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Être dignes dans l’indignation

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La liberté de la presse, célébrée mondialement en ce 3 mai, nous amène à poser deux questions fondamentales. Un, Madagascar est-elle une dictature ? La réponse est non. Deux, Madagascar est-elle alors une démocratie ? La réponse est également non. En toute objectivité, il y a des libertés civiles et des droits publics qui sont encore plus ou moins respectés, ce qui fait que Madagascar n’est pas encore comparable à la Corée du Nord, au Rwanda ou à la Russie. Mais également en toute objectivité, il y a des dérives autocratiques qui nous tiennent de plus en plus éloignés des modèles acceptables de démocratie libérale dans le monde, ou même en Afrique.

En matière d’application des valeurs démocratiques, Madagascar est donc dans une zone grise : ni tout à fait noire, ni tout à fait blanche. Plus particulièrement en matière de liberté de la presse, plutôt que de prêter attention aux discours de propagande des partisans ou détracteurs du régime, privilégions un indicateur qui fait autorité : le classement établi depuis 2002 par Reporters sans frontières (RSF) en matière de liberté de la presse.

Sur cette période, le meilleur score obtenu a été en 2003 (46ème place), après l’euphorie de l’arrivée au pouvoir de Marc Ravalomanana et les promesses de démocratisation sur lesquelles il a surfé pour mobiliser autour de son coup d’État de 2002. Malheureusement, le naturel chassé est revenu au galop, avec deux grosses chutes, en 2005 (perte de 25 places par rapport à l’année précédente) et en 2008 (perte de 33 places en un an). La situation s’est ensuite aggravée avec le coup d’État de 2009 qui a fait chuter Madagascar de 40 places pour arriver à la 134ème place. Un bel exemple de continuité de l’État entre Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina : à eux deux, ils ont fait tomber Madagascar de 73 places en l’espace de deux années.

Le graphique illustre clairement que la pire période du classement RSF est constitué par les deux premières années du coup d’État de 2009, avant que l’arrivée du Premier ministre de consensus Omer Beriziky ne permette de sauver les rares meubles qui restaient en matière de démocratie, d’économie et d’état de droit. Finalement, c’est sous Hery Rajaonarimampianina que Madagascar a remonté la pente, avant que le retour d’Andry Rajoelina au pouvoir en 2019 ne fasse à nouveau chuter la courbe à partir de 2022. On souligne que ce n’est que sous Andry Rajoelina que Madagascar est passé en dessous de la barre symbolique de la 100ème place, et ce à trois reprises : 2009, 2010 et 2023. « Sambasamba amin’ny tantaram-pirenena », comme il aime à le répéter ? Si l’on cherche à identifier le dirigeant qui a été le plus liberticide pour les médias depuis 2002, les chiffres ne mentent pas, « loin des grands discours et des grandes théories » comme dirait Jean-Jacques Goldman.


En matière de liberté de la presse, la situation actuelle est donc loin d’être idéale, ni même satisfaisante avec une 100ème place sur 180 pays en 2024, et une précarité économique qui pèse sur les capacités à investir, à investiguer et à résister aux pressions. Il y a donc de dignes et légitimes combats à mener au nom de la démocratie inscrite en tant que valeur dans la Constitution. Beaucoup ont noté que les deux signataires du présent article, qui avaient surtout été actifs pendant la transition 2009-2013 avant de se mettre en retrait, sont revenus de manière plus fréquente depuis quelques mois. Il y a une double conviction derrière ce retour : celle qu’il y a des vérités à dire, mais également qu’il y a une manière de les dire.

Refuser la facilité de l’injure et de la calomnie

La situation de déliquescence du pays, que la propagande et le werawera n’arrivent pas à cacher, nécessite que des voix continuent à porter la protestation et l’esprit critique, malgré les menaces, les intimidations, et l’instrumentalisation de la Justice. Laisser le fanatisme et la propagande faire croire que tout va bien constituerait un forfait, car pour paraphraser Albert Einstein, « Ceux qui ont le privilège de le pouvoir ont le devoir de parler » [1]. Toutefois, malgré notre conviction qu’il faut pointer du doigt la vérité du manque de performance, de compétence et d’intégrité des dirigeants, la rédaction de Madagascar-Tribune.com est également convaincue que cela doit se faire dans la dignité et le respect de l’éthique journalistique : sans mensonges, sans insultes, et sans calomnies.

Les actes critiquables sont déjà suffisamment nombreux et parlants sans qu’il ne soit besoin de verser dans l’indignité malgré l’indignation légitime. Nous ne devons pas nous abaisser au niveau de ceux qui nous indignent, pour finir lamentablement par leur ressembler. Nous essayons donc, dans notre pratique du journalisme d’opinion que sont les éditoriaux, de valoriser la vérité étayée de faits et de démonstrations, pour ne pas laisser de place au tora-po et à l’invective. C’est à ce prix que nous tentons de maintenir la vision de feu Rahaga Ramaholimihaso, père fondateur du journal : offrir une plate-forme médiatique qui valorise le débat d’idées.

En ce 3 mai, il est utile de rappeler cette vision pour inviter également les forumistes à s’efforcer de maintenir cet état d’esprit. Injures, surnoms dénigrants ou quolibets de cour d’école primaire n’élèvent pas le débat, et n’honorent pas ceux qui les prononcent. Si de tels agissements sont commis de manière répétée, cela devient du harcèlement, pénalement répréhensible. Se limiter à dénigrer ou discréditer l’adversaire, sans avancer d’argument sur le fond, ce n’est pas débattre, c’est s’arroger le droit de refuser le débat et la remise en cause.

Nous dédions exceptionnellement cet article à tous les contributeurs du forum qui font l’effort d’y faire vivre le débat d’idées en défendant leurs opinions avec des contradictions argumentées, et surtout en évitant de marcher dans le caniveau de l’insulte facile contre les politiciens ou les autres forumistes. Si nous souhaitons tous voir la situation de Madagascar s’améliorer en matière de tolérance et d’esprit civique, nous devons commencer par être nous-mêmes le reflet de ce changement et de cette dignité que nous espérons voir dans notre pays.


Ndimby A., Patrick A.


Notes

[1] Citation originale : « Ceux qui ont le privilège de savoir ont le devoir d’agir ».




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