Elle est bâtie sur la lagune, à partir de bouteilles en plastique. Un projet donc à visée écologique qui cadre avec l’idée du plastique dans le bâtiment. Récit d’une journée sur l’île flottante, cette oasis où l’on donne une seconde vie aux objets de récup.
Il est environ 9h quand le taxi qui nous conduit vers le quartier de Bietry à Marcory, zone 4, s’immobilise devant le Restaurant Le Wafou. Une cinquantaine de mètres plus loin, nous voilà sous la bâche à l’effigie de l’île flottante où notre équipe de reportage est attendue pour monter à bord d’une navette afin de rallier le site. Le quai est situé sur le rivage d’un village ébrié, à environ 500 m du complexe touristique. Après quelques minutes d’attente, Paul, le jeune homme au teint d’ébène qui pilote l’engin, se présente à nous et nous invite à embarquer.
9h20 : la navette de fabrication, dont la toiture est aux couleurs nationales, s’ébranle en direction de l’île flottante. Ce site éco-touristique est logé sur la lagune, entre les quartiers Bietry à Marcory et Petit Bassam à Port-Bouët. A cette heure de la journée, la lagune est plutôt peu agitée, de sorte qu’on perçoit nettement le vrombissement du moteur. L’engin, nous expliquera plus tard Eric Becker, le promoteur de l’île flottante, se caractérise par son moteur de véhicule de récupération. Il est conçu en exploitant une technologie thaïlandaise, avec pour objectif de consommer moins de carburant donc moins d’énergie.
Des bouteilles plastiques…....
Quand nous mettons pied à terre, l’horloge indique 9h25 : la traversée s’est donc faite en 5mn, pour une distance de 500 m. De prime abord, le visiteur est saisi par des bancs de petits poissons qui tapissent l’étang ceinturé par une sorte de pont-promenade. C’est une allée de forme circulaire, faite de planches de bois, soutenues par une armature constituée de bouteilles en plastique et palettes de récupération.
C’est là, la caractéristique essentielle de l’île flottante : une fondation constituée de bouteilles plastiques, emprisonnées dans des palettes également en plastique, détournées de leur usage habituel. Comme pour leur donner une seconde vie. Tel est l’attelage sur lequel repose tout ce qui a été bâti sur l’espace : les deux bungalows aux noms exotiques Koh-Lanta et Koh-Tao, le jacuzzi bleu situé en face de l’un d’eux, la cuisine, le bar dénommé zanzibar, les paillotes, la salle d’eau, le ponceau baptisé passerelle des amoureux, l’atelier pour la maintenance des engins ou l’expérimentation de matériaux écologiques. « Les bouteilles et autres déchets flottants forment des alvéoles, des bulles au milieu des flotteurs, créant un ensemble insubmersible », explique Eric Becker.
Pour maintenir à la surface de l’eau, ces constructions, plus de 800 000 bouteilles plastiques et des centaines de palettes de récupération ont été utilisées pour constituer les fondations. Ce qui donne au visiteur l’impression de chanceler quelque peu dès qu’il sort de la navette et pose le pied sur la promenade en planches de bois. La même sensation de valser se ressent aux abords de la piscine, qui jouxte zanzibar, la cave où les usagers peuvent boire un coup et se détendre au son de la musique. On peut même voir la fondation de la paillote, coincée entre la cuisine et la passerelle des amoureux, tanguer comme sur un navire.
De là vient l’idée de flottant. Qui suppose l’idée de mobilité et partant la possibilité de déplacer d’un périmètre à un autre, chaque pièce de l’île, comme dans un puzzle. Mais aussi toute l’armature sur laquelle repose ce cadre de loisir à visée écologique, pour le réinstaller ailleurs. « L’île flottante est modulable et peut se déplacer par sa configuration sur l’eau », fait d’ailleurs remarquer Eric Becker. Qui ajoute : « Au début on était à la sortie de Marina (un restaurant à Marcory Bietry, Zone 4, Ndlr). Suite aux travaux d’extension du port, qui a nécessité le dragage, on a dû se déplacer pour venir ici, puisqu’on flotte».
Au dire du promoteur, les bouteilles plastiques utilisées pour la construction de l’île flottante, il les cherchait un peu partout au début du projet, en 2012. Mais désormais, il va juste les « récolter » sur la berge où elles échouent, emportées par le vent. Quant aux palettes en plastique, traditionnellement utilisées pour l’emballage de produits agroalimentaires ou pharmaceutiques, il dit les acheter aux revendeurs, pour les recycler.
Selon lui, l’idée de donner une seconde vie aux bouteilles en plastique lui est venue d’un constat à son arrivée en Côte d’Ivoire pour des raisons professionnelles : « Je constate que les lagunes et les cotes souffrent d’une concentration de pollution impressionnante : des bouteilles, des emballages, des sachets, beaucoup de choses qui souillent le littoral et gâchent mon plaisir », écrit-il dans une communication faite pour expliquer les motivations qui sous-tendent son projet. « La lagune sert de poubelle ; la perle des lagunes est devenue poubelle des lagunes », renchérit-il.
