Président du Conseil exécutif du Cénacle des journalistes Seniors de Côte d’Ivoire, retraité, après une carrière professionnelle d’une trentaine d’années, essentiellement en Côte d’Ivoire et au Sénégal dans des organes de presse (Afrique nouvelle à Dakar et Ivoire dimanche, La nouvelle presse, le Jour à Abidjan), mais également dans des organismes internationaux (La fédération de la croix rouge et l’Union européenne), Lucien Houédanou s’occupe d’études et d’administration de projets dans les domaines de la communication, de la culture et des droits humains. « L’Afrique, des Pharaons à la démocratie buissonnière » est l’essai qu’il propose et dont il parle dans cet échange.
Votre livre aurait pu ne pas exister ; Voulez-vous bien nous raconter l’histoire de sa naissance et nous dire ce qui a présidé à sa venue.
Oui, comme tout projet humain est susceptible de ne pas se réaliser, ce livre aurait pu ne pas exister. Mais la plupart des chapitres qui constituent L’Afrique, des Pharaons à la démocratie buissonnière existaient déjà sous forme d’articles publiés. J’ai bataillé sans relâche avant de trouver un éditeur, les Éditions Continents, pour donner vie au projet. Nous ne le regrettons pas, puisque la première édition a été épuisée en quelques mois et une réimpression est en cours.
Il s’agit du premier livre d’une trilogie constituant mes Mémoires de critique littéraire. J’ai surtout eu à faire un travail d’édition et d’architecture : réunir les textes, les ordonnancer a posteriori selon des axes de convergence et une progression argumentative.
Ce premier livre présente des rencontres avec des penseurs et chercheurs africains, des critiques d’ouvrages relatifs aux racines historiques les plus lointaines de l’Afrique, celles de l’Egypte pharaonique en l’occurrence, dans l’optique des travaux de Cheikh Anta Diop. J’examine également des lectures critiques de notre passé. Enfin, il y a une série de réflexions sur notre pratique de la gestion du pouvoir politique, ce que j’appelle la démocratie buissonnière.
Le titre laisse croire que vous êtes déçu de la classe politique du continent. L’êtes-vous en effet ?
Nous faisons semblant, dis-je, de pratiquer la démocratie comme ces garnements qui font semblant d’aller à l’école et dont on dit qu’ils font l’école buissonnière. La démocratie buissonnière, c’est cette vie politique en trompe-l’œil, qui consiste à ruser avec le principe de la démocratie, à se parer des signes extérieurs de ce système, tout en instituant ou en maintenant des pratiques de confiscation du pouvoir et de ses avantages indus au profit d’une minorité de partisans.
Qui précisément se cache derrière ce pronom « nous » ?
En parlant de démocratie buissonnière, je ne parle pas d’eux mais de NOUS, un nous inclusif qui ne se limite pas à la classe politique mais questionne nos pratiques, nos mentalités et responsabilités en tant que citoyens. Ce sont les citoyens qui sécrètent, acceptent ou avalisent la classe politique.
Le personnel politique plus qu’incompétent, semble plaisanter et ruser avec le destin des populations et manquer de prise de conscience, toujours en référence au titre avec le mot ‘buissonnière”
À mon avis, nous avons le personnel politique que nous méritons. Nous avons tendance, en Afrique, à rejeter toute la responsabilité de ce qui ne va pas sur l’autre : l’extérieur, la classe politique, les sorciers, etc. Nous ne nous demandons pas assez : que puis-je faire, à mon niveau, personnellement et avec d’autres citoyens, pour faire changer positivement la société ? Je pense que, plus que les partis politiques, les organisations de la société civile et les médias ont un profond travail d’éducation citoyenne à faire, pour enraciner la culture de la vie démocratique dans les mentalités et les pratiques. Pour sortir de la démocratie buissonnière, il faut des citoyens qui ont conscience de leur pouvoir de demander des comptes à leurs dirigeants, qui se déterminent en transcendant les grégarismes ethniques, régionaux, religieux, etc.
De grandes figures défilent que retenez-vous de Christophe Wondji par exemple
Le Pr Christophe Wondji a mené des recherches minutieuses sur l’histoire de l’Afrique de l’Ouest. Nous avons eu avec lui un entretien très enrichissant sur la complexité des relations parfois violentes entre des peuples africains voisins. Samory, note-t-il, est un héros pour les uns mais, pour d’autres, il est considéré comme un sanguinaire. Christophe Wondji attire également l’attention sur l’impact que peuvent avoir, jusqu’à nos jours, les conceptions du pouvoir sacré, voire divin, du chef dans certaines sociétés africaines.
Dans le chapitre III vous logez Mamadou Koulibaly, Gbagbo et semblez faire le constat du fossé entre la théorie et la pratique ?
Votre question me fait sourire ! C’est peut-être vous qui faites le constat du fossé – normal d’ailleurs – entre la théorie et la pratique. Dans mon livre, je reviens sur un entretien que j’ai eu avec Laurent Gbagbo, dans un petit café à Paris, quand il était opposant en exil, par l’entremise d’un ami commun, l’éditeur Paul Dakéyo. C’était il y a une quarantaine d’années. Mamadou Koulibaly, je l’ai pratiqué plus régulièrement, après la publication de son premier livre en forme de manifeste ultra-libéral, au sujet de ses idées sur le franc CFA, la question foncière, son évolution politique vers le parti du socialiste Laurent Gbagbo… Ce qui me paraît intéressant, c’est de documenter l’évolution de la pensée politique comme base et moteur de l’action politique. Y a-t-il fossé, inadéquation, revirements, reniements ? Les analyses peuvent évidemment se faire, en confrontation avec la pratique.
En revanche – et c’est intéressant – vous y logez Houphouët-Boigny et Senghor. Alors questions, que fait Boigny à côté de Gbagbo et que fait Senghor avec Houphouët à la lecture de leurs respectives trajectoires idéologiques ?
En termes de trajectoires idéologiques, Houphouët-Boigny, Senghor et Gbagbo ont été des hommes de gauche, tous les trois, même si leurs idées et parcours politiques ont été très contrastés. Cela peut surprendre, s’agissant du père de la nation ivoirienne mais, pendant la lutte pour la décolonisation, le Rassemblement démocratique africain (RDA) a été apparenté au Parti communiste français, et le député Houphouët Boigny était considéré comme un dangereux communiste.
Il me paraît important de rappeler qu’en Afrique, dans la lutte pour l’indépendance et sous les soleils des indépendances, les différentes formes de socialisme, le communisme, le marxisme ont occupé une place éminente dans la pensée et l’action politiques. C’est pourquoi une partie considérable du livre documente les idées voire les pratiques liées à ces idéologies.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
De nos jours, il y a comme une mise à plat des idéologies par un libéralisme uniformisant. Cependant, il faut avoir présent à l’esprit que l’action politique, la conquête ou la conservation du pouvoir démocratique s’appuient généralement sur des idées, des arguments de marketing électoral et politique plus ou moins élaborés, adaptés, actualisés. Il est bon de connaître ce qui a été, d’avoir un minimum de profondeur historique et contextuelle, pour ne pas naviguer à vue.
Interview par ALEX KIPRE