Il a été pendant longtemps directeur général du palais de la Culture de Côte d’Ivoire. L’acteur et réalisateur ivoirien Sidiki Bakaba, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est un habitué du FESPACO depuis sa création en 1969. Après une brillante carrière d’acteur du théâtre et du cinéma en Afrique et en Europe, la légende du cinéma africain ne rate pas les grands rendez-vous du 7e art. A 72 ans, il est toujours plein d’énergie et quand il prend la parole, il déclare être dans « le devoir de transmettre ». En marge d’un panel à Ouagadougou sur l’œuvre d’Ousmane Sembène, le 19 octobre 2021, il s’est confié à notre micro.
Après avoir été DG du palais de la Culture, à quoi consacrez-vous l’essentiel de votre temps aujourd’hui ?
Je continue de transmettre. Chaque fois quand je rencontre des jeunes même dans la rue, le peu de temps que je passe avec eux, je transmets. Chez nous dans notre tradition, il y a un âge où vous n’avez même pas le droit de parler quand les sages sont là. Il y a un âge où on vous laisse vous approcher pour écouter, il y a un autre âge où on peut vous demander votre petit point de vue. Et passé 50-60 ans, vous entrez dans le cercle des sages. Et quand vous avez plus de 70 ans comme moi (NDLR : Il est âgé de 72 ans), ce n’est plus un droit de parler, c’est un devoir de transmettre. Voilà pourquoi quand les journalistes me tendent le micro, je parle de mon vécu. Parlant du FESPACO, je peux dire ceci : «Ce qui échappe à la conscience nous revient sous forme de destin ». En 1969, j’étais de passage à Ouagadougou avec la troupe théâtrale de Bernard Dadié (1916-2019) et j’ai entendu dire qu’il va y avoir une semaine du cinéma africain. Quelque temps après, je reviens pour assister au festival qui avait pris le nom de FESPACO et à partir de ce moment je prenais pratiquement part à toutes les éditions. Ce qui est formidable, c’est que, quels que soient le régime politique ou les difficultés auxquelles le pays fait face, le festival est organisé. En 2019, j’ai été décoré par l’Etat burkinabè et j’étais l’invité d’honneur de la Nuit des célébrités.
Vous avez déjà visionné des films au festival, du haut de votre expérience, êtes-vous fier de la production de vos jeunes frères ?
Ah, oui. Sinon cela aurait été une de mes tristesses. Je prie que les jeunes qui viennent fassent mieux que nous. On dit qu’on ne vend pas la peau de l’ours avant de l’avoir abattu mais le cinéma apporte un démenti à ce dicton. Vous voyez que les Américains, des fois, font des films de telle sorte qu’avant que le film ne soit fait, il est déjà vendu. Le jeune réalisateur burkinabè Jean Elliot Ilboudo, avec son film «Le chant des fusils», a fait la même chose. Je me suis dit : on est donc arrivé à ce stade-là ? J’étais fier de lui. Quand hier (ndlr, 18 octobre à l’Institut français), il a fait sa petite introduction avant la projection du film, je lui ai attrapé la main et je lui ai dit : enfin ! Il y est arrivé, il a développé le «teaser». La force du festival est faite en sorte que monde entier vienne ici découvrir nos images à nous. J’éprouve une fierté pour la jeune génération mais le travail n’est pas fini. Beaucoup de films sont tournés mais au lieu d’images qui portent des messages, on préfère des films qui nous font rire seulement. Ma mère aimait me dire : mon fils, je veux qu’on rie avec toi mais je ne veux pas qu’on rie de toi.
Vous avez eu une carrière cinématographique en Europe, vous avez tourné dans des films avec de gros calibres comme Jean Paul Belmondo qui vient de disparaître. Racontez-nous un peu.
A un moment donné j’avais une chance inouïe mais Dieu te dit, il faut travailler pour que le jour où la chance vient, tu puisses la saisir. Si elle arrive alors que tu n’es pas prêt, elle s’en va. La providence a voulu que le choix soit porté sur moi pour jouer dans le film « Le professionnel »(1981) avec Belmondo comme acteur principal. Mais j’avais déjà joué avec Jeanne Moreau (1928-2017) qui est un mythe du cinéma français et quelques années auparavant, j’ai eu aussi à travailler avec un metteur en scène comme Jean-Marie Serreau (1915-1973) avant que Le professionnel ne s’offre à moi. Toutefois, j’avais déjà fait Bako. Ce film est pour moi comme La fureur de vivre de James Dean ou A bout de souffle de Jean Paul Belmondo. Vous avez beau tourné dans 200 films, il y en a un qui marque et qui devient emblématique. Pour mon cas, c’est « Bako, l’autre rive » (1979). Ici à Ouaga on l’avait passé au FESPACO et après quand je passais au marché, les femmes ramassaient leurs galettes et me donnaient. Je suis le produit du Burkina et je le dis fièrement car ce pays a fait de moi une star. J’ai acquis la popularité auprès du public parce que je faisais bien mon travail. Si vous voulez, il y a le Sidiki qui a appris son métier, il y a le Sidiki populaire dans son pays, et il y a le Sidiki qui devient une star panafricaine grâce au FESPACO.
Dieudonné Ouédraogo