Des enfants qui entretiennent des tombes. Cela pourrait étonner. Et même choquer, vu tout ce que nos cultures disent de mystérieux sur la mort. C’est pourtant la réalité que nous avons constatée dans des cimetières à Abidjan.
« Tonton, c’est pour une visite ? On peut vous aider ? », a lancé un adolescent de16 ans, dès que nous avons franchi le portail du cimetière municipal d’Abobo le 22 septembre dernier. Aboubacar travaille dans ce cimetière depuis deux ans déjà malgré son jeune âge. Il a abandonné l’école en classe de 5e pour se retrouver à entretenir des tombes dans ce cimetière. Comme lui, bien d’autres enfants y travaillent. « Moi j’ai été à l’école. Ça n’a pas marché. Je viens donc me débrouiller ici en attendant », soutient Seydou un autre adolescent. Quant à Sery, il fréquente une école de formation en football. Il explique qu’en se rendant dans ce cimetière pour nettoyer des tombes, cela lui permet d’avoir un peu d’argent pour ses petits besoins. « Moi, je vais encore à l’école. Je viens chaque fois ici quand je n’ai pas cours. Je viens avec mes amis pour avoir un peu d’argent. Car je ne veux pas toujours demander de l’argent à mes parents », soutient cet élève. Il déclare que ses parents ne savent pas qu’il vient travailler dans le cimetière.
« C’est la rentrée scolaire. Voilà pourquoi vous ne les voyez pas assez », explique un doyen du lieu. Il précise que c’est surtout pendant les vacances scolaires, que les enfants viennent nombreux faire l’entretien des tombes. Des plus petits du primaire aux adolescents du secondaire, ils viennent faire ce travail pour se faire un peu d’argent pendant cette période.
Un tour au cimetière de Williamsville dans la commune d’Adjamé nous permet de constater que des enfants s’occupent également de l’entretien des tombes en ce lieu. Deux enfants, qui traînaient le long de la principale voie d’accès audit cimetière, ont confié qu’ils y sont pour cette activité. L’un, âgé de 14 ans, élève en classe de 3e selon lui, travaille avec son aîné. L’autre fréquente une école confessionnelle, islamique. « On vient ici les samedis et les dimanches », ont-ils précisé.
Un peu plus loin, dans le même cimetière, trois enfants poursuivent un lézard entre les tombes. Donnant ainsi l’impression de s’amuser, ils restent en réalité attentifs aux personnes qui accepteront de leur confier l’entretien de la tombe de leurs défunts. Et leur méthode d’approche est presque identique pour tous. Dès que des gens arrivent au cimetière, pour visiter ou prier sur les tombes de leurs proches, ils vont vers eux et proposent leurs services.
« Nous ne fixons pas de prix »
« On ne fixe pas de prix », confient certains rencontrés dans les cimetières visités. Munis de balais, de pelles, ils suivent les parents des défunts pour nettoyer les tombes devant lesquels ceux-ci se tiennent. Le nettoyage en question consiste à arracher les herbes qui ont poussé, tout autour généralement, retirer les débris que des coups de vent ont pu entraîner sur les tombes.
Les visiteurs leur donnent ce qu’ils veulent. Soit 500 francs, 1000 francs et même 2000 francs. « Certains donnent jusqu’à 5000 francs. Ça dépend de l’intérêt porté à notre service. D’autres par contre disent qu’ils vont s’occuper eux-mêmes des tombes pour lesquelles ils sont là », explique Aboubacar. Selon des enfants rencontrés au cimetière de Williamsville, il arrive que les plus grands qui sont généralement des fossoyeurs, jugent les prix avec le visiteur et leur confient l’entretien. Mais quand c’est eux-mêmes qui entrent directement en contact avec le visiteur, ils se contentent de ce que ce dernier leur donne après le service. « Le jour où ça marche, on peut rentrer à la maison avec 5000 à la fin de la journée. Mais il peut arriver aussi que nous ne gagnions rien », poursuivent-ils. D’autres ont confié que lorsqu’ils n’ont pas grand-chose à faire, ils nettoient les tombes qui ne reçoivent presque jamais personne pour les visiter et encore moins les entretenir. Cela est bénéfique pour eux en ce sens qu’ils peuvent en recevoir des bénédictions.
Pour aider leurs parents
Si certains affirment que leurs parents ne savent pas qu’ils fréquentent le cimetière pour se faire de l’argent et pouvoir ainsi supporter leurs petites dépenses, ce n’est pas le cas pour tous. La plupart de ces enfants ont des parents aux revenus modestes. Il est ressorti de leur propos, qu’ils font l’entretien des tombes pour aider les parents dans les dépenses quotidiennes. Et principalement leur scolarité. Puisqu’ils sont pour la plupart des élèves qui, pendant les vacances scolaires, font généralement ce travail plutôt que de rester désœuvrés.
D’autres qui ont dû abandonner l’école, souvent pour des problèmes de moyens financiers, se sont ainsi retrouvés à entretenir des tombes. « Je me débrouille ici en attendant. Je n’ai pas d’autre travail à faire pour le moment », confie Aboubacar. Après avoir arrêté l’école en classe de 5e, il passe le plus clair de son temps à faire de petits travaux d’entretien au cimetière.
Pas peur des cimetières
La présence de ces adolescents dans les cimetières choque certains parents vu tous les mythes et croyances que leurs traditions leur ont toujours enseignés sur ce milieu. Pour eux, ce n’est pas un endroit que doit fréquenter un enfant. C’est pourquoi, ils n’acceptent pas de leur confier l’entretien des tombes de leurs défunts. « Je pense que la pauvreté ne doit pas pousser les parents à orienter leurs enfants vers ce genre d’activité. Moi particulièrement, je n’aime pas voir les enfants trainer au cimetière », confie un homme qui visitait la tombe d’un proche. Si la question de la mort n’est plus un tabou ou un sujet effrayant pour ces gamins, c’est à cause de la proximité de leurs quartiers d’avec les cimetières, selon dame Hélène.
Car la plupart des enfants rencontrés au cimetière viennent des quartiers environnants. Et ils ont confié ne pas avoir peur du cimetière. Puisque de leur domicile, ils voient les tombes, ainsi que l’environnement dans lequel elles se trouvent, les enterrements et autres. Ils s’y sont donc habitués avec le temps.
Les responsables laissent faire
Les responsables des cimetières sont informés de la présence de ces enfants et des activités qu’ils y mènent. « Ces enfants font ces travaux de façon bénévole. Ils ne sont pas ici en permanence. C’est surtout pendant les vacances scolaires qu’ils sont nombreux ici » nous a-t-on confié au cimetière de Williamsville. Toutefois, du fait que ce sont après tout des enfants, notre interlocuteur qui a voulu garder l’anonymat, s’empresse d’ajouter : « Mais nous ne voulons pas les voir ici. Ce n’est pas leur travail. Quand, ils viennent nous les chassons », explique-t-il. Les enfants trouvent tout de même d’autres moyens pour entrer dans le cimetière. Il y a des habitations pratiquement contiguës au cimetière, dont ils escaladent allègrement la clôture, pour accéder aux tombes. A l’en croire, il est donc difficile de les contrôler, bien que des policiers soient postés au portail.
Diomandé Karamoko