A l’édition 2019, le Fespaco aura 50 ans. Un âge qui mérite des attentions et surtout que l’on sonde les murs de l’institution pour en déceler les lézardes et les affaissements. C’est dans ce sens qu’un atelier international de réflexion sur le cinquantenaire a été organisé à l’Hôtel Pacific du 30 novembre au 2 décembre. On comprend qu’au-delà des 50 ans, c’est surtout sur l’avenir du Fespaco qu’a porté la réflexion. Quel Fespaco pour le 3e millénaire ?
Il était temps de coucher sur la table d’auscultation la vénérable institution qui montrait, depuis quelque temps, des signes d’essoufflement. En effet, l’organisation des dernières éditions fut un désastre sur toute la ligne et la dernière a fait perdre ses illusions au dernier carré de soutien du Fespaco. Aussi était-il urgent que des personnalités du monde du cinéma (réalisateurs, universitaires, anciens secrétaires généraux de l’institution et hommes de culture) soient réunies pour lui tailler un avenir à la hauteur des attentes des cinéphiles du continent.
Mais le casting des participants laisse perplexe plus d’un analyste. D’abord, la majeure partie des invités sont des réalisateurs alors que cet atelier de réflexion relève plus de l’administration culturelle que de la création, et c’est connu qu’à se tromper de médecin, on risque un faux diagnostic : une ablation là où il fallait juste un fortifiant. Cet acte (manqué comme diraient les psys) est symptomatique du fait que le Fespaco vit replié sur le passé et se croit toujours un festival de réalisateurs.
Ensuite, la plupart des invités sont plus âgés que le Fespaco. Pourtant, il s’agit dans ce cas-ci, non de convoquer l’expérience qui, comme on le sait depuis Lao Tse, est « une lampe que l’on porte sur le dos, et qui n’éclaire que le chemin parcouru », mais d’apporter une nouvelle approche, de l’innovation et un futur au Fespaco ; toutes choses que ne possèdent pas les papys bien emmitouflés dans le manteau de la nostalgie d’un passé glorieux. Comment, en effet, parler d’avenir avec des septuagénaires et des nonagénaires qui se savent exclus de cet horizon lointain ? Il eût fallu donner plus de place à la jeunesse montante du cinéma, car le Fespaco de demain est justement le leur, mais point celui des doyens.
Un dernier impair avant de passer à autre chose : pour ce qui est des nationaux, c’est au dernier moment qu’ils en ont été informés et y ont été associés : l’Association des critiques de cinéma du Burkina (ASCRIC-B) a reçu son invitation la veille de l’atelier. Or les hommes ne réfléchissent pas comme des miroirs, ils ont besoin de temps pour sortir des idées. Apparemment, les organisateurs ignorent cela. Quelle explication à ce qui s’apparente à du mépris pour les cerveaux du pays ? Il faut croire que c’est l’atavique mauvaise organisation de la structure qui est cause de ce fait et non autre chose.
De quoi le prochain Fespaco est-il le nom ?
Ces réserves émises, voyons les points sur lesquels le Fespaco doit mettre l’accent pour espérer retrouver sa crédibilité, fort entamée du fait des errements des dernières éditions. Il faut de toute urgence recentrer le Festival autour des longs et courts métrages documentaires et de fiction et le débarrasser des séries télé qui en alourdissent l’organisation et tendent à infecter l’esthétique du cinéma ; et aussi retirer les films d’école du Festival pour leur trouver un autre cadre plus adapté à des films d’étudiants.
Il y a aussi urgence pour le festival à se doter d’un directeur artistique qui ait une bonne connaissance des cinémas africains et de la diaspora et qui aura carte blanche pour effectuer un vrai travail de sélection de films en compétition selon une ligne esthