L’Enquête du jeudi / « Casinos » dans les rues d'Abidjan | Des enfants abonnés aux jeux de hasard (1/2)

Le « Casino », comme on l'appelle dans certaines rues d'Abidjan, est un jeu qui consiste à introduire une pièce d'argent dans une machine, en espérant gagner beaucoup plus en retour. C'est donc un jeu de hasard. On en rencontre dans plusieurs rues de la commune d'Abobo. Le fait qui a attiré notre attention, est que ce jeu est ouvert à tous les âges, y compris les mineurs qui sont d’ailleurs les plus nombreux. Alors que tout jeu de hasard pratiqué en Côte d’Ivoire, reste interdit aux moins de 18 ans révolus.

Les adolescents, les plus nombreux

Déposé sur une table dans un coin de la rue, devant un magasin ou une boutique et relié à une prise électrique, le Casino attire de nombreux clients. Au nombre de ces derniers, plusieurs adolescents. Parfois des enfants de 12 ans. Albert K, exploitant d'un casino à Kobakro dans la zone d'Abobo-N'Dotré le confirme : « Tout le monde joue. Pourvu que tu aies ton argent, tu mises sans aucun souci », confie-t-il. A la question de savoir si les adolescents y participent, la réponse est sans appel : « ils sont les plus nombreux », répond Albert.

Nous passons quelque temps autour de cette machine à sous. Une trentaine de minutes plus tard, arrive un trio d'adolescents, d’environ 16 ans. Parmi eux, un habitué tente d'indiquer aux autres, les touches « chanceuses » : « la dernière fois, j'ai eu 10000 F CFA, en choisissant la touche portant la marque BMW. Par contre, le bouton de Lexus ne me réussit pas », indique Ismaël.

Nous quittons ce lieu pour un autre. Nous sommes à présent au carrefour Amichia sur l'axe N'Dotré - Azaguié. Ici, un autre casino est installé devant une blanchisserie. Nous arrivons au moment où une fillette d'à peine 13 ans, accompagnée de son cadet de 10 ans s'apprête à faire sa mise. Elle semble être une habituée de ce jeu, en ce sens qu'elle ne se fait pas expliquer les règles de fonctionnement.

Elle choisit d'actionner la touche Mercedes. Après 3 secondes environ, elle a perdu parce que le voyant de Lexus est resté allumé. Le tenancier de la machine explique : « elle a misé sur Mercedes mais c'est Volkswagen qui est sorti », a-t-il-indiqué.

« Tonton, c'est fini ? », demanda le cadet de 10 ans. « Oui, vous n'avez pas eu de chance. La prochaine sera certainement la bonne », a répondu le responsable de la machine. Visiblement sous le choc d'une perte d'argent rapide, avec un air hagard, le garçonnet n'a pu placer un mot de plus.

Comment ça marche

La machine à sous est logée dans une caisse ouverte de deux battants. Un battant vertical et un autre horizontal. Le battant vertical présente des images de voitures ou autre chose, juxtaposées de sorte à en faire un carré sur la surface de celui-ci. Ces marques de voiture abritent chacune un voyant lumineux. Sur le battant horizontal se trouvent les mêmes marques de voitures que sur le battant vertical. A la différence qu'ici, en lieu et place des voyants lumineux, ce sont des touches actionnables.

T. K., exploitant de machine à sous au quartier Dandi, explique la procédure du jeu : « Ce jeu se fait avec les pièces de 100 F CFA », précise-t-il pour commencer. « Le joueur insère la pièce de monnaie dans la machine par ici », en nous indiquant l'endroit prévu à cet effet. Puis, poursuit-il, : « Il décide d'actionner la touche de la marque Mercedes par exemple. Alors les voyants du battant vertical vont s'allumer à tour de rôle, faisant plusieurs tours du carré. Si au finish, c'est le voyant de la marque Mercedes qui est resté allumé pendant que les autres voyants sont éteints, alors le joueur gagne. Dans le cas contraire, c'est une perte ».

Pour avoir plus de chance, le joueur peut insérer successivement trois pièces de 100 F CFA. « Cela lui donne le droit d'actionner trois touches différentes. Ainsi, il augmente la probabilité de gain. Il a trois possibilités de gagner sur 14. Pourtant une seule pièce d'argent offre une seule possibilité de gagner. Si le voyant de l'une des trois touches actionnées est resté allumé, le joueur gagne ».

Par ailleurs, notre interlocuteur nous fait savoir que seul un voyant reste toujours allumé.

Plus de gains avec les clubs de foot

Pour gagner, une fois que le bon voyant est resté allumé, le propriétaire du jeu vérifie sur le cadran, en présence du joueur, pour savoir si le voyant allumé correspond à une petite ou à une grande voiture, sachant que le gain est multiplié par 2 voire par 3 au niveau de la grande voiture.

Chaque image a une valeur qui lui est propre. « Lexus rapporte 4 000 F CFA, Mercedes rapporte 3 000 F CFA, BMW rapporte 2 000 F CFA, Audi p 2 500 F CFA, Nissan 1 500 F CFA etc. Lorsque le client joue et que ça tombe sur le bonus ou sur une grande voiture, le gain est doublé », indique Hermann, un responsable de casino.

Il y a également une machine dont les touches portent des noms de clubs de football et une autre avec des touches portant des noms de fruits, en plus de celle avec des noms de voitures. Mais toutes obéissent au même procédé. « Avec les clubs de football, le gain bonifié peut atteindre 24 000 F CFA » précise Hermann.

Personne ne respecte la limite d’âge 

Sur ces machines figure l'inscription 18+, signifiant littéralement qu'il faut être âgé de 18 ans révolus pour être légalement autorisé à pratiquer ce jeu de hasard. Mais cela n'est pas respecté. Hamed, responsable du second lieu visité estime que « l'inscription sur la machine n’est qu’une formalité ». Puis, tente-t-il de nous convaincre : « Les sens interdits sur les routes sont-ils respectés partout ? Non », répond-il à sa propre question. Et de préciser « Au Plateau, oui. Mais à Abobo ici, ce n'est toujours pas le cas », renchérit-il.

S'agissant de la légalité de cette pratique, Philippe D., la trentaine révolue, trouvé sur place et donnant l’impression d'en savoir davantage, suppose que c'est légal. : « Les machines sont commandées en Chine. Seul l'assemblage est fait ici. En plus, la machine est posée à un endroit où il y a de l'affluence, à la vue de tous. Donc j'estime que c'est légal », déduit –il avec ironie.

Tous les exploitants de ces machines que nous avons interrogés par rapport à la légalité, ont répondu qu’ils n’avaient jamais « étés inquiétés par une autorité quelconque, quant à la participation des moins de 18 ans à ce jeu ». Alors que fait-on de l’interdiction en vigueur ?

Trésor Doudou