La Côte d’Ivoire est en chantier. Vérité première, que l’on constate au quotidien sur le terrain, à travers les grands travaux d’infrastructures, qui attirent partout, l’attention de tous. Résultante d’une volonté affichée des pouvoirs publics ivoiriens, de reconstruire le pays, dans tous ses recoins et conformément aux besoins économiques et sociaux des populations. Et le plus intéressant en cela, est que l’arrière- pays, semble vivre une période de renaissance, ainsi que donne à le croire des villes comme Bouaké, Daloa, Korhogo, Bondoukou, San Pedro, Bouaflé etc. Des chef-lieu de région qui ne payaient vraiment plus de mine, avec un niveau d’équipement infrastructurel de base dépassé. Pendant que leurs habitants en éprouvent de réels besoins d’usage, qui n’arrête pas de croître.
Pour autant, la symphonie de ce renouveau général aurait été bien inachevée si, la reconstruction nationale devait être limitée à ces seules actions structurantes, bien que non négligeables en soi. Surtout à l’intérieur du pays où, la notion du développement prend tout son sens. Autrement dit, l’on ne peut parler de développement véritablement exemplaire d’un pays, si les différentes localités qui le composent, restent dépourvues de moteurs économiques locaux, qui propulsent et consolident l’épanouissement quotidien de leurs populations. C’est en cela qu’il faut vivement saluer, encourager et soutenir la création des neuf agropoles prévus dans le Plan National d’Investissement Agricole (PNIA) 2021-2025. Des investissements, caractérisés par une organisation interdépendante de la production agricole, de la commercialisation des produits qui en sont issus et de leur industrialisation, au sein des différentes contrées de l’arrière-pays. Toutes les régions de la Côte d’Ivoire sont concernées. Et le premier de ces agropoles dont les bases sont déjà jetées, est celui du Centre du pays. Il couvre les régions du Bélier, du Gbêkê, du N’Zi, de l’Iffou. Vient ensuite celui du Nord, lancé récemment à Sinématiali, au profit des régions de la Bagoué, du Poro , du Tchologo, et du Hambol. Il faudra certainement compter dans les temps à venir avec sept autres en gestation.
Mais, pour avoir observé et suivi le déroulement d’expériences similaires dans pratiquement toutes les régions de la Côte d’Ivoire, au cours des années 1970 et 1980, l’on ne peut s’empêcher d’émettre quelques réserves. Voire des craintes quant au plein succès de la reconstruction économique locale, dont ces agropoles doivent être le fer de lance. C’est que, l’on garde encore à l’esprit que, plusieurs initiatives étatiques déjà menées, sur la base du secteur agricole, ont dans bien des cas, fait simplement choux blanc. On peut citer, les complexes sucriers et de tomates, dont la fermeture ou la privatisation, pour mauvaise gestion ou fausses projections économiques, a anéanti tous les efforts colossaux de production déployés par les paysans ; en plus de ceux consentis par l’abondante main d’œuvre locale, qu’employaient les plantations industrielles de ces unités de transformation. Comme l’opération de production à grande échelle de riz et de maïs à Yamoussoukro dite projet de Yabra, qui a souffert de l’inexistence d’un marché potentiel organisé en vue d’absorber des productions réalisées, par la jeunesse paysanne, au profit de laquelle l’opération avait été montée. On pourrait citer bien d’autres importants projets sectoriels, visant tous, le même et noble objectif du développement local, mais qui sont demeurés sans lendemain, après avoir fait tant rêvé.
Cependant, cette fois avec les agropoles, il faut noter qu’une forte implication des opérateurs privés est prévue. Et surtout encouragée et entretenue par des facilités financières à eux concédées par l’Etat. Toute chose qui invite à garder l’espoir. Notamment, celui de voir les paysans produire en quantité industrielle, des produits agricoles qui seront ensuite achetés et transformés sur place. Favorisant par ce fait même, la création de plusieurs centaines d’emplois directs et indirects. Car, faut-il le souligner, c’est bien souvent la mévente pour diverses raisons des récoltes paysannes, qui explique les échecs essuyés par les programmes agricoles, portant sur les vivriers notamment, mis en place dans les régions. Cela, en dehors des circuits d’écoulement traditionnels, à tendance plutôt spéculative, sans garantie certaine. Ce qui, malheureusement continue de caractériser à bien des égards, le marché de ces produits, dont la production aurait pu pourtant emballer des milliers de bras valides. Il y a aussi cette paradoxale concurrence que continue de subir le riz produit localement, face à des quantités massives de riz importé chaque année. Un fait d’autant plus incompréhensible, qu’avec plus d’une centaine de variétés locales, identifiées et étudiées par les scientifiques ivoiriens depuis du temps de l’ex Institut des Savanes (Idessa), l’on en soit encore à favoriser les importations de cette céréale. Bien que le profil gustatif de ces différentes variétés, reste fort apprécié des Ivoiriens. Et ce, depuis l’époque où, le pays avait atteint l’autosuffisance dans la production. Espérons que toutes les erreurs du passé ont été prises en compte. Et mieux, que cette fois, les opérateurs privés fortement attendus sur ce projet des agropoles, à travers les volets portant sur l’achat, la transformation et la distribution des productions agricoles, feront preuve d’un engagement ferme et d’une volonté plus inébranlable, pour mener à bien aux côtés des pouvoirs publics, la création de véritables tissus économiques régionaux. Tant il est vrai que, prises dans les mêmes conditions d’expérimentation, les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Vérité scientifique dit-on.
Moussa Ben Touré