Profondément marqué par la vie du président Félix Houphouët Boigny et son épouse, c’est tout naturellement que le célèbre journaliste et écrivain ivoirien, Serge Bilé, résidant en Martinique, a publié, dans la seconde moitié de l’année 2020, alors que la crise sanitaire liée à la Covid-19 était fortement ressentie par plusieurs nations, une œuvre littéraire intitulée ‘’Marie-Thérèse Kennedy Emoi’’. Qui a elle-même été précédée de l’édition du livre ‘’Mes années Houphouët’’. A travers ce nouveau livre, Serge Bilé a décidé de lever un coin de voile sur une partie de la vie de Marie-Thérèse Houphouët Boigny, l’épouse du premier Président de la République de Côte d’Ivoire. Notamment « celle qui va de 1930, année de sa naissance, à 1962, année de sa rencontre avec le couple Kennedy », mentionne l’auteur en quatrième de couverture du livre.
Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire une œuvre littéraire sur la vie de l’épouse de Félix Houphouët-Boigny ?
J’ai été frappé par la méconnaissance des jeunes générations des figures ivoiriennes qui ont marqué ce pays. Quand j’ai publié le livre « Mes années Houphouët », beaucoup de gens sont venus me voir lors de mes dédicaces à Abidjan pour me dire qu’ils ignoraient jusqu’à 90 % des informations que je rapportais dans le livre, que ce soit sur Félix Houphouët-Boigny lui-même mais aussi sur Jean-Baptiste Mockey, Philippe Yacé, Etienne Djaument, Gabriel Dadié ou Marie Séry Koré. C’est grave. On ne peut bâtir un pays sur l’ignorance du passé. C’est comme si on construisait une maison sur du sable. Alors j’ai décidé de faire ma part en tant que journaliste et écrivain très attaché à la Côte d’Ivoire. C’est la moindre des choses. Après avoir écrit sur l’histoire de la Martinique avec par exemple le livre sur mes rencontres avec Aimé Césaire, après avoir écrit sur l’histoire d’Haïti avec les mésaventures de Joseph Laroche, le seul passager noir du Titanic, après avoir écrit sur l’histoire du Japon avec les exploits de Yasuke, le premier samouraï noir au Japon, après avoir écrit sur l’histoire du Canada avec le drame de Mathieu Léveillé, le bourreau noir du Québec, après avoir écrit sur l’histoire de France avec l’incroyable destin de la Mauresse de Moret, la princesse noire née à la Cour de Louis XIV, il était temps pour moi d’écrire également sur l’histoire de mon pays pour apporter ma pierre à la connaissance de son passé. C’est ce que j’ai fait avec le livre « Boni » puis « Mes années Houphouët », et maintenant « Marie-Thérèse, Kennedy, émoi »
En quoi sa vie vous a-t-elle concrètement marqué ?
Marie-Thérèse Houphouët-Boigny reste un symbole. Elle a été la première Première dame de Côte d’Ivoire. Elle a illuminé mon enfance comme celle de la plupart des jeunes et même des adultes de l’époque. Sa beauté y était évidemment pour quelque chose. Elle incarne aux yeux de beaucoup l’âge d’or de ce pays. Voilà pourquoi j’ai voulu retracer une partie de sa vie en rappelant ce qu’elle a représenté mais aussi en grattant le vernis pour ce qu’il y avait derrière.
Cet ouvrage biographique intitulé ‘’Marie Thérèse Kennedy Emoi’’ avait-il simplement pour objectif de l’honorer ? Sinon que recherchiez-vous d’autres ?
Je ne suis pas un thuriféraire. Les histoires d’atalakou, ce n’est pas mon fort. Mais je sais ou plutôt j’essaie de rester juste, quand je m’intéresse à un personnage. Je m’efforce de restituer les ombres et lumières avec équilibre et honnêteté. C’est ce que j’ai fait dans « Mes années Houphouët » et qui a été unanimement reconnu. C’est ce que je fais également avec « Marie-Thérèse, Kennedy, émoi ».
Pourquoi avez-vous mis l’accent sur la période qui part de 1930, année de sa naissance, à 1962, année de sa rencontre avec le couple Kennedy ?
Tout simplement parce que c’est la période qui m’intéresse. Je peux difficilement travailler sur un personnage si je ne suis pas emballé ou passionné. La période qui va de 1930, année de sa naissance, à 1962, année du voyage mythique aux Etats-Unis illustre bien l’histoire de la Côte d’Ivoire avec la colonisation et ses drames, le combat pour l’émancipation et ses luttes internes, l’accession à l’indépendance et ses contradictions, la reconnaissance internationale qui permet aussi à Félix Houphouët-Boigny d’asseoir un pouvoir très personnel. Tout cela est contenu dans cette période. Tout cela préfigure ce que l’on vit aujourd’hui. Tout cela est partagé par Marie-Thérèse. Il m’a semblé intéressant de mettre en parallèle la vie de cette femme avec tous ces évènements qui ont fondé la Côte d’Ivoire d’hier et d’aujourd’hui.
Est-ce à dire que les autres parties de sa vie n’ont pas été aussi importantes ?
Non, je ne dis pas que les autres parties de sa vie ne sont pas aussi importantes. Je dis qu’elles m’intéressent moins. Et comme je ne suis pas homme à faire ce qui ne me touche pas, j’ai préféré circonscrire ma recherche et mes écrits dans la période qui va de 1930 à 1962. Demain, quelqu’un d’autre pourrait se passionner pour le reste de la vie de Marie-Thérèse. Ce serait une bonne chose !
Dans la 4eme de couverture, vous faites mention du séjour qu’elle et son époux ont passé aux Etats-Unis en mai 1962, en mettant en exergue sa beauté et son élégance et sa tenue vestimentaire. Pourquoi ?
Il ne faut pas s’arrêter à la quatrième de couverture qui n’est qu’une vitrine qui donne à voir seulement une partie des choses, souvent la plus clinquante, car c’est ce qui attire le plus. Quand on lit les 200 pages du livre, on découvre la femme dans toute sa dimension. Les premiers lecteurs, y compris des proches de Marie-Thérèse, ont été surpris de voir qu’ils ignoraient quasiment tout de ce qui est écrit dans le livre, non seulement sur son enfance, sa scolarité, sa rencontre avec Félix Houphouët-Boigny, mais aussi sur ce séjour américain. J’ai eu les mêmes réactions d’étonnement que pour le livre précédent « Mes années Houphouët » où j’évoque également l’ex Première dame. Les gens ont été étonnés de découvrir par exemple l’affaire de cœur entre elle et Nelson Mandela avec les détails que m’a transmis l’homme qui a organisé le voyage de Marie-Thérèse en Afrique du Sud.
Faut-il par ailleurs comprendre que Marie-Thérèse Houphouët Boigny avait volé la vedette à son époux au cours de ce séjour aux Etats-Unis d’Amérique ?
C’est peu de le dire. Félix Houphouët-Boigny et Marie-Thérèse formaient non seulement un couple mais aussi un duo. Il y avait un deal gagnant-gagnant entre eux. Lui profitait du rayonnement médiatique de son épouse et elle tirait parti du prestige politique de son mari. Comme je le rapporte dans le livre en citant les articles parus aux Etats-Unis à l’époque, les médias américains ont littéralement flashé sur Marie-Thérèse. Malheureusement ils n’ont pas été les seuls puisque le Président John Kennedy s’est montré également très fougueux. Elle a réussi à résister à ses avances, non sans mal. Le voyage officiel du couple Houphouët un an plus tôt en France où ils avaient été reçus avec faste par le général de Gaulle n’avait pas été aussi mouvementé sur ce plan-là. D’où la fameuse phrase de Marie-Thérèse : « Le Général est bien le seul à n’avoir jamais tenté de me mettre la main aux fesses ».
Vous avez fait savoir que l’œuvre ‘’Marie-Thérèse Kennedy Emoi" s’inscrit dans le cadre d’un travail global, qui concerne le président Félix Houphouët Boigny, prenant en compte un volet documentaire déjà tourné et en attente de montage et la diaspora antillaise, puis un volet musical. Qu’en est-il de ces deux pans de ce travail global ?
J’avance difficilement mais j’avance. Les deux livres « Mes années Houphouët » et « Marie-Thérèse, Kennedy, émoi » sont faits. Ils sont en librairie. Le film est à moitié fait. Je rappelle que c’est un documentaire qui raconte les liens entre Houphouët et les Antilles, avec une partie consacrée à son amour de l’époque. C’était une député guadeloupéenne. Elle s’appelait Gerty Archimède. Houphouët voulait l’épouser. Si elle avait accepté, c’est elle qui serait devenue la Première dame de Côte d’Ivoire. La comédie musicale est également faite. Je suis un auteur, compositeur, musicien, qui a travaillé avec de grands noms comme Tanya Saint-Val, Eric Virgal, Pierre Bachelet, Enrico Macias, Meiway, Manu Dibango, Charlotte Dipanda ou Jocelyne Beroard. J’ai l’expérience de ce genre de spectacle pour avoir déjà monté une comédie musicale sur Nelson Mandela qui a triomphé au Casino de Paris en 2008. Monter un spectacle musical autour de Houphouët c’est aussi une façon de le rendre accessible différemment, de distiller l’histoire de la Côte d’Ivoire autrement. Mes compositions musicales complètent mes livres et mes documentaires. C’est un tout, en fait. Quand je vous dis que le film et le spectacle sur Houphouët sont à moitié faits, ça signifie que l’essentiel du travail a été réalisé, dans la mesure de ce que je pouvais financer moi-même. Le reste demande des budgets qui dépassent mes capacités propres. Le jour où je les trouverai auprès de mécènes qui ne me demanderont rien d’autre en contrepartie que de rester un créateur libre, ce jour-là, je reprendrai ces deux projets. En attendant, je travaille sur deux autres sujets qui concernent la Martinique pour le premier et la Côte d’Ivoire pour le second. Et ces deux sujets me passionnent également.
Interview réalisée par Junior Jeremy