Il y a quelques années, un jeune prêtre catholique qui fréquentait une de mes sœurs lui expliquait son désir d’aller servir en Europe, plus précisément en France. Parce que le salaire versé aux prêtres en Côte d’Ivoire était insignifiant par rapport à ce qu’ils pouvaient gagner en France. Je ne sais plus s’il a pu se faire affecter en France. Mais hier, j’ai entendu sur Radio France Internationale qu’il y a environ 2400 prêtres africains dans l’Hexagone, soit 40% de l’effectif de prêtres dans le pays. Et deux prêtres originaires de la République démocratique du Congo qui servaient en France et devaient rentrer dans leur pays à la fin de leurs contrats, ont disparu dans la nature. Comme le font très souvent la plupart des jeunes sportifs ou artistes qui ont l’occasion d’aller se produire en Europe. L’un d’eux dit que sa vie serait menacée s’il rentrait chez lui, l’autre dit qu’il est malade et ne peut être soigné dans son pays. On trouve toujours des arguments lorsque l’on veut rester en Europe. Et, à vrai dire, pour ce que l’on sait de leur pays, on ne peut pas leur donner totalement tort. Ils vivent cachés pour le moment, et je ne sais pas trop s’ils seraient expulsés de force si jamais la police mettait la main sur eux. Le salut des âmes de leurs compatriotes semble être le cadet de leurs soucis en ce moment. Pour bon nombre d’entre nous, l’Afrique est l’enfer, et l’Europe, le paradis. Qui, étant sorti de l’enfer et ayant mis les pieds au paradis accepterait de retourner en enfer ?
Il y a toujours quelques années, j’avais été rendre visite à des amies ivoiriennes à Barcelone en Espagne. Et nous sommes allés voir l’un de leurs amis qui était un prêtre ivoirien qui officiait dans un village de la région. Il vivait là-bas avec sa servante ivoirienne. Lorsque nous rentrions, alors que nous attendions le car, une vieille dame est venue faire la causette avec l’une de mes amies qu’elle connaissait un peu et lui a demandé si dans notre pays les prêtres se mariaient. Mon amie m’a traduit leur conversation et a ajouté : « le secret de notre frère a fini par être découvert. Il a fait venir sa copine qu’il fait passer pour sa servante et il croit que les gens n’allaient pas le savoir. »
L’église catholique est en profonde crise actuellement. D’abord les églises sont de moins en moins fréquentées, sauf le plus souvent par quelques personnes âgées, et les vocations à être prêtre se font de plus en plus rares chez les jeunes en Europe. Et comme d’habitude, lorsque l’Europe a besoin de main d’œuvre, même spirituelle, elle s’est tournée vers l’Afrique. C’est chez nous que l’on trouve encore des églises et des temples pleins à craquer, parce que nous sommes nombreux à attendre de Dieu qu’il accomplisse le miracle qui changera nos vies. En attendant, les pasteurs, eux, ont trouvé leur salut grâce à leurs fidèles dont ils font les poches tous les jours. Combien de pasteurs compte-t-on dans ce pays ? Des milliers. Et bon nombre d’entre eux vivent sur un grand pied, même si les moins doués d’entre eux tirent le diable par la queue. Comment fait-on pour devenir pasteur ? Il suffit de se proclamer « homme de Dieu ». C’est tout. Aucun diplôme, aucune connaissance particulière n’est exigée. Et vous pouvez interpréter la Bible comme vous voulez. Vous pouvez dire par exemple que le fait de boire de l’alcool et de forniquer vous conduira au paradis. Ou carrément que vous êtes Jésus Christ, ou même Dieu lui-même comme le soutient une jeune dame au Bénin. Vous trouverez toujours des gens pour y croire. Chez les catholiques, c’est plus compliqué. Il faut faire de longues études avant de devenir prêtre et, pour être franc, ça ne rapporte pas autant d’argent qu’être pasteur. Mais c’est quand même un bon petit boulot peinard où l’on est logé et nourri gratuitement. Il est vrai qu’à priori on devrait en contrepartie rester chaste, mais ça, ça concerne surtout les prêtres européens. Encore que, eux, s’ils ne touchent pas les femmes, touchent d’autres catégories de personne. Chez nous, c’est autre chose. On ne se gêne pas du tout pour s’afficher avec des femmes, à leur faire des enfants.
Mais comme on le voit, même lorsque l’on a fait vœu de pauvreté et de chasteté pour sauver les âmes, la tentation de l’Europe peut vous habiter aussi.
Venance Konan