Les électeurs béninois se rendent aux urnes ce dimanche 8 janvier pour renouveler leur Parlement. Les principaux partis de l’opposition, exclus des précédentes législatives de 2019, ont été, de justesse, autorisés à participer à la compétition. Mais ce sera sans le Professeur Joël Aivo et l’ancienne ministre Reckya Madougou, deux poids lourds de l’opposition, mis en prison depuis un an, respectivement à 10 ans de prison pour « blanchiment de capitaux » et à 20 ans pour « association de malfaiteurs et terrorisme ».
Reckya Madougou, 48 ans, ancien garde des sceaux et porte-parole du gouvernement béninois, a été deux fois ministre du gouvernement Boni Yayi. Sa campagne « Touche pas à ma Constitution » a inspiré plusieurs initiatives du genre dans la sous-région et l'a fait connaître sur la scène politique internationale. L'ancienne conseillère spéciale du président togolais Faure Gnassingbé est revenue au Bénin pour se présenter à l'élection présidentielle d'avril 2021, pour le compte du plus grand parti de l'opposition béninoise « Les Démocrates » de l'ancien président Boni Yayi.
Quant à Frédéric Joël Aïvo, 49 ans, constitutionnaliste, il est professeur titulaire de droit public à l'Université d'Abomey-Calavi et intervient aussi régulièrement dans plusieurs universités de la sous-région. Ancien Doyen de la Faculté de droit et de science politique (Fadesp) de l'Université d'Abomey-Calavi, il est l'auteur de plusieurs ouvrages et de nombreuses publications. Son expertise est souvent sollicitée pour la consolidation de la démocratie et de l’État de droit par les Nations-Unies ou les instances sous-régionales. En 2011, il est membre de la Commission chargée de l'élaboration des avant-projets de lois dans le cadre des réformes politiques et institutionnelles au Bénin. En 2016, il est rapporteur général de la Commission chargée de faire des propositions en vue de la révision de la Constitution, de la Charte des partis politiques et du Code électoral. Il manifeste la même année son opposition à la révision de la Constitution, et dénonce, en 2019, l'exclusion des partis politiques de l'opposition des législatives.
« Terrorisme » et « blanchiment de capitaux »
C'est dans le cadre des préparatifs aux élections présidentielles de 2021 que Reckya Madougou et Joël Aïvo ont été arrêtés et incarcérés. Le 3 mars 2021, Reckya Madougou participe à une conférence publique à Porto-Novo, avec d'autres membres de l'opposition, candidats recalés à l'élection présidentielle du 11 avril, dont Joël Aïvo du parti Rassemblement Joël Aïvo (RJA), aussi membre du Front pour la restauration de la démocratie (FRD), collectif formé de certains partis de l'opposition à l'époque, porté sur les fonts baptismaux en janvier 2021. Au cours de ce meeting, ils rassurent leurs militants de leur participation à l'élection présidentielle, malgré l'invalidation de leurs candidatures par la Commission électorale nationale autonome (Céna).
Sur le chemin du retour, la voiture de Reckya Madougou est interceptée par la police. Elle est gardée à vue à la Brigade économique et financière (Bef). Une source judiciaire affirme qu'elle était mise en cause dans une procédure d’enquête judiciaire, ouverte le vendredi 26 février 2021. Elle est accusée d'avoir participé à un projet d'assassinats d'hommes politiques dans le dessein de perturber la présidentielle béninoise de 2021. Saisi, le juge des libertés et de la détention, Essowé Batamoussi, dénonce, le 5 avril, un dossier vide et des pressions récurrentes du pouvoir empêchant la justice de s'exercer en toute autonomie. Néanmoins, l’opposante est donc condamnée à 20 ans de prison, pour association de malfaiteurs et terrorisme, le 11 décembre 2021.
Des appels à leur libération
Au cours de ce même mois de décembre 2021, Joël Aïvo lui aussi a écopé de 10 ans de prison par la Cour de répression des infractions économiques et du terrorsme (Criet). Arrêté et gardé à vue en avril, à la Brigade économique et financière (Bef), il a été condamné pour « atteinte à la sûreté de l'État et blanchiment de capitaux », suite à son audition devant le parquet de la Criet.
Dans un compte rendu de sa session tenue entre le 29 août et 2 septembre 2022, le Groupe de travail des Nations-Unies sur la détention arbitraire a fustigé la détention qu'elle juge « arbitraire », de l’opposante béninoise Reckya Madougou. Il a demandé « la libération immédiate et sans condition » de l'ancien Garde des Sceaux. Le rapport pays 2022 du Bénin de Amnesty international a aussi jugé « arbitraire » les détentions de Reckya Madougou et Joël Aïvo. Boni Yayi, en visite chez le Président Patrice Talon en septembre 2021, a adressé un plaidoyer en leur faveur, à l'endroit de son successeur. Leurs militants et sympathisants n'ont pas cessé d’appeler à leur libération. En vain.
De notre correspondant au Bénin, Mufasa Sèdégbé