C’est alors qu’il décide de se lancer dans le projet de l’ile flottante. «Cela peut vous paraître bizarre, mais quand j’ai vu tout ça, j’ai vu une vraie opportunité(…) C’est là que j’ai eu l’idée d’utiliser les déchets de la lagune pour construire des structures flottantes », poursuit-il. Exerçant comme guide sur ce complexe éco-touristique, Bayo Farrakhan renchérit : « C’est un concept qui permet de faire prendre conscience aux populations abidjanaises de la nécessité de préserver la lagune ébrié. Quand le promoteur, M. Eric Becker, est arrivé en Côte d’Ivoire, il a constaté que ce pays possédait en la lagune une richesse mal préservée parce que polluée. C’est ainsi qu’il a commencé à récupérer des bouteilles et sacs en plastique et des palettes pour constituer la fondation de ce qui deviendra par la suite l’île flottante. Nous sommes une sorte de centre de dépollution à notre petit niveau ».
…....à d’autres dimensions écologiques
L’ile flottante se veut en effet un comprimé de solutions écologiques, le but étant de prolonger l’idée vertueuse qui sous-tend l’utilisation des bouteilles, sacs plastiques et autres palettes. C’est ce qui explique le recours à l’énergie solaire comme principale source d’électricité. Tout l’éclairage est en effet alimenté par des panneaux solaires visibles sur le toit du bâtiment servant d’atelier. Le reste du dispositif, c’est-à-dire les batteries, ceinture le bâtiment attenant à la cuisine. Le complexe s’est toutefois doté également d’un groupe électrogène, sait-on jamais.
L’autre dimension écologique du projet, c’est l’utilisation de matériaux de construction naturels et locaux comme le bambou pour le mur des habitacles, la paille pour la toiture. Dans la même veine, les planches de bois ayant servi à la construction de la promenade et au plancher des terrasses, sont en passe d’être remplacées par des planches composites produites avec du plastique fondu, mélangé à de la sciure. Ces planches en plastique en expérimentation sur le site, devraient remplacer celles en bois et améliorer ainsi l’empreinte écologique du projet.
Tout comme y contribue aussi le recyclage des moteurs de véhicules utilisés pour fabriquer les navettes au moyen desquels les visiteurs sont transportés sur le complexe hôtelier. D’une capacité de près de 20 personnes, ces hors-bords sont construits avec du bois et consomment moins d’énergie. Ils sont réalisés en exploitant une technologie thaïlandaise. Durant la journée, nous assistons à leurs incessants va et vient, crachant des passagers sur l’île.
Une île dont l’autre dimension écologique est sans conteste la façon dont sont gérés les déchets solides produits par son fonctionnement. A en croire le promoteur, une partie des déchets solides est recyclée, en l’occurrence le carton et les déchets organiques. « On utilise le carton pour fabriquer du béton allégé », explique-t-il. C’est ce type de béton qui sert de plancher à la terrasse mitoyenne à la passerelle des amoureux. Quant aux déchets organiques, ils entrent dans la production du composte, utilisé dans le substrat de certaines plantes, lesquelles donnent au site un paysage enchanteur.
Cerise sur le gâteau des solutions écologiques : ces étangs disséminés à la surface du complexe touristique, estimé à près de 3000m2. Ces points d’eau retiennent irrésistiblement l’attention du visiteur à travers le spectacle des bancs de poissons dont ils fourmillent. Ces poissons semblent s’y plaire. A en croire Eric Becker, ils ont fui la pollution alentour pour trouver refuge dans ce dispositif de concentration des poissons( Dcp) où il est interdit de les pêcher.
Seule ombre au tableau : le déversement des eaux usées dans la lagune, notamment celles issues des toilettes. Les usagers disposent, en effet, d’une salle d’eau flottante, bien tenue, qui est faite de bambou et de paille. Elle est installée à quelques pas de la piscine, à proximité du pont-promenade.
Des clients jugent
A l’évidence, le complexe touristique attire des Abidjanais et bien d’autres visiteurs. En témoigne la présence, ce dimanche-là, de près d’une centaine d’usagers, arrivés par vagues, dont des familles et couples. Invités à donner leur appréciation du site et son concept écologique, presque tous le jugent intéressant. « Je trouve le concept intéressant, surtout pour une ville comme Abidjan, qui est extrêmement polluée. C’est un exemple à suivre, car ça permet de sensibiliser les populations sur le recyclage et la pollution », estime Kamel El Matroji, entre deux plongées dans la piscine où il passe le plus clair de son temps, en compagnie de son môme. « L’espace est agréable, c’est calme. Même les poissons s’y sentent bien », ajoute-t-il.
Quant à Mme Ouattara, elle est du même avis. « Le concept est bon. C’est apaisant. Je suis marquée par les poissons qu’on voit partout », se plaît-elle à relever. Le Français Richard, lui, est plus nuancé. Venu faire visiter le complexe à un groupe de personnes, cet expatrié voit le verre à moitié plein et à moitié vide. « Ce n’est pas mal comme expérience. Il y a une dimension écologique, qui est soulignée par le caractère rustique de l’installation, son côté quelque peu guingois. Par ailleurs, il y a un côté fait main et non avec des produits préfabriqués d’usine, que j’aime bien », commence-t-il par saluer.
Puis d’émettre quelque réserve. «C’est une réponse partielle à l’équation de la pollution tant qu’on ne pourra pas démontrer que le plastique utilisé pour la flottabilité de l’île flottante, ne peut pas se dégrader et se mêler aux eaux de la lagune sous-forme de microparticules. Le jour où on me démontrera ça, je dirai que c’est une solution merveilleuse. Tant qu’on ne pourra pas me le démontrer, je continuerai à penser que c’est une autre façon de polluer la lagune », jette-t-il comme un pavé dans la chorale de satisfécit.
Assane Niada