Vincent Toh Bi Irié, ancien préfet d’Abidjan, écrivain, raconte comment il est arrivé à la littérature, surtout comment s’est-il pris en tant qu’administrateur pour écrire plusieurs ouvrages en un laps de temps.
Préfet d’Abidjan, vous avez démissionné. Aujourd’hui, vous êtes écrivain. Déjà, vous avez publié huit ouvrages. Qu’est-ce qui a été le déclic de cet exploit ? Comment êtes-vous devenu écrivain ?
Quand j’étais à l’école primaire, j’écrivais. Au collège, j’ai continué à lire les œuvres littéraires et à écrire. J’ai toujours aimé l’art. Bref, j’aime la littérature. Au lycée, mon professeur de français, l’ancien ministre Maurice Kouakou Bandama, aujourd’hui ambassadeur, cet écrivain célèbre, était mon idole. C’est lui qui m’a offert la première machine dactylographique que j’utilisais pour saisir mes textes. J’ai écrit mon premier recueil de poèmes lorsque j’étais au collège. Quand je suis arrivé à l’université, j’ai continué à m’exercer à l’écriture, surtout que j’étais inscrit en Lettres Moderne à l’université de Cocody à l’époque. Lorsque j’ai commencé à travailler après ma formation à l’Ecole Nationale d’Administration (Ena) en tant qu’officier en administration, j’ai adopté un nouveau type d’écriture : l’écriture utilitaire, notamment les rapports, les analyses, les contributions pour les livres scientifiques, les études de projets. Quand j’ai commencé à être chroniqueur à Fraternité Matin sous le directeur général Venance Konan, j’ai repris l’écriture littéraire. Et lorsque j’ai démissionné de mes fonctions de préfet d’Abidjan, c’est en ce moment-là, que j’ai décidé de formaliser mes écrits. Et le résultat, ce sont les huit ouvrages que j’ai publié. Telle l’histoire de ce pan de ma vie.
Combien de temps vous a-t-il fallu pour écrire et publier ces huit ouvrages ?
Je ne sais pas comment les autres écrivains écrivent et produisent leurs textes. Mais, pour moi, écrire, c’est une passion. Et puis, lorsque je commence une œuvre, je dois la terminer. J’écris sans discontinuer et sans me lasser. Par exemple, mon ouvrage le plus volumineux, ‘’L’étrange préfet’’, je l’ai écrit en deux semaines. ‘’Itinéraire’’, je l’ai écrit en une semaine. ‘’La rage de vaincre’’, je l’ai peaufiné en trois jours.
Comment pouvez-vous définir la littérature ?
La littérature, c’est une partie de l’art. C’est l’ensemble de tout ce qui porte sur les lettres. L’autre aspect de la littérature, c’est le côté artistique et utilitaire ; c’est la transposition de la connaissance, la sublimation d’un savoir que nous traduisons. Or, une connaissance dans l’esprit est évanescence. La littérature, c’est aussi cette capacité à émouvoir l’autre, à agencer, à imaginer des mots qui émeuvent un individu, une communauté, à cause de la musicalité, de la poésie, le charme des mots ou alors de la laideur des mots. Quand je parle d’émotion, c’est la gaieté, l’amour mais aussi la colère, la frustration qui révolte ; c’est quelque chose de sublime. L’artiste, c’est le littéraire au sens artistique du terme. L’artiste, c’est le magicien comme un chanteur l’est, comme un peintre l’est, comme un dessinateur l’est, comme un sculpteur l’est. Enfin, je définirai la littérature au sens artistique du terme, comme le pouvoir de création, le verbe que Dieu confère à l’homme, la puissance du verbe, du mot qui change tout.
Dans la majorité de vos ouvrages, vous employez le terme ‘’humilité’’. Pourquoi ?
Notre relation à la vie est toujours fonction de notre expérience personnelle. Notre relation à notre communauté, à notre pays est toujours une relation qui est influencée par ce que nous avons vécu. En ce qui concerne ma relation avec mon environnement, elle est fondée sur ma vie, mon enfance. L’humilité pour moi, c’est une philosophie de vie. Comment vivre avec les autres en communauté ? C’est ma façon de vivre. C’est ma façon de voir le monde. Comment vivre avec Dieu ? L’humilité, c’est un mode de vie. Dieu le suprême, le Bienséant, le Très haut, nous donne une infinitésimale partie de sa puissance qui est le savoir, la connaissance, le travail, l’amour, la création. Nous devons vivre avec ça. L’humilité ne veut pas dire qu’on cesse toutes les hiérarchies sociales. On vit un niveau de savoir, un niveau de hiérarchie, un niveau de connaissance, un niveau de possession matérielle ; mais en se rappelant que tout cela n’est qu’éphémère. Et, dans mon ouvrage ‘’La rage de vaincre’’, je parle de l’importance de l’humilité. Tous ceux qui sont humbles ont une ascendance dans leur vie de tous les jours. Il faut apprendre à regarder l’autre avec amour. L’humilité, c’est également valoriser l’autre ; comprendre notre petitesse dans l’univers de l’humanité. C’est tout ce qui nous porte à contribuer à l’amélioration et à l’épanouissement de l’autre.
Vous avez créé une Ong dénommée ‘’Aube Nouvelle’’. Quelle est sa raison d’être ?
Je vous ai parlé de mes écrits et de la façon dont je les ai produits. Mes ouvrages constituent une compilation de ma conception de la vie et ma vision de la vie, surtout la vie en communauté. Dans mon cheminement, j’ai rencontré plusieurs personnes de toutes les couches sociales. Parmi ces personnes, il y a des magistrats, des hommes d’affaires, des enseignants du primaire, du secondaire et du supérieur, des chefs d’entreprises. A un moment donné, nous avons réfléchi et nous avons décidé de créer cette Organisation non gouvernementale (Ong) Aube Nouvelle, dont le but est d’apporter notre soutien aux personnes qui sont dans le besoin autour de nous, à l’intérieur du pays sur tous les plans selon nos ressources disponibles. Donc, nous nous sommes mis ensemble pour servir les communautés qui ont éventuellement des difficultés.
Aujourd’hui, vous êtes un repère pour la jeunesse. Lire, c’est aussi une façon d’éduquer, d’apprendre. Quel est votre message pour cette jeunesse-là qui vous observe ?
L’acquisition de la connaissance est très importante pour bâtir une société. Vous voyez dans l’Egypte antique, la Rome antique, on n’arrive pas à comprendre comment les gens ont pu bâtir ces monuments, ces édifices, ces empires, les techniques de momification de l’homme. Aujourd’hui, on se demande comment les gens ont pu maîtriser la science et la technologie.
Dans la Rome antique, la Grèce antique, les gens avaient un mode de conservation de la connaissance : ce sont les écrits. On acquiert le savoir par la lecture. C’est vrai, aujourd’hui, il y a l’audiovisuel, la technologie est très développée ; mais ce n’est pas tout le temps qu’on doit regarder et écouter. Cette paresse que les jeunes d’aujourd’hui ont, est un fléau. C’est très important, il faut lire. Lire forge et forme. Les jeunes doivent s’intéresser à la lecture. Certains jeunes ont la paresse de lire, mais il y en a qui lisent et écrivent. Au salon du livre, j’ai vu beaucoup de jeunes écrivains. J’encourage les jeunes à s’intéresser aux choses de l’esprit en vivant leur vie de jeunesse. La paresse intellectuelle est une menace pour les jeunes eux-mêmes.
Interview réalisée par César Kouakou