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Internationale

Danané, ville du « far west » de la Côte d’Ivoire où le commerce ne s’arrête jamais

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Dans l’ouest ivoirien, une cohabitation sous tension (5/5). Dans cette cité voisine de la Guinée et du Liberia, les ethnies sont liées par les affaires en dépit des conflits passés

Dans sa boutique, Adama fait le beau. Il passe en revue sa marchandise, des motos rutilantes vendues à des prix « imbattables », dit-il. Si ses tarifs défient toute concurrence, c’est en raison de l’origine des bécanes. Une fois par mois, ce commerçant établi à Danané, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, se rend en Guinée pour les acheter en pièces détachées. Sur le chemin du retour, il traverse une rivière à bord d’une pirogue puis contourne les douanes. Résultat : ses motos sont 20 % moins chères que les « ivoiriennes » et on vient de loin pour s’en procurer. Adama dit avoir tout appris au côté de son père, qui, dans les années 1980 et 1990, faisait passer frauduleusement du café ivoirien au Liberia : « Je viens d’une famille de trafiquants », plaisante le jeune homme.

« Tout l’argent qui entre et sort de Danané a une très forte odeur de trafic », lâche Canvali Camara, ancien chef de cabinet du maire. Proche des frontières avec la Guinée et le Liberia, la petite ville de l’ouest ivoirien est entourée d’épaisses forêts et de montagnes. Ses 120 000 habitants vivent au rythme du ballet incessant des gros camions ivoiriens, guinéens et libériens qui traversent quotidiennement la ville. Ici, le commerce ne s’arrête jamais, « ni pendant les guerres, ni pendant Ebola [l’épidémie qui a sévi entre 2013 et 2016 en Guinée et au Liberia] », fanfaronne M. Camara.

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Avec ses mains calleuses qui trahissent un passé de planteur, il fait le compte des produits qui se jouent des frontières. Sucre, lait en poudre, huile, alcool, faux médicaments, faux cheveux, cigarettes, drogues, textiles, mais aussi devises (franc CFA, franc guinéen et dollar libérien) sont chaque jour importés, exportés, échangés et taxés à Danané. « Tous les opérateurs économiques importants de la ville ont un jour ou l’autre baigné dans le trafic transfrontalier », affirme M. Camara. Lui est arrivé en 1969 à l’âge de 10 ans, comme des milliers d’autres « nordistes », pour travailler dans les plantations de café qu’avaient laissées les colons français. « Ici, toutes les ethnies sont liées par le commerce transfrontalier, dit-il. Mais c’est aussi des frontières qu’est souvent venue la discorde entre nous. »

Mercenaires libériens

Dans les années 1980, au Liberia, Charles Taylor lance une rébellion contre le président Samuel Doe. Avec le soutien du chef de l’Etat ivoirien, Félix Houphouët-Boigny, Danané devient la base arrière du mouvement rebelle libérien. En plus du territoire qui lui est offert, Taylor enrôle de nombreux jeunes Ivoiriens yacouba, l’ethnie « autochtone » de Danané et de ses environs, pour combattre dans les rangs de son armée. Les nouvelles recrues ivoiriennes retrouvent leurs « cousins » de l’ethnie libérienne gio, avec lesquels ils partagent la même langue : le yacouba.

Démarre alors une période de recrutement sur base ethnique de jeunes désœuvrés des deux côtés de la frontière. Et au plus fort de la guerre civile libérienne (1989-1996), Danané voit arriver des dizaines de milliers de personnes fuyant le conflit. Entre le départ des jeunes et l’arrivée des réfugiés, la ville est de plus en plus vulnérable.

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Au début des années 2000, tandis que la guerre prend fin au Liberia, une rébellion éclate en Côte d’Ivoire. Par des jeux d’alliances politiques et tribales, Danané tombe dans l’escarcelle de la rébellion du nord. Des mercenaires libériens sont à leur tour recrutés par les groupes armés ivoiriens. C’est le temps des exactions dans le « far west » de la Côte d’Ivoire, sur fond de tribalisme et de luttes pour le contrôle des secteurs de rente et du trafic transfrontalier. Tour à tour, les communautés qui peuplent la région s’allient et s’affrontent, sans jamais perdre de vue l’essentiel : les affaires.

Si la ville s’est depuis développée, notamment grâce à l’immense route bitumée qui la traverse et donne sur les frontières voisines, elle garde les stigmates des conflits qu’elle a connus et des antagonismes entre ses populations.

Une concorde « fragile »

« Je ne suis l’homme d’aucune communauté », se défend Lacina Ouattara, le maire de Danané. Cet ancien pharmacien, entré en politique sans étiquette (il a entre-temps rejoint le RHDP, parti au pouvoir), reconnaît que sa gouvernance repose sur « deux fondamentaux » : le commerce et le vivre-ensemble. Les communautés doivent dialoguer « plus franchement pour ne pas laisser la place aux rancœurs et aux rumeurs », explique-t-il.


L’édile fait allusion à une affaire qui, en février, a ébranlé Danané et fait resurgir les vieux démons de la fracture communautaire. Des habitants de la ville, murmurait-on, auraient vu leurs organes génitaux disparaître en raison d’un sort. Sans jamais avancer aucune preuve de ces allégations empreintes de croyances populaires, les communautés se sont alors mutuellement accusées d’être responsables des faits. Des affrontements ont fait plusieurs blessés graves. Seule l’implication de toutes les forces vives de la ville – imams, prêtres, responsables de quartiers, chefs coutumiers et leaders communautaires rassemblés autour du maire et du préfet – a permis à Danané de retrouver son calme.

En dehors de la rumeur qui « nous fait honte », glisse le maire, l’épisode est pour lui révélateur de « la fragile concorde entre les communautés ». L’affaire vaut-elle signal d’alarme à quelques mois d’une élection présidentielle, en octobre, qui s’annonce tendue ? « Je n’ai aucune crainte, affirme Lacina Ouattara. Toutes les communautés vont continuer de faire ce qu’elles font de mieux : des affaires ensemble. »

Yassin Ciyow




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