À 5,8 kilomètres de Grand-Bassam, se trouve le paisible et attrayant village d’Azuretti. Peuplé d’environ 2 000 âmes, cette bourgade, qui doit sa notoriété à ses magnifiques plages, est fortement menacée par l’érosion côtière. Plusieurs activités se trouvent perturbées, du fait de ce phénomène environnemental. A travers une visite effectuée le samedi 2 mai 2022, nous avons pu toucher du doigt cette triste réalité. Si l’érosion progresse dans les proportions actuelles et que des actions vigoureuses ne sont pas menées, il y a fort à craindre que cette agglomération rurale, qui a longtemps contribué à l’excellence du tourisme balnéaire dans la première capitale de la Côte d’Ivoire, ne finisse par disparaître, complètement engloutie par la mer.
Musique, causeries, rigolades autour d’un pot non loin de la mer. Telle est l’ambiance qui prévalait, ce samedi 2 mai 2022, dans le cabaret Tabacco, au quartier Apollo, du village d’Azuretti. Une bourgade située à 5,8 kms du centre de Grand-Bassam. Localisé dans la partie Sud-Ouest du littoral de la ville, Azuretti est bâti sur une bande de terre entre la mer et la lagune Ouladine. Il s’étend sur une distance de 7 kilomètres à partir du cimetière municipal, pour des largeurs qui varient entre 300 et 500 mètres. Ce village comprend quatre quartiers que sont : Fanti, Apollo, Alladjan et Ebrié. Il accueille très souvent, les week-ends, des personnes qui viennent, individuellement ou par groupes, pour se restaurer dans les maquis, restaurants ou se divertir à d’autres endroits, tous situés en bordure de mer.
Assis par petits groupes sous la paillote du maquis Tabacco, des jeunes gens passent le temps, en consommant des jus de fruits ou des boissons alcoolisées. Les décibels distillés par la musique jouée dans le cabaret Tabacco se perdent par moments, dans le bruyant flux et reflux des vagues de la mer. Celle-ci est aujourd’hui à moins d’une centaine de mètres du maquis. Car à Azuretti, la mer avance sans arrêt et chaque année en direction du village, qui pourtant, doit sa notoriété à ses somptueuses plages. En proie à l’érosion côtière et à de multiples inondations consécutives aux pluies, il est menacé de disparition. Les cocotiers, qui constituaient l’essentiel de la végétation, ont pour la plupart disparu, laissant leurs souches à fleur du sol, comme pour rappeler à tous qu’ils ont longtemps existé là. Autour de l’établissement hôtelier Azur Dream Beach précisément, tous les cocotiers ont disparu sous la mer.
« Nous pouvons nous retrouver dans la mer pendant que nous dormons »
Non loin de cet établissement, nous abordons Bogui Iréné, chef des jeunes du quartier Alladjan. Alors qu’il était sur le point de rejoindre certains de ses amis sous une paillote du village, il nous confie : « Nos parents nous ont raconté que la mer était à un peu plus d’un kilomètre du village, il y a une cinquantaine d’années de cela. Au fur et à mesure que les années passent, la mer avance. Au moment de la marée haute, de septembre à novembre, ses eaux traversent la voie principale du village et inondent les maisons ». Une situation qui tout naturellement trouble régulièrement la quiétude des habitants.
N’Guessan Grah Jean-Claude, notable chargé de l’environnement au quartier Alladjan, auprès duquel le chef des jeunes du quartier nous conduisent, ne cache pas son inquiétude. L’homme, qui nous reçoit à l’ombre d’un apatam situé dans sa cour, ne fait pas de mystère et affirme : « Nous dormons les yeux ouverts car nous sommes inquiets. Nous avons peur de voir l’eau de mer nous inonder pendant notre sommeil. Nous pouvons peut-être nous retrouver dans la mer pendant que nous dormons ».
Selon ses explications, la période qui fait le plus peur, s’étend de mai à août. Il a souvenance d’un fait survenu dans le courant du mois d’août 2020. « L’eau s’est déversée dans le village. Elle a coulé dans les maisons. Ce jour-là, des pirogues ont été emportées, des cocotiers ont été déracinés ». Mais avant cet événement, plusieurs années auparavant, le terrain de football a été englouti par les eaux. De nombreux cocotiers ont également été emportés par la mer. Il n'en reste plus que quelques-uns.
Sur cette vaste étendue d’eau agitée, nous apercevons de temps à autres, des pêcheurs dans des pirogues, qui vont jeter ou retirer leurs filets. Des pirogues sont aussi attachées aux quelque cocotiers, qui semblent avoir tenu tête jusqu’ici, aux vagues de la mer. C’est à proximité de l’une de ses embarcations que nous trouvons, couché, Kouamé N’Koun. Il est notable de la chefferie du quartier Fanti. L’homme qui s’offrait ainsi un moment de repos, nous reçoit pour échanger.
Quand la mer monte, la pêche s'arrête
La pêche nous explique-t-il, subit de plein fouet les effets de la montée des eaux. L’activité est pratiquement à l'arrêt quand la mer monte. Les pirogues ne peuvent pas résister à la force des vagues en ce moment.
La pêche devient plus difficile dans cette partie de la mer qui s’étend face au village. A tel point que même les bateaux de pêche se rapprochent pratiquement en bordure des plages pour espérer avoir du poisson. Et parfois, ces chalutiers dérobent les filets des villageois qui ont pris des poissons, ce qu’ils ne faisaient pas jadis. Le notable rappelle un fait regrettable, qui s’est déroulé il y a quelques années. « Un pêcheur a été victime du vol de 8 filets. Or un filet coûte entre 150 000 F et 200 000 F », explique Kouamé N’Koun.
Pour notre interlocuteur, l’avancée de la mer est aussi occasionnée par l’extraction du sable marin, utilisé pour la construction des maisons. « Au fur et à mesure que les gens creusent pour retirer le sable, ils font le lit de la mer. Celle-ci occupe l’espace ainsi créé ». Pendant qu’il s’explique, le notable montre du doigt des endroits où le prélèvement du sable a favorisé l’avancée de la mer. Fort heureusement, les autorités administratives ont donné des instructions fermes, afin que cette pratique cesse. La chefferie et la notabilité veillent au respect scrupuleux de cette consigne.
Kouamé N’koun regrette que la proposition de Jean-Baptiste Mockey, l’une des premières grandes figures politiques de Grand-Bassam, n’ait pas été prise en considération. Cette proposition consistait à relocaliser le village sur le site abritant actuellement, l’opération immobilière les « Rosiers », sise à l’entrée de la ville de Grand Bassam. Aux dires de Kouamé N’Koun, Jean-Baptiste Mockey avait fait cette suggestion en visionnaire. Car, il s’agissait d’éviter les dégâts que l’érosion, qui était déjà perceptible au cours des années 1970, pourrait occasionner au fil du temps. Surtout que le village est coincé entre la mer et la lagune. Mais, les villageois à l’époque n’ont pas voulu se déplacer, du fait de l’abondance du poisson dans cette zone. « C’est bien dommage parce qu’il n’y a plus de terrain aujourd’hui pour la relocalisation du village », indique-t-il avec amertume, en haussant les épaules.
Jeremy Junior