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Culture

Interview/Yacouba Konaté critique d’Art « La professionnalisation des tâches dans la filière musicale, reste à bâtir en Côte d’Ivoire »

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Professeur de philosophie à l’université Félix Houphouët Boigny de Cocody, écrivain, grand critique d’Art, Yacouba Konaté fait une analyse pertinente sur la culture de la société ivoirienne, Notamment sur la richesse du patrimoine musical dont l’artiste-musicien Ernesto Djédjé, reste l’un des pionniers de la promotion.


Professeur, quelle définition pouvez-vous donner de l’art et de la culture ?

On peut considérer qu’il y a culture, chaque fois que l’homme ou la femme pose des actes, y compris des actes matériels ou immatériels qui le détachent de la nature, notamment en inventant des savoir-faire, des savoirs ou même des croyances. Il y a une dimension culturelle de l’agriculture, de la science, de la religion, autant qu’on en reconnaît dans les rapports des sociétés à la nature, au milieu. La culture différencie et distingue. Les hommes et les femmes qui assument les fonctions formelles ou informelles d’invention, d’innovation ; ceux et celles qui ont ou acquièrent la légitimité d’oindre la parole et les actes dans l’huile de palme du proverbe, de la fable, de l’image, de la danse, de la musique, ce sont les artistes. La banane, le manioc se mangent partout dans le monde. Pourquoi en Côte d’Ivoire, prennent-ils les formes spécifiques de l’alloco et de l’attiéké ? Ce sont des marques du génie ivoirien. C’est le génie des sociétés qui lui-même, repose sur celui des sujets singuliers au cœur des communautés. Le premier homme ou la première femme qui mit au point l’alloco ou l’attiéké, est un ou une artiste. L’art, c’est la position avancée de la culture par les effets de la création, de l’invention de nouvelles formes, de nouvelles attitudes, de nouveaux objets, de nouveaux rapports à l’objet. Les artistes ont vocation à renouveler nos modes de pensée et d’action par la force de la réflexion, de l’émotion. Ils nous permettent d’approfondir et de renouveler notre rapport au monde, le monde étant toujours le monde de l’homme et l’ensemble des vivants.


Vous avez publié plusieurs livres et articles sur tous les genres de musiques pratiqués en Côte-d’Ivoire, notamment le reggae, la musique tradi-moderne africaine, le Zouglou. La tendance en vogue aujourd’hui, c’est le coupé-décalé. Comment jaugez-vous le niveau de la musique ivoirienne ?

La naissance du coupé-décalé remonte au début des années 2000. Elle est contemporaine de la crise socio-politique dont la rébellion du 19 septembre 2002 sera la terrible caisse de résonnance. Le coupé-décalé a ouvert un dialogue ouvert avec les codes de la néo-rumba congolaise, y compris la sapologie, les atalakus. J’observe le mouvement dit rap ivoire avec Obams, Fior 2 bior, Suspect 95, Les Enfants de Maïmouna... L’instrumentalisation de base du coupé-décalé y est durablement installée. Et comme c’était déjà la pratique dans le Zouglou, les textes renvoient aux comptines et autres mélodies bien entendues. En revanche, les chorégraphies sont plus variées, inspirées qu’elles sont par les danses urbaines. Il y a du champ pour l’activation d’une culture rap au diapason de la scène du slam qui ailleurs, a bien décollé. Pour terminer, saluons la bonne santé des musiques néo-classiques dites aussi tradi-modernes spécifiques en ce qu’elles prolongent les lignes du patrimoine. Leurs audiences sont à la hausse. Le chantier qui attend depuis déjà des années me semble la professionnalisation de la filière, par une répartition des tâches, au regard de la chaîne des métiers. Les arrangeurs sont déjà dans la place, mais par exemple, la distinction entre paroliers et chanteurs- interprètes, reste floue.

Vous étiez au lancement du 40ème anniversaire de souvenir à l’artiste-musicien Ernesto Djédjé jeudi dernier. Ernesto Djédjé a marqué la musique ivoirienne et africaine, surtout à travers son tube ‘’Ziboté’’ et sa danse ‘’le Ziglibilty’’. Que peut-on retenir de l’artiste Ernesto Djédjé et de ses œuvres ?


Ernesto Djédjé a ouvert la voie pour une valorisation du patrimoine. Selon les voies et moyens d’une modernisation ouverte sur la mode, la danse et surtout sur les métiers de la musique. Il compte pour un marqueur de l’histoire de la musique de variété dans notre pays. Avec Louga François mais après Amédée Pierre, Mamadou Doumbia et Anouma Brou Félix, au milieu des années 1970, il fait partie des artistes qui ont pris l’option de chanter de préférence en langues nationales. C’est le temps des orchestres et des bals de fin d’année dans les lycées et le début de l’entrée des musiques ivoiriennes dans les ballets et chorégraphies dans les lycées et collèges. Le play-back n’est pas encore de mise. Le Ziglibithy qu’il met sur le marché, élabore une esthétique informée de données de la culture bété. Son expérience de chef d’orchestre d’Ivoiro Star, l’orchestre d’Amédée Pierre compte également dans l’élaboration de sa démarche sans oublier qu’à Lagos au Nigeria, Djédjé a pu mesurer la force de frappe de l’afro-beat de Fela Ransone Kuti.


Ernesto Djédjé et son orchestre dont Diabo Steck, Bamba Yang, Léon Sina, Assalé Best, John Yalley, Johnny la Fleur, étaient très demandés. Son orchestre avait une section d’instruments à vent des plus consistantes et lui-même associait à sa maîtrise de la guitare, du chant, ses compétences de danseur et de chorégraphe. On pouvait avoir des réserves quant aux hommages qu’il a régulièrement rendus à plusieurs personnalités politiques de l’époque, mais chaque fois, la qualité de l’orchestration et le charme des mélodies ont dissous les réticences. Ernesto Djedjé avait également pour lui le charme et l’élégance. Un ami qui avait le même coiffeur que lui m’a confié que les ajustements de ses favoris prenaient plus de temps que ceux de ses cheveux.


Le commun des mortels dénonce un enseignement au rabais en Côte-d’Ivoire .Le niveau des élèves et étudiants laisse à désirer. Aujourd’hui, l’on constate que la jeunesse ne s’adonne plus aux études. Elle recherche le gain facile. Elle aspire aller en Europe au risque de finir dans la mer méditerranée. Qu’est ce qui pourrait expliquer tout cela. Quels conseils pouvez-vous prodiguer à ces jeunes?


La question de la baisse du niveau est un refrain que les générations entonnent les unes après les autres. Par conséquent, il faut la manier avec modération.

Le problème de niveau interpelle d’abord les enseignants qui sont de plus en plus formés dans des conditions peu optimales. Devant eux, des classes de plus en plus pleines, pour des horaires de plus en plus réduits. Au même moment où le volume horaire diminue, celui des recherches personnelles de l’étudiant augmente, sans mécanisme de suivi efficace. On constate des faiblesses récurrentes dans l’expression écrite et à un niveau moindre à l’oral. Faible également l’intérêt pour la lecture et la structuration des études et de la recherche avec un abandon de plus en plus grand des langues nationales.

Cela dit, aujourd’hui, l’école n’est plus la seule pourvoyeuse de connaissances. De nombreuses compétences s’acquièrent ailleurs. Les jeunes démontrent des habilités et des connaissances qui n’étaient pas à portée des générations précédentes. Outre leur familiarité avec les technologies de l’information et de la communication, ils sont moins timides, plus décontractés, plus audacieux, plus entreprenants avec une forte attraction pour l’aventure. Ils sont très informés des sujets qui les intéressent.

Ça, c’est l’impression générale, mais il faut voir dans le détail. On s’apercevra peut-être qu’il y a autant de jeunes hyper-compétents que de jeunes de niveau déplorable. Et entre les deux, dans la zone grise qui aujourd’hui est plus large que jamais, la grande majorité de ceux qui, en panne de projet de vie claire ici, s’embarquent dans des projets d’immigration, au risque de leur vie. Cela dit, l’immigration est une donnée historique irrévocable. Toutes les cultures, toutes les confessions recommandent la recherche de la connaissance, quitte à aller la chercher au bout du monde. Encore, faudrait-il que les voyageurs conservent l’option du retour. Un retour gagnant de préférence.


César Kouakou




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