Renvoyé, il y a un mois, au 16 mars, le procès pour diffamation de l’opposant sénégalais, Ousmane Sonko, s’annonçait sous forte tension, à Dakar où était déployé un important dispositif sécuritaire. Et c’est sous forte escorte policière que le cortège de l’opposant s’est ébranlé hier pour le tribunal où la sécurité avait aussi été renforcée. Des précautions dictées par la forte mobilisation des partisans de l’opposant qui tenaient la rue depuis l’avant-veille, pour lui traduire leur soutien dans ce que l’accusé lui-même qualifie de « complot, une affaire strictement politique instrumentalisée par le pouvoir de Macky Sall dans le dessein exclusif d’écarter un candidat qui, de loin, semble être un des mieux placés pour remporter la prochaine présidentielle ». Un air de déjà entendu puisque dans une précédente affaire l’opposant à une employée d’un salon de massage, qui l’a traîné devant les tribunaux pour « viols et menaces de mort », Ousmane Sonko avait déjà joué la carte de la cabale politique.
Ce qui devait être une banale affaire judiciaire de poursuite pour diffamation, est en train de virer au procès politique
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à un an de la présidentielle prévue pour le 25 février 2024, les couteaux semblent déjà tirés entre l’opposition réunie au sein de la coalition Yewwi Askan Wi qui ne marchande pas son soutien au leader du Pastef, et la majorité au pouvoir qui, loin de rester les bras croisés, ne manque jamais aussi de sonner la mobilisation dans ses rangs. Et dans l’affaire du ministre Mame Mbaye Niang qui s’estime diffamé et injurié, la coalition Benno Bokk Yakaar a donné de la voix pour dénoncer les agissements de l’opposition qu’elle accuse d’être « irresponsable » et de chercher « à déstabiliser les institutions ». Autant dire que ce qui devait être une banale affaire judiciaire de poursuite pour diffamation, est en train de virer au procès politique. Et les tensions sociopolitiques récurrentes consécutives aux auditions de l’opposant, ne sont pas de nature à créer un climat de sérénité pour l’administration de la Justice. A tout le moins, elles peuvent avoir pour effet de mettre dans l’embarras si ce n’est sur la sellette, l’institution judiciaire qui, aux yeux de l’opposition, a besoin de faire la preuve de son indépendance. Autant dire que la Justice sénégalaise se trouve aujourd’hui comme prise entre l’enclume d’un pouvoir qui ne demande qu’à voir les procédures judiciaires engagées contre l’opposant, aller le plus vite possible, et le marteau d’une opposition prompte à lui mettre la pression, quitte à troubler la paix sociale pour la cause de son champion qui joue visiblement son avenir politique à travers ces deux affaires judiciaires. D’autant qu’en cas de condamnation, sa candidature à la présidentielle de 2024 pourrait être définitivement scellée en cas d’inéligibilité. Dans un tel contexte, il est permis de se demander si la Justice sénégalaise saura se montrer suffisamment imperturbable pour dire le droit dans toute sa rigueur, consciente des conséquences d’une éventuelle lourde condamnation d’Ousmane Sonko, qui pourrait précipiter le pays dans des violences inouïes.
La casquette d’opposant ne doit pas être un parapluie pour se prémunir contre des poursuites judiciaires
Ou si sa décision pourrait répondre à d’autres considérations en vue de la préservation de la paix sociale. C’est dire tout le dilemme qui pourrait être aujourd’hui le sien, pour des affaires qui ne devraient pourtant pas en être dans le fond. Mais les hommes politiques sont ce qu’ils sont. Et dans le cas d’espèce, le constat est que chaque fois qu’Ousmane Sonko est convoqué devant la Justice, le Sénégal se met en ébullition. C’est à se demander si la rue n’est pas devenue, pour l’opposant, la principale arme contre le pouvoir de Macky Sall qu’il accuse de cabales visant à l’éliminer politiquement. On veut bien croire le leader politique. Car, au vu des cas de l’ex-maire de Dakar, Khalifa Sall, et de Karim Wade, qui sont autant de poids lourds de l’opposition écartés de la course au fauteuil présidentiel dans les conditions que l’on sait, il est difficile de donner le bon Dieu sans confession au régime de Macky Sall. Surtout que le chef de l’Etat sénégalais continue de garder le mystère sur ses intentions de troisième mandat qu’on lui prête. Mais Ousmane Sonko doit aussi s’assumer. Car, il est un peu trop facile de se mettre en délicatesse avec la loi, et de crier chaque fois à la cabale politique parce qu’on est un opposant ambitieux. Autrement dit, la casquette d’opposant ne doit pas être un parapluie pour se prémunir contre des poursuites judiciaires. Tant qu’à faire, ce n’est quand même pas le pouvoir qui a guidé les pas de l’ex-maire de Ziguinchor dans le salon de Adji Sarr pour aller se faire masser. Ce n’est pas non plus le pouvoir qui a mis dans sa bouche, les propos qu’il a tenus contre le ministre Mame Mbaye Niang qui s’estime diffamé. Qu’il assume donc ses actes en laissant la Justice faire son travail. D’autant que s’il n’a rien à se reprocher, en plus d’être blanchi, il en sortira plutôt grandi. Par contre, cette propension frénétique à ameuter la rue à la moindre convocation, pourrait le desservir en laissant croire à une volonté déguisée de se soustraire à la Justice. En tout état de cause, Ousmane Sonko peut ne pas avoir confiance en la Justice de son pays, mais il ne doit pas l’empêcher de faire son travail. Ce serait un mauvais signal. Surtout pour une personnalité de son rang, qui aspire un jour à présider aux destinées d’un pays qui se veut l’une des vitrines de la démocratie en Afrique.
« Le Pays »