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Côte d’Ivoire. Avec les fumeuses de poisson. Les yeux, les poumons et les doigts rongés par la fumée [Reportage 1/2]

Publié le :

Les fumeuses de poissons sont installées provisoirement sur ce site.

Dans la fumée, sous le soleil, les fumeuses de poisson d’Abobo-Doumé, village situé dans la commune d’Attécoubé, passent leurs journées à la recherche de quoi nourrir leurs familles. Incursion dans la pratique d’une activité quotidienne, exposant ses actrices à toutes sortes de difficultés.


C’est sous un soleil de plomb que nous nous sommes rendus sur le site de fumage de poisson d’Abobo-Doumé ce lundi 27 février 2023. De loin, nous apercevons de la fumée s’échapper de nombreux fours traditionnels installés sous des hangars de fortune construits dans un désordre déroutant. Et pour cause : chacune s’est installée à ses propres frais et comme elle le pouvait.

Dès que nous arrivons sous le premier hangar, la fumée qui nous accueille nous arrache des larmes. « C’est dans ça que nous travaillons depuis des années déjà », lance une dame très occupée à placer ses poissons sur le grill. « Cela fait vingt ans que je fume du poisson ici », explique-t-elle. Elle habite le village d’Abobo-Doumé. Vingt ans qu’elle brave la fumée, le soleil et les maladies. « Comme c’est notre travail, on ne peut pas abandonner. Je m’occupe de ma famille avec le peu que je gagne ici », confie-t-elle.

Les poissons sont ainsi étalés sur le grillage du four pour être fumés.

Lieux insalubres


« On est fatigué de parler. Tout le monde vient nous interroger ici. Mais on ne voit rien de bon en retour » déclare cette autre fumeuse, qui aimerait voir ses conditions de travail s’améliorer. Elle fait ce travail avec sa fille depuis une dizaine d’années, avalant quotidiennement d’importantes quantités de fumée, et sous une torride chaleur produite par le dispositif de fumage.

Le fumage du poisson à l’aide des fours traditionnels entraîne de nombreux problèmes de santé. « Les cas de maladie ne manquent pas ici, surtout le paludisme. Car on est sous le soleil, entouré de lieux peu salubres et sous la pluie. On a souvent des problèmes de vue à cause de la fumée », indique la présidente de l’Association des fumeuses de poisson d’Abobo-Doumé, Mme Zahui Cécile.


50% atteintes de maladies respiratoires


Le 4 août 2017, lors d’un atelier de partage et de restitution des travaux de recherche, organisé au bureau de la représentation de l’Organisation des Nations-Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (Fao) à Abidjan, en partenariat avec le ministère des Ressources animales et halieutiques, les résultats des travaux ont été présentés par une équipe de chercheurs de l’Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody. Ces résultats révèlent que 50% de ces femmes fumeuses de poissons, sont atteintes de maladies respiratoires, 10% ont perdu leur empreinte digitale à force de tourner manuellement le poisson au four. 17% souffrent de fièvre typhoïde ou d’hypertension artérielle.

Très tôt le matin, les femmes vont acheter du poisson. Les lieux d’achat sont divers. Soit elles les achètent au port de pêche ou directement au débarcadère à Abobo-Doumé avec les pêcheurs, soit dans les entreprises chinoises de vente de poisson congelé ou à Locodjoro en bordure de lagune avec les pêcheurs. Une fois sur le site de fumage, le poisson frais est nettoyé pour enlever les écailles et le laver avant d’être fumé. Quant au poisson congelé, il est décongelé avant de suivre les autres étapes du processus. C’est un travail très minutieux et qui demande beaucoup de courage, selon ces fumeuses de poissons.


Une activité intense


Après le fumage, elles vont vendre leur marchandise sur les différents marchés de la ville d’Abidjan. Certains de leurs clients grossistes viennent directement à elles sur le site. Des détaillants également. « Il y a aussi des gens qui viennent acheter du poisson fumé pour la consommation », précise une fumeuse.

Parmi les femmes qu’on trouve sur le site, il y en a qui ne sont pas des fumeuses. Elles viennent avec leurs poissons. Et sur place les fumeuses les fument moyennant de l’argent. « Je fume du poisson. Tout le monde est libre de faire ce travail. Je le fais depuis 13 ans. Je fais du contrat. J‘ai des clientes qui m’envoient du poisson pour fumer. On fait le prix en fonction de la quantité du poisson. On fume un carton de poisson à 3000 FCFA », explique Akossi Fernand, l’un des rares hommes qui fait ce travail sur ce site dominé par les femmes. Kouamé Viviane est l’une de ses clientes qui lui envoie régulièrement du poisson à faire fumer. « Moi je ne fume pas mes poissons. Je les lui envoie, pour les faire fumer », confirme cette dernière. Elle était en train de les nettoyer pour le fumage, lorsque nous l’avons abordée.

Sur les lieux, nous avons vu des charrettes et des camions décharger le poisson destiné au fumage. Des acheteurs de poisson fumé également, venus s’approvisionner pour la revente. Des faits qui dénotent de l’intensité de l’activité de fumage de poisson en ces lieux.

Un site précaire

Ces femmes sont installées provisoirement sur ce site. « Nous n’avons pas encore d’endroit fixe pour nous installer. Puisque cet endroit où nous fumons du poisson, appartient aux gens. Donc du jour au lendemain, nous pouvons être obligés de quitter cette parcelle si les propriétaires décident de la mettre en valeur. On a eu à se déplacer ainsi au moins trois à quatre fois déjà. Au début, on était derrière le goudron. Après, nous nous sommes installés sur l’espace qu’occupe actuellement la société de transport lagunaire. De là, on est venu ici. D’autres sont allés ailleurs avant de se retrouver ici », explique Mosso You Marie-Rose, secrétaire générale de l’Association des fumeuses de poisson d’Abobo-Doumé.

Elles sont donc installées provisoirement sur cette partie du site, qui est prise en étau par un lieu de vente de sable et un quartier en pleine extension. Ce qui qui pourrait finir par dévorer leur espace. De l’autre côté vers le bas, il y a la lagune. Le manque de site propre à elles, constitue un frein à la stabilité de leur activité et une bien meilleure organisation de celle-ci.

Diomandé Karamoko






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