres. Le voyage durait une semaine et se déroulait toujours dans des conditions scabreuses. Bédié assure dans Les chemins de ma vie qu’en raison de cette longue distance, il ne rentrait en famille qu’une fois l’an, pendant les grandes vacances. Aux fêtes de Noël et de Pâques, il restait au collège, où il partageait son temps entre ses camarades et la bibliothèque dont on lui avait d’ailleurs confié la responsabilité. Il assure avoir découvert, déjà là, Alexandre Dumas, Virgil Gheorghiu, Franz Kafka et René Arthaud. De cet auteur, dit-il, il a retenu une pensée qui l’avait beaucoup impressionné : « Quand vous rencontrez un homme qui se propose de vous aider sans raison, n’acceptez pas. » 

Frédéric GRAH MEL














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