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Politique

Histoire de gomme gommée

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Le roi des Belges est en visite au Congo depuis quelques jours. Il s’agit, selon ceux qui suivent de près cette visite, de réconcilier les mémoires congolaises et belges à propos de la colonisation du Congo par la Belgique. Sans oublier de faire quelques bonnes affaires au passage. Il y a deux ans, le roi actuel des Belges avait exprimé ses regrets pour les blessures infligées par ses compatriotes aux Congolais sous la colonisation et l’on s’attendait à ce qu’il demande des excuses au cours de cette visite-ci. Il ne l’a pas fait, mais a de nouveau exprimé ses regrets et reconnu que le système colonial était basé sur un rapport d’inégalité et de domination. Le contentieux émotionnel entre les deux peuples est lourd. Il y a eu notamment la colonisation elle-même et ses abominations, et l’assassinat de Patrice Lumumba, le héros national congolais, voire africain. Au début de la colonisation du Congo, cet immense pays était la propriété personnelle du roi des Belges, arrière grand-oncle du roi actuel. Et la colonisation y fut très dure. La grande Histoire a surtout retenu l’histoire sanglante du caoutchouc, appelé aussi gomme. On venait de découvrir les propriétés du caoutchouc, et surtout le fait qu’il permettait de fabriquer des pneus de voitures et beaucoup d’autres choses. Le caoutchouc était produit à partir du latex qui était extrait de l’hévéa, arbre qui poussait à l’état sauvage en Afrique. L’industrie de l’automobile était à ses débuts et en pleine expansion. Les colons poussèrent donc les « indigènes » africains à récolter le plus de latex qu’ils pouvaient pour développer l’industrie des pneus, et cela était d’autant plus urgent que l’Europe était en guerre. Alors, les Africains subirent les pires sévices pour aller chercher dans les forêts ce latex qu’ils finirent par maudire. Ils durent abandonner leurs propres activités agricoles pour aller à sa recherche. Et au Congo belge, on coupa les mains de ceux qui ne récoltaient pas assez de latex. De nombreuses populations fuirent dans les forêts pour échapper à la malédiction de la gomme. Cette histoire est bien documentée dans plusieurs livres qui racontent le Congo sous la colonisation et les mains coupées des populations sont souvent présentées comme le symbole de la brutalité et de la cruauté de cette colonisation belge. Et puis, au moment de l’indépendance, il y eut l’assassinat de Patrice Lumumba par des Belges. Ce qui est resté de lui est l’une de ses dents, que l’un de ses assassins avait conservée, et dont les Congolais réclament la restitution ainsi que celles de plusieurs objets d’art tels que des masques et autres objets sacrés de la culture de ce pays.

L’histoire des crimes commis dans l’exploitation du caoutchouc semble limitée au seul Congo belge. Détrompez-vous. Ce fut la même chose dans toutes les colonies françaises où poussait aussi l’hévéa, c’est-à-dire en Côte d’Ivoire également. Ce furent les mêmes abominations, les mêmes sévices que l’on fit subir à nos parents. La seconde guerre mondiale prit fin en 1945, et au cours de cette guerre, on rafla nos parents valides pour aller faire une guerre dont ils ne savaient et ne comprenaient absolument rien. Ceux qui étaient restés au pays devaient participer de force à l’effort de guerre, à grands coups de chicottes. Ce n’est qu’en 1946 que Félix Houphouët-Boigny qui venait d’être élu à l’Assemblée nationale française, obtint que « le travail forcé » fut aboli. Ma mère, qui est encore vivante, a bien connu cette époque. Que ceux qui ont encore des parents ayant connu cette époque les interrogent. Ce fut affreux. Les Baoulé pleuraient en criant « pohè hé, pohè hé » pour supplier le caoutchouc, appelé « pohè » de se montrer, lorsqu’on leur demandait d’aller à sa recherche. Ils savaient les tortures qu’ils subiraient s’ils ne ramenaient pas la quantité requise. Le caoutchouc a pendant longtemps été un produit maudit pour eux.

J’ai également chez moi une spatule en bois très dure qui m’a été offerte par une dame lorsque nous avions organisé une exposition sur Houphouët-Boigny en 2013 à l’occasion des vingt de sa disparition. Une photo montrait une femme en train damer une route avec cette spatule en bois. Et une dame qui en avait une, que lui avait laissée ses parents, me l’a offerte. Lorsque ma mère la vit dans mon salon, elle se mit à pleurer et elle me raconta combien sa mère et tant d’autres femmes avaient souffert avec ce morceau de bois lors des travaux forcés. C’était les femmes qui damaient les routes faites par les hommes.

Aujourd’hui nous avons gommé cette partie de notre histoire de nos mémoires, et surtout l’histoire de la gomme, parce que le colon ne l’a pas écrite dans ses livres d’histoire qu’il nous a laissés. Mais c’est notre histoire, que nous ne devons pas oublier. Ni nous, ni les Français. Il faut certes la dépasser et chercher à construire l’avenir, un avenir différent, mais il est important de la connaître. Le président Macron avait parlé de la nécessité de réconcilier les mémoires, s’agissant de l’Algérie et du Rwanda. Des historiens avaient produit des rapports sur ces mémoires douloureuses et je crois comprendre que ces pays sont en train de se réconcilier avec la France. Un tel travail doit aussi être fait dans les autres pays d’Afrique noire colonisés par la France. On ne peut pas passer à la trappe cette partie de notre passé commun. Si les générations qui nous ont précédés et la nôtre n’en ont pas fait cas, celles qui arrivent et qui connaitront beaucoup mieux leur histoire n’auront pas forcément la même compréhension de leurs relations avec la France. On aura beau chercher à gommer une partie de l’histoire, elle ressortira un jour. Et nous gagnerions tous à la faire ressortir maintenant, sereinement, pendant que nos relations sont excellentes.

Venance Konan




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