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Culture

Serge Bilé : "Je crois toujours à une coopération possible entre Antillais et Africains"

Publié le :

Serge Bilé

Quels commentaires suscitent en vous la commémoration du 16eme anniversaire du 1er vol direct de entre la Côte d'Ivoire et la Martinique ?


Serge Bilé : Les anniversaires suscitent toujours deux sentiments contradictoires : la joie quand il s’agit de célébrer une naissance, quelle qu’elle soit, et la tristesse quand il est question en revanche de marquer le souvenir d’un décès. Je ressens l’un et l’autre à la fois. Je suis heureux d’avoir réussi à organiser le premier vol direct entre Abidjan et Fort-de-France en 1996. Je suis chagriné de savoir que l’aventure n’a pas été prolongée au-delà de deux autres vols directs, alors que c’était une formidable opportunité historique pour la Côte d’Ivoire de s’ouvrir en dehors de la Martinique à toute la Caraïbes. La portée mémorielle d’un tel évènement n’enlève rien en effet à sa dimension économique. Je n’ai pas été compris ni suivi. Je le regrette. Non pas pour moi, car j’ai fait ma part, mais pour le pays qui n’a pas su saisir cette chance extraordinaire.


 Quels avantages pouvaient tirer la Côte d’Ivoire et la Martinique d’une liaison aérienne directe ?


Serge Bilé : Quels avantages ? C’est la grande question qu’il ne faut pas avoir honte d’aborder. J’en parle d’ailleurs dans l’un de mes livres, « Mes années Houphouët ». Même si ma motivation était purement culturelle et humaine, j’affirme que les questions mémorielles et économiques peuvent être associées. Derrière ce projet de vol direct, en apparence utopique, ce qui m’intéressait personnellement avant tout c’était de faire découvrir, au-delà de nos préjugés, de part et d’autre, le vrai visage de l’Afrique et des Antilles, en montrant, valorisant et échangeant ce qu’il y avait de plus beau, de plus généreux et de meilleur, chez eux et chez nous. Je croyais et je crois toujours d’ailleurs à une coopération possible entre Antillais et Africains, d’autant que nous partageons la même histoire, le même climat et les mêmes productions. Les Antillais peuvent aider économiquement les Africains, par un apport notamment de savoirs et de compétences, tandis que les Africains peuvent aider culturellement les Antillais dans leur quête d’identité, en leur permettant par exemple de retrouver une part importante de leurs racines. Enfin il ne faut pas oublier la dimension caribéenne d’une telle démarche. Ce « sixième continent », comme on l’appelle, représente 50 millions d’habitants. C’est un formidable débouché pour un pays africain qui cherche à diversifier ses partenaires.


 Comment vous est venue l’idée d’organiser le premier vol direct entre la Côte d’Ivoire et la Martinique ?


Serge Bilé : Je rappelle le contexte. En 1993, alors que j’arrive en Guyane pour présenter le journal télévisé, je découvre sur place les fameux Boni, ces descendants d’esclaves africains qui proviennent pour partie d’entre eux de la Côte d’Ivoire. J’organise dans la foulée le voyage retour pour une quinzaine de Boni. Les retrouvailles à Abidjan sont émouvantes. L’année suivante, je débarque en Martinique pour présenter le journal télévisé. Je réalise très vite que l’île entretient peu de liens avec le continent africain. Je décide d’organiser une semaine culturelle ivoirienne qui connaît un gros succès en Martinique avec la participation notamment du chanteur Meiway. En 1996, avec mon association Akwaba, on programme cette fois une semaine culturelle martiniquaise à Abidjan et il me vient à l’idée d’organiser un vol direct entre Abidjan et Fort-de-France, permettant, au-delà des artistes, aux Antillais d’aller découvrir la Côte d’Ivoire et aux Ivoiriens de se rendre en Martinique. Un vol direct sans passer par Paris ? Relier les deux rives en six heures au lieu de quarante-huit heures habituellement ? C’est une idée folle mais pourquoi pas ? A l’époque, mon frère François Bilé travaille à Air Afrique. Avec son aide, je réussis à monter l’opération.


Visiblement les gens étaient heureux d'effectuer le voyage. Pourquoi l'aventure s’est arrêtée ?


Serge Bilé : Je me souviens comme si c’était hier de l’arrivée du premier vol direct en provenance d’Abidjan. Quand l’Airbus de la compagnie Air Afrique s’est posé en Martinique, je n’ai pas pu m’empêcher de verser une larme. Les Ivoiriens étaient effectivement heureux de poser le pied en Martinique. L’avion est reparti le lendemain pour la Côte d’Ivoire avec deux-cent passagers antillais à bord, tous plus contents les uns que les autres. Pour autant, il faut se dire la vérité, la mise en place d’une rotation aérienne entre l’Afrique et les Antilles ne se fait pas en un claquement de doigt. Ça prend du temps et ça suppose un profond changement de mentalité et d’habitudes. Comme un bébé qui apprend à marcher, il nous faut apprendre, après des siècles de séparation et de méfiance, que c’est possible d’échanger entre nous Africains et Antillais, sans intermédiaires. C’est une véritable révolution qu’il faut opérer de part et d’autre. J’ai voulu donner l’impulsion et montrer la voie. Mais pour que de telles liaisons perdurent, il faut une réelle volonté politique. C’est ce qui a manqué. Alors en 1997, lorsque les premiers ennuis ont commencé lors de la deuxième semaine culturelle ivoirienne en Martinique, j’ai pris acte de la réalité du moment. Les gens n’étaient pas prêts. Le vol direct avait été un échec : pas assez de participants. L’association Akwaba se retrouva avec 30 millions de FCFA de dettes que le président Henri-Konan Bédié accepta d’effacer, à la demande du ministre de la Culture d’alors, Bernard Zadi Zaourou. Zadi Zaourou faisait partie du voyage. Je l’avais emmené chez Aimé Césaire, son « maître », pour son plus grand bonheur.


Que faut-il faire pour que renaisse ce projet de vol direct entre la Côte d’Ivoire et la Martinique et au-delà entre la Côte d’Ivoire et la Caraïbes ?

Serge Bilé : La réponse hélas ne m’appartient pas. En 2019, j’avais apprécié la mise en place par l’ancien ministre de la Culture Maurice Bandaman des premières journées mémorielles internationales de la Route de l’esclave. Il m’avait demandé d’organiser la venue d’une délégation de Boni de Guyane. L’opération avait été, comme vous le savez, un grand succès. Il m’avait également chargé de préparer la suite, avec la Martinique, puis la Guadeloupe, Haïti, etc. Mais le projet est resté en plan avec son départ et sa nomination comme ambassadeur de la Côte d’Ivoire à Paris. A l’époque, j’avais aussi proposé que le gouvernement ivoirien s’associe à l’une des cérémonies officielles marquant l’abolition de l’esclavage en Martinique, Guadeloupe ou Guyane. Imaginez un seul instant le président Alassane Ouattara qui vient en 2020 avec une délégation en vol direct à Fort-de-France, Pointe-à-Pitre ou Cayenne pour prendre part à une telle commémoration, imaginez la charge symbolique que cela aurait revêtu ! Ça aurait peut-être relancé l’idée de liaisons aériennes entre la Côte d’Ivoire et une île de sa diaspora. En attendant, le Sénégal a commencé à placer ses pions. En mars dernier, une délégation sénégalaise de haut niveau est venue en Martinique. Les dirigeants de la compagnie Air Sénégal ont eu des discussions avec les responsables de l’aéroport et les acteurs du tourisme de l’île. Ils ont manifesté leur intérêt pour l’ouverture d’un vol direct entre Dakar et Fort-de-France. Qui vivra verra…

Propos recueillis par Junior Jeremy




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