Amadou Hampaté Ba nous a quittés il y a 32 ans, le 15 mai 1991. Le Palais de la culture qui porte son nom, en partenariat avec le Salon des médias du Mali (Sam), a tenu à commémorer sa disparition le lundi 15 mai 2023 à travers une conférence-débat sur le thème “Amadou Hampaté Ba, miroir de la culture africaine”. Tenue au Palais de la culture, la conférence était animée par l’ancien ministre Mohamed Salia Touré et le journaliste écrivain Lanfia dit Mafa Sinaba, auteur du livre “Les révélations d’Amadou Hampaté Ba”, avec comme modérateur Abdoulaye Diombana, directeur général du Palais de la culture.
On introduction des conférenciers, Abdoulaye Diombana, le directeur général du Palais de la culture a rappelé que chaque année, le 15 mai, le Palais de la culture rend hommage à Amadou Hampaté Ba à travers diverses activités. Cette année, c’est une conférence-débat qui a été organisée pour commémorer la disparition de l’illustre disparu qui, à ses dires, est la somme de la culture. Dans son intervention, Mohamed Salia Touré a remercié la direction du Palais de la culture Amadou Hampaté Ba et les organisateurs du Salon des médias pour l’organisation de cet hommage à Amadou Hampaté Ba. Il a déploré le fait qu’au Mali le 15 mai de chaque passe de façon inaperçue sans que la jeune génération sache à quel événement important de son histoire ce jour correspond. Il a invité les autorités du Mali et les décideurs à faire comme l’ancien président Alpha Oumar Konaré qui, chaque 15 mai, durant les 10 ans de son magistère, dédiait des soirées culturelles aux œuvres d’Amadou Hampaté Ba. Ce qui ne se fait plus depuis des années. Il a fait savoir que l’auteur l’a inspiré durant toute sa vie scolaire et associative avec le Club Amadou Hampaté Ba depuis le lycée de Markala.
Dans son exposé, il s’est appesanti sur la vie et l’histoire d’Amadou Hampaté Ba. Il a rappelé qu’il était écrivain, poète, historien, ethnologue… Il a souligné qu’il y a beaucoup à apprendre dans sa vie. Il a signalé que dans la tradition peule, il y a 3 catégories d’hommes qui sont le hamadol, le hamadi et le hamadi hamadi. Le hamadol est celui qui est inutile. Le hamadi n’est utile qu’à sa famille. Le hamadi hamadi est utile non seulement à sa famille, il est utile à sa communauté, à son pays, au monde entier.
“Si un hamadi hamadi disparaît, c’est l’humanité qui en souffre. Amadou Hampaté Ba a été et demeurera pour nous un hamadi hamadi”, a-t-il soutenu.
Sur le parcours de l’homme, Mohamed Salia Touré a fait savoir qu’il est né à Bandiagara en 1900. Il fréquente très tôt l’école coranique, comme la plupart des enfants de la contrée. Il a grandi parmi des conteurs et poètes traditionnels. Il a ainsi été initié très jeune aux traditions orales et à la culture de sa région. Quelques années plus tard, il est inscrit à l’école française à Bandiagara, puis à Djenné.
En 1907, Amadou Hampaté Ba va suivre son père adoptif à Bougouni où il sera en contact avec la tradition bamanan. En 1909, il retourne à Bandiagara où commence sa formation religieuse et en science islamique. En 1915, il rejoint sa mère à Kati et poursuit ses études. Après son refus d’intégrer l’école William Ponty de Gorée, il est affecté en ex Haute Volta dans l’administration coloniale. Il a travaillé comme interprète pour les autorités coloniales et a également travaillé pour l’Unesco. En 1942, il est redéployé à l’Institut français d’Afrique noire (Ifan) à Dakar et y reste jusqu’en 1951. Il s’envole pour la France, après avoir obtenu une bourse d’études. A l’indépendance du Mali, il crée l’Institut des sciences humaines et intègre l’Unesco. Il restera au sein de l’organisation onusienne jusqu’en 1970.
De 1962 à 1966, il était ambassadeur du Mali en Côte d’Ivoire. Peu après, il s’installe en Côte d’ivoire et se consacre à la rédaction de ses œuvres comme “Amkoullel l’enfant Peul”, “Kaïdara”, “L’enseignement de Tierno Bokar”… Amadou Hampaté Ba est l’auteur de nombreux livres et articles sur la culture africaine, notamment “L’étrange destin de Wangrin”, “Koumen : texte initiatique des Malinké”, “Vie et enseignement de Tierno Bokar” et “Amkoullel, l’enfant peul”.
Il a également travaillé avec l’anthropologue Marcel Griaule sur des recherches sur la culture Dogon du Mali. Amadou Hampaté Ba a été un défenseur de la préservation des traditions orales africaines, qu’il considérait comme un héritage culturel important. Il s’est beaucoup investi pour la promotion de la tradition africaine et surtout malienne. Il décède le 15 mai 1991 en Côte d’Ivoire.
“Aujourd’hui, la jeunesse malienne doit s’investir pour marcher sur la trace d’Amadou Hampaté Ba. Mais pour cela, il faut créer les conditions pour que la jeunesse puisse avoir le goût pour la lecture. Et cela se passe par des décisions politiques qu’il faut prendre pour créer instaurer la culture de la lecture à travers la mise en place des bibliothèques et inciter les jeunes à aller vers la lecture. Les ministères en charge de la Culture, de l’Education, de l’Instruction citoyenne doivent travailler de façon intelligente pour faire en sorte qu’Amadou Hampaté Ba et d’autres puissent être connus à travers leurs écrits. C’est par là que nous allons exister demain sinon, nous n’existerons pas”, a-t-il conclu.
Lanfia dit Mafa Sinaba, auteur du livre “Les révélations d’Amadou Hampaté Ba”) a consacré son intervention sur le combat d’Amadou Hampaté Ba pour la valorisation de la culture noire africaine à l’Unesco. Il a informé qu’il a initié le Prix littéraire Amadou Hampaté Ba en 2002 dont la 1re édition a eu lieu en 2010.
Ce prix concerne les scolaires, les femmes et les hommes qui se sont illustrés dans le cadre de la promotion de la paix, du vivre ensemble et la promotion de la femme. Selon Lanfia Sinaba, Amadou Hampaté Bâ était un homme de culture, un traditionnaliste mais aussi un féministe. Son livre “Les révélations d’Amadou Hampaté Ba” paru en 2016, un récit de la vie d’Amadou Hampaté Ba qui en dit long sur ce côté féministe de l’homme. “Ce qui fait de moi le biographe d’Amadou Hampaté Ba”, a-t-il estimé. Aux dires du conférencier, Amadou Hampaté Ba était “franco-féministe”, parce qu’il s’est battu pour l’éducation des filles au même titre que les garçons. Il estimait que l’éducation était essentielle pour le développement économique et social du continent africain. En plus, il avait un profond respect pour la femme, surtout sa mère. Il a soutenu que le combat qu’Amadou Hampaté Ba a mené à l’Unesco est une interpellation. Car, il avait demandé à l’Unesco de tenir compte des sources orales comme sources d’histoire, sources de culture.“Amadou Hampaté Bâ s’est battu à l’Unesco pour avoir une aide pour la transcription des langues nationales africaines au cours du congrès de l’Unesco en 1966 à Bamako. C’est ainsi que l’Unesco a adopté un alphabet systématisé pour la plupart des langues nationales africaines. Les travaux pour la rédaction de l’histoire générale de l’Afrique, l’Unesco a tenu compte des sources orales comme sources d’histoire et sources de culture”, a-t-il révélé.
Sur la citation “En Afrique quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle” d’Amadou Hampaté Ba, Lanfia Sinaba a fait comprendre que l’auteur, en parlant de vieillard dans la citation faisait allusion au détenteur du savoir, de la connaissance (jeune et vieux) et non des vieillards aux cheveux blancs.
Et pour avoir ce savoir et cette connaissance, Amadou Hampaté Ba a dit qu’il faut passer par des initiations et des maîtres. Dans la fameuse citation, il estimait que les personnes détentrice de savoir, de connaissance sont en train de disparaître. Et il proposait d’aller vers ces personnes pour recueillir leurs avis, leurs connaissances avant qu’elles ne disparaissent. Pour Lanfia Sinaba, Amadou Hampaté Ba est un miroir de la culture africaine. Il permet ainsi à l’Africain de regarder son image réfléchie.
“L’Africain se reconnaît en Amadou Hampaté Ba qui a tenu compte de l’autre. Il s’est battu pour la promotion de la culture noire africaine dans l’estime de soi et dans la vision constante de l’autre. Il disait si j’existe, je dois aussi reconnaître que l’autre existe comme pour dire que dans le combat pour la valorisation de la culture noire africaine, il est important de tenir compte de l’interdépendance des hommes et du dialogue interculturel et du dialogue interreligieux. Amadou Hampaté Bâ disait que pour vivre en symbiose dans la société, les hommes doivent tenir compte de ce qui unit les hommes et non ce qui les divise”, a-t-il souligné.
Pour ses contributions à la culture africaine, Amadou Hampaté Ba a reçu de nombreux prix et distinctions, notamment le Grand prix littéraire d’Afrique noire en 1962 et le Prix international de la paix en 1989. Depuis son décès le 15 mai 1991, le Palais de la culture de Bamako, une université privée à Bamako et une autre à Dakar portent son nom afin que nul n’oublie celui qui disait : “En Afrique, un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle”.
Siaka Doumbia