Les vocables qui sont utilisés pour la nommer sont aussi variés que divers. La cité cosmopolite, la commune N’zassa, la Cedeao en miniature, sont quelques-unes des expressions dont on se sert pour désigner la mythique commune de Treichville.
Ces mots en disent long sur l’état d’esprit qui prévaut au sein des communautés vivant dans cette commune du district d’Abidjan. On a rarement entendu le nom de Treichville mêlé à des actes de violences entre individus ou communautés au cours des différentes crises, qui ont émaillé la Côte d’Ivoire depuis plusieurs années. C’est que la commune de Treichville a su maintenir un climat de cohésion sociale pacifique, quelles que soient les tensions qui ont prévalu. Treichville peut, de ce fait, être citée comme un exemple de réussite en matière de cohésion sociale et d’intégration.
Comment cette commune qui regroupe plusieurs communautés aussi bien allochtones, allogènes que provenant des pays de la sous-région, a réussi cela ? Comment est-elle parvenue à obtenir des résultats plus que satisfaisants, là où d’autres cités essaient, tant bien que mal de s’en sortir à bon compte ?
De l’avis de Zahourou Koré Théodore, chef central de la communauté bété de Treichville, tout est parti de « l’héritage » légué à leurs enfants par les premiers Ivoiriens qui ont vécu dans la cité. Ils leur ont appris à vivre en bonne intelligence avec les frères tant allochtones, allogènes, qu’étrangers. Cette situation a favorisé un brassage de populations, à telle enseigne qu’on n’arrivait pas à faire le distingo entre les Ivoiriens et les autres. En somme, de l’avis de Zahourou Koré Théodore, c’est le « bon héritage » que les descendants continuent de perpétuer, qui fonde cette cohésion sociale.
« Nous avons vécu comme une grande famille »
Le sens élevé de l’hospitalité et la vie en bonne intelligence, ont été marqués par plusieurs actes. « Les parents et les enfants se fréquentaient, se côtoyaient ; nous mangions ensemble dans les familles. Nous cultivions le bon voisinage, le partage, la solidarité, et bien d’autres valeurs. Le malheur ou le bonheur d’une famille était aussi vécu solidairement par les autres familles, sans distinction d’ethnie, de niveau social ou de religion. Bref, nous vivions comme une grande famille », laisse entendre Mamadou Keita, l’un des fils de feu El hadj Fadama Keita, qui aura été, pendant longtemps, le chef de la communauté malinké. Sa famille est l’une des premières à s’être installée à Treichville. Elle y est arrivée en 1923. Mamadou Keita explique que, le fait de vivre ensemble, avec toujours l’ardent désir de se mettre au service de l’autre, en le considérant comme un frère et non comme un simple voisin, est assurément l’une des valeurs, qui a fait le lit de la cohésion sociale et l’intégration des communautés venues d’’ailleurs. « Touts petits, nous appartenions d’abord à la communauté avant d’appartenir à nos familles biologiques. Nous avons grandi ensemble. Nous avons mangé les uns chez les autres. Nos parents s’employaient au quotidien à entretenir et raffermir la bonne entente, la paix, l’hospitalité et surtout l’esprit de la grande famille qui prévalait dans chacune des concessions. Il n’y avait pas de distinction d’ethnies, de religion ou de nationalité. C’est dans cette cohésion que nous avons grandi », indique Amidou Tangara, administrateur d’une entreprise. Il a vu le jour à Treichville dans les années19 70.
Zahourou Koré Théodore, chef central de la communauté bété de Treichville,
Les facteurs mentionnés ci-dessus, n’ont pas à eux seuls, suffi à créer les conditions d’une cohésion sociale et d’une intégration réussie. Si l’on s’en tient aux propos d’Antoine N’guessan-Bi Tozan, secrétaire général de l’Association des chefs traditionnels de la commune de Treichville, il faut y ajouter l’existence des cours communes et de l’Ecole régionale de Treichville. Lesquelles soutient-il, ont été pour beaucoup dans cette coexistence pacifique et pour l’intégration des communautés venues de la Côte d’Ivoire, ainsi que des Etats de l’Afrique de l’ouest. En somme, le fait de se côtoyer au quotidien dans ces cours, d’y partager les mêmes repas, de vivre les mêmes peines et joies ensemble, de se soutenir sans calculs et pour n’importe quoi, a fini par créer des liens forts de fraternité, que rien ne peut briser.
« Je vis ici plus à l’aise que dans mon pays d’origine »
M.Kondombo Ahmed, chef central de la communauté burkinabè
Installé à Treichville depuis une vingtaine d’années, Kondombo Ahmed, chef central de la communauté burkinabè , trouve que la cohésion sociale et l’intégration des communautés est bel et bien une réalité tangible. A commencer par la durée de son séjour. Kondombo Ahmed, qui tient un pressing à l’avenue 16, estime avoir été bien accueilli en Côte d’Ivoire. Il juge également qu’il vit en parfaite harmonie avec les frères ivoiriens. Ceux-ci sont à ses yeux formidables. « Je me suis rendu compte que les Ivoiriens sont véritablement hospitaliers. En plus, ils aiment les autres, et sont pour la paix et la solidarité. J’ai pu m’intégrer facilement ».
Comme lui, Daouda Camara, qui est à la tête de la communauté guinéenne à Treichville, affirme sans l’ombre d’un doute qu’il a également pu s’intégrer facilement en Côte d’Ivoire, en résidant à Treichville. Ses hôtes n’ont pas fait de difficultés à l’accepter parmi eux. Il mène une vie paisible. Après 43 ans passés en Côte d’Ivoire, le retour au pays ne figure pas dans son agenda.
Bah Mamadou son compatriote, révèle aussi qu’il passe jusqu’ici , une existence paisible à Treichville. « Je vis ici, plus à l’aise qu’en Guinée mon pays d’origine », déclare-t-il. Il a pu aménager dans un magasin, situé a proximité de l’immeuble Petit Paris, sur la rue 12, pour exercer la couture, le métier qu’il a appris. Il réside en Côte d’Ivoire depuis trente-trois ans avec son épouse et leurs cinq enfants. Ces derniers se sont fait des amis parmi les Ivoiriens. Ils se sentent à l’aise avec eux.
Le fait notable est que toutes ces valeurs ont été enseignées aux différentes générations qui se sont suivies jusqu’ici dans les différentes familles. De sorte que pour les unes et les autres, elles sont perçues comme une véritable tradition, qu’elles doivent s’employer à pérenniser au fil du temps. « Et croyez-moi, il en est ainsi au sein des grandes familles qui continuent de vivre dans les cours communes ou individuelles de la commune de Treichville » explique Mamadou Kéita. A en croire plusieurs jeunes de la cité N’Zassa, « c’est bien ce qui a mis leur commune à l’abri des velléités de division et de conflits qui l’ont menacée, au cours de la crise militaro politique que le pays a vécue ». C’est que, renchérit Mamadou Kéita, « les liens restent encore si forts entre les familles que, cette division n’a pas réussi à s’imposer. Les tentatives de manipulation se sont heurtées au refus manifeste de groupes de jeunes qui ont tout simplement fait un front commun contre la division, à travers les différents quartiers de la commune. Et nous en sommes heureux aujourd’hui ».
La réussite de la cohésion sociale et l’intégration des différentes communautés de la Cedeao à Treichville est aussi renforcée et soutenue par l’équipe municipale. Conseiller municipal, Koné Valy indique que la Mairie a initié le regroupement des différents chefs de communautés au sein d’une organisation unique. Pour davantage renforcer la cohésion entre eux. La mairie s’appuie aussi sur les Comités de gestion de quartier (CGQ) qu’elle mises en place. Courroie de transmission entre les administrés et elle, les 49 CGQ actuels permettent de signaler dans les plus brefs délais, les problèmes qui surviennent dans les quartiers. Afin qu’ils soient réglés le plus tôt possible.
Les responsables des communautés, qui ailleurs dans le pays, peinent encore à créer les conditions pour la cohésion sociale et l’intégration, peuvent se servir du modèle de Treichville.
Junior Jeremy