Bien organisées, relativement économiques et surtout muettes, ces armées apatrides louent leurs services à toutes les causes à travers le continent.
L’Afrique compte aujourd'hui plus de mercenaires actifs qu’elle n’en avait quand les coups d’État étaient monnaie courante durant le siècle dernier, selon des experts en stratégie militaro-sécuritaire.
Guidés par le gain, les mercenaires sont engagés tantôt par des gouvernements, tantôt par des forces rebelles et même des entreprises privées. Dans certains pays, ils aident les dirigeants à se maintenir au pouvoir, que le peuple le veuille ou non. Dans d'autres, ils essaient de faire tomber un gouvernement légitime ou reconnu. Ailleurs, ils aident à repousser les insurgés, ou à assurer l'acheminement de cargaisons précieuses.
Des Comores à la Libye
Le débat autour de l’utilisation de ces armées apatrides a été ravivé la semaine dernière à cause du cas libyen.
Mais l'implication des mercenaires en Afrique remonte à plusieurs décennies. Même si leur univers relève généralement du plus grand secret, de nombreux exemples de leurs faits - et méfaits - ont été révélés par les médias au fil des ans.
Le cas le plus tristement célèbre reste celui du Français Bob Denard, qui avait organisé de nombreux coups d'État sur le continent entre 1975 et 1995. Il avait même tenté de s'installer à la tête de l'archipel des Comores.
Les mercenaires avaient également été invités dans l'ancien Zaïre (l'actuelle République démocratique du Congo - RDC), au Bénin, en Angola, au Liberia et en Sierra Leone. Leur parcours est parsemé de pillages, de trahisons et de conquêtes tout aussi absurdes que sanglantes, comme ce fut le cas en 2004 avec le Britannique Simon Mann, en Guinée équatoriale.
Aujourd’hui c’est en Libye que se concentre l’attention de ces groupes.
Selon le magazine international The Economist, un groupe armé basé en Russie aurait envoyé entre "800 et 1 200" hommes pour soutenir le maréchal Khalifar Haftar, qui tente de renverser le gouvernement d’union nationale dirigé par Fayez el-Sarraj.
Le même groupe russe aurait aussi déployé "des centaines" de mercenaires en République centrafricaine pour garder les mines de diamants, former des unités d'élite et servir comme gardes du corps au président Faustin-Archange Touadéra.
Au Mozambique et en Guinée, il serait également présent, à la demande des dirigeants.
Mais Wagner n’est pas un cas isolé, et encore moins la seule entreprise paramilitaire déployée en Afrique. Rien qu’en Libye, les experts notent la présence d’autres groupes similaires. Parmi eux figurent Lancaster 6 DMCC et Opus Capital Asset Limited, basés respectivement à Dubaï et à Malte.
L’Afrique, terre propice
L'Afrique attire ces soldats privés parce que, dans de nombreux pays, il n'y a pas un cadre règlementaire clair et rigoureux.
C'est du moins l'avis du Dr Chris Kwaja, un expert nigérian affilié à l’Institut américain pour la paix (USIP). Dr Kwaja fait partie d’un panel d’érudits qui conseillent les Nations unies sur la thématique des mercenaires.
"L'absence d'un instrument juridiquement contraignant pour la réglementation des sociétés militaires et des compagnies de sécurité privées constitue un obstacle majeur", écrit-il dans un email à VOA Afrique.
"Il existe bel et bien une convention de l'ONU sur l'emploi des mercenaires, mais elle date d'il y a 30 ans. De nombreux pays occidentaux n'ont pas encore ratifié cette convention, malgré le rôle déstabilisateur que jouent les mercenaires et malgré les menaces qu'ils font peser sur l'existence des nations souveraines, en particulier les plus fragiles, qui se trouvent pour la plupart en Afrique", explique Dr Kwaja.
Deux grandes tendances récentes
Selon les experts, deux évolutions majeures sont apparues au cours des dernières années.
D'abord, beaucoup de ces groupes sont sortis de la clandestinité pour s'organiser en entreprises de bon aloi. En effet, dans certains pays occidentaux comme les États-Unis, le Royaume-Uni et la Suisse, ces groupes de combattants à louer sont considérés comme des entreprises légitimes, pourvu qu'ils opèrent en dehors des frontières nationales.
Ensuite, il y a le phénomène des combattants volontaires étrangers, qui prévaut surtout au Moyen-Orient. Poussés à la fois par l'idéologie et l'appât du gain, certains apportent des compétences intellectuelles – comme le hacking ou la levée des fonds – qui, en fin de compte, contribuent à rendre les combattants plus performants.
Il faut aussi préciser que bon nombre de sociétés de mercenaires sont basées en Afrique du Sud. Il s'agit principalement des vestiges de l’appareil militaro-sécuritaire du temps de l'apartheid. Leurs services ont été sollicités récemment au Nigeria (contre Boko Haram) et dans la region des Grands lacs, y compris en RDC.
Une appellation qui gène
Beaucoup de mercenaires viennent en appui aux opérations logistiques et à la formation des locaux, selon le professeur Michael O’Hanlon, enseignant à l’université George Mason et directeur de recherche au think-tank Brookings Institution basé à Washington. On compte parmi eux des unités d’élite très expérimentées sur le plan des opérations de terrain, précise-t-il.
Or même pour ces groupes, l’appellation de mercenaire gène.
"Compte tenu de la condamnation publique des mercenaires dans le monde, même les entités qui se livrent à ces activités tentent de s'en dissocier. Elles ne veulent pas être qualifiées de mercenaires. Toutes affirment être reconnues légalement", précise Dr Kwaja.
Le dilemme et la confusion vont plus loin.
L'ONU n'est ni pour ni contre le recours aux mercenaires. L'organisation mondiale est elle-même souvent contrainte à louer les services de ces derniers. C'est le cas par exemple pour la formation d'une partie de son personnel et pour la logistique dans des situations jugées très dangereuses.
Pour Michael O’Hanlon, les choses deviennent surtout problématiques lorsqu'on accorde à ces groupes armés le droit de tuer.
"La véritable question émerge quand on permet aux mercenaires de faire usage de la force létale. En général c'est une mauvaise idée, car leur personnel n’est pas aussi bien formé ou aussi discipliné que les soldats d’une armée régulière", souligne-t-il.
Le message est donc clair: il faut davantage prendre en compte les droits humains dans les règles qui régissent l’emploi des armées privées.
Koi Gouahinga