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Prolifération des églises évangéliques en Côte d’Ivoire: Le réveil du business spirituel

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La Côte d’Ivoire n’a jamais autant mérité son surnom de “seconde nation du Christ’’. Tant les églises évangéliques et les communautés nouvelles prolifèrent dans le pays. Faut-il y voir, un réveil spirituel ? Ou est-ce un nouveau filon pour des hommes et femmes, sous le couvert du titre de guides religieux, de se faire de l’argent ? ALERTE INFO a enquêté.

A l’initiative du gouvernement, la Direction générale des cultes, a réalisé en 2018, une étude sur le recensement des associations religieuses et la géolocalisation des lieux de cultes dans le district d’Abidjan, pour assurer une meilleure gestion du paysage religieux.

Selon cette étude, la capitale économique ivoirienne comptait à elle seule en 2018, “environ 8.000 lieux de culte et associations religieuses’’, dont plus de la moitié appartiennent au milieu protestant évangélique. Ce chiffre reste toutefois “indicatif’’ et “non exhaustif’’ et donc bien en-deçà de la réalité actuelle, précise la Direction générale des cultes.

Deux raisons essentielles expliquent la différence entre ce chiffre et la réalité du terrain. Depuis 2018, de nouvelles associations religieuses ont été créées. Certaines ont aussi disparu. En plus, beaucoup de guides religieux ont boycotté l’opération en refusant de faire recenser leurs organisations et leurs lieux de culte.

“Il y a des guides religieux qui ont reproché au gouvernement d’avoir remis les fonds destinés au recensement à la Direction générale des cultes au lieu de leur remettre ces fonds afin qu’ils s’en chargent eux-mêmes’’, explique le responsable de la Communication à la Direction générale des cultes, Tra Bi Koré.

Athanase Djanwet, fondateur de l’ “Eglise du Peuple de Dieu pour la Nation’’, à Treichville, reconnait avoir lui également défendu cette position même s’il a finalement accepté de faire recenser son église: “Dans notre plaidoyer, nous avons proposé que le budget destiné au recensement soit divisé entre les fédérations afin que celles-ci fassent remonter les informations à la Direction des cultes’’

Selon lui, le refus qu’ils ont essuyé s’explique par le désir des parties concernées par cette opération à grappiller des dividendes : “Dans cette affaire, tout le monde voulait manger’’, explique-t-il dans un français typiquement ivoirien.

Interrogé par ALERTE INFO, le Révérend Robert Dion Yayé, président du Consistoire des protestants évangéliques de Côte d’Ivoire, plateforme supra fédérale regroupant les différentes faitières, n’a pas également pu avancer de chiffres, même approximatif, du nombre d’églises en Côte d’Ivoire.

“La chambre des experts du Consistoire est en train de préparer les statistiques pour qu’on sache exactement combien de protestants évangéliques nous sommes en Côte d’Ivoire et combien d’églises locales nous constituons’’, a-t-il expliqué.

Le début du réveil…

En Côte d’Ivoire, la prolifération des églises évangéliques s’est surtout accentuée à la fin des années 90 et au début des années 2000 avec la médiatisation du ministère prophétique du prédicateur Kacou Sévérin, décédé en avril 2001 dans un accident de voiture.

Influencées ou inspirées par ce dernier, de nombreuses jeunes églises indépendantes, ont vu le jour au cours de cette période. Ce d’autant plus que la loi ne constitue pas en Côte d’Ivoire un frein à la création de mouvements religieux. La constitution ivoirienne ayant consacré la liberté d’association et de conviction religieuse ou de cultes depuis l’accession du pays à l’indépendance en 1960.

Ainsi, l’article 19 de la Constitution du 8 novembre 2016 dispose, dans son alinéa 1, que “La liberté de pensée et la liberté d’expression, notamment la liberté de conscience, d’opinion philosophique et de conviction religieuse ou de culte, sont garanties à tous. Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement ses idées’’. L’article 20 précise que “Les libertés d’association, de réunion et de manifestation pacifiques sont garanties par la loi’’.

En clair, le milieu n’est pas règlementé et contrôlé. Rien ou presque n’est exigé pour avoir le droit de créer une église ou ouvrir un lieu de culte.

La Direction générale des cultes, autorité administrative étatique, “n’est pas investie d’une mission coercitive. Elle est beaucoup plus dans un rôle de consultation’’, précise Tra Bi Koré.

Ce manque de garde-fous légaux conduit à une multiplication anarchique et à des dérives.

Si certains voient en ce phénomène le signe d’un réveil spirituel, d’autres comme Joseph Yapi, pasteur à l’Eglise Évangélique des Assemblées de Dieu (EEAD), l’une des plus vieilles du pays, estiment que “les principales caractéristiques c’est-à-dire la soif de Dieu, le baptême du Saint-Esprit, l’abolition du péché dans l’église’’ ne sont réunies dans le cas d’espèce pour soutenir l’argument d’un réveil.

L’évangile de la prospérité….

Selon lui, ce phénomène “est d’abord biblique’’ parce que les saintes écritures l’ont prévu pour marquer l’entrée de l’humanité dans “la fin des temps’’. Ensuite, des “divergences doctrinales’’ et des “conflits de leadership’’ à l’intérieur de certaines communautés sont bien souvent, à l’en croire, à la base de séparations, qui conduisent à la création de nouveaux ministères. “Il y a surtout la dimension financière. Quand les gens voient tout cet argent que brassent les églises et la prospérité financière dans laquelle vivent des pasteurs. Cela donne forcement des idées’’, analyse-t-il.

Aujourd’hui, dans la plupart des assemblées, les prédications, sont davantage portées sur la promesse d’une prospérité financière que sur l’exhortation à une vie de sanctification pour un salut de l’âme, but ultime de la conversion chrétienne.



“On a enlevé à l’évangile ce qui faisait sa force et on a donné à l’évangile ce qui peut attirer le monde. Aujourd’hui dans les églises, l’essentiel n’est plus le salut des âmes mais d’avoir du monde pour bénéficier de leurs dîmes et de leurs offrandes’’, explique-t-il.

Des pasteurs encouragent les fidèles à donner leur argent pour espérer avoir en retour des choses auxquelles ils aspirent. Tout cela participe d’un “business avec Dieu’’, se désole Joseph Yapi.

En plus de l’évangile de la prospérité, qui est abondamment servie, les actions prophétiques, utilisant les éléments naturels inspirés par Dieu ou de fabrication humaine pour la réalisation d’un miracle, sont également menées à l’excès dans plusieurs communautés pour appâter les fidèles. Ainsi, il est courant de voir que des éléments comme l’huile, l’eau, du sel, balai, des mouchoirs régulièrement utilisés pour ces actions prophétiques, sont commercialisés dans certaines églises.

A Abidjan, une célèbre église pentecôtiste brésilienne semble en avoir fait l’une de ses marques de fabrique.

Offrandes, prières de délivrance…les tuyaux de collecte

Autre artifice qui justifie l’esprit mercantile qui sous-tend l’action de certaines églises, c’est la multiplication à dessein des offrandes exigées aux fidèles. “Offrande sacrificielle’’, “offrande sanglante’’, “point de contact’’ son autant de “stratégies pour dépouiller le peuple’’, s’insurge Joseph Yapi, citant, pour soutenir ses propos, ce passage tiré de la bible dans le livre de Timothée : “Car l’amour de l’argent est une racine de tous les maux; et quelques-uns, en étant possédés, se sont égarés loin de la foi, et se sont jetés eux-mêmes dans bien des tourments’’.

A Yopougon, où elle habite, Rosine Konan, se souvient avoir “fui par manque de moyens’’ une église, où “il y avait plus de cinq offrandes exigées par culte’’. Parmi celles-ci, “l’offrande d’onction de mariage’’ et “l’offrande des ouvriers’’.

Enseignant dans un collège privé à Koumassi, Jean Marc Bouazo, se rappelle avoir assisté à une dérive: “J’ai assisté en 2018 à une séance de prière d’une communauté. Pendant la prière, le pasteur a appelé un jeune homme dans l’assistance et lui a dit qu’il voyait que son âme était liée dans le monde spirituel. Il lui a demandé séance tenante de faire une offrande de rachat de son âme dont le montant doit être proportionnel à son âge. Le jeune homme avait 30 ans, il lui a été demandé de faire une offrande de 30.000 FCFA’’.

Missionnaire à l’Eglise “Le Tabernacle de l’Alliance’’ de Port-bouët, Jérôme N’Takpé, explique avoir été lui également témoin de ce mercantilisme spirituel : “J’ai été invité à prêcher dans une cellule à Cocody. Avant ma prédication, le dirigeant a voulu me briefer sur la vie de quelques membres nantis de sa cellule afin que je fasse de fausses prophéties sur eux pendant la prière afin qu’ils puissent faire des offrandes importantes. Mais j’ai refusé’’.

La Camerounaise Flore Abega, vit depuis quelques années en Côte d’Ivoire mais envisageait, en 2020, d’émigrer au Maroc. Au cours d’une prière dans une cellule à Abobo, un “prophète’’ lui a fait la “révélation’’ d’un voyage imminent. “Il m’a, ensuite, demandé de venir avec mon passeport afin de prier dessus. Quelques jours après, il m’a demandé de lui faire un transfert de 20.000 FCFA. Je lui ai répondu que je le ferai quand je serai prête. Il a alors commencé à multiplier les coups de fil pour me réclamer cet argent. J’ai trouvé suspect son insistance, qui frisait le harcèlement. Face à mon refus, il m’a envoyé un message pour me menacer’’

Flore apprendra plutard qu’ “il a réussi par le même stratagème à soutirer de l’argent à d’autres personnes dans le quartier’’.

Marquée par cette expérience, elle avait décidé “de ne plus aller à l’église’’ mais avait fini par comprendre que “tous ne sont pas comme lui’’.

La formation pour assainir un milieu gangréné …

Dans un milieu quasi informel où chacun exerce sans en référer à une quelconque autorité spirituelle supérieure, les brebis galeuses sont nombreuses et leurs méfaits tendent à entacher la réputation de toute la corporation. Mais fort heureusement, ils tous aussi nombreux ceux qui se gardent de goûter au pain de la fausseté et sont véritablement au service de Dieu.

Le fondateur de l’Eglise protestante baptiste œuvres et mission internationale (EPBOMI), Révérend Robert Dion Yayé admet des “dérives’’, qu’il explique par le manque de formation théologique de certains pasteurs

“La plupart des leaders de ces communautés, bien souvent, ne sont pas formés. Il faut les aider à emprunter le bon chemin. Et c’est ce que, personnellement, j’essaie de faire en tant qu’ancien. Je les récupère et je les forme. On leur montre ce qu’est une vision spirituelle, une église. On est en train de recadrer les choses. C’est tout un travail’’, a-t-il affirmé, dans une interview à Alerte info .

Selon le sociologue Privat Ehui, certains “faux hommes de Dieu’’ continuent d’avoir pignon sur rue, à cause des difficultés politico-économiques qui ont érodé, ces vingt dernières années, le niveau de vie de plusieurs Ivoiriens, appauvris et sans repère.

“Les difficultés de la vie font que beaucoup de personnes s’accrochent à toute prophétie leur promettant le bonheur. Elles sont donc prêtes à délier le cordon de la bourse pour voir ces prophéties se réaliser’’, analyse Privat Ehui.

Pour lui, les fidèles devraient “lire et chercher eux-mêmes à comprendre la bible pour éviter les pièges’’ 

Serge Alain KOFFI





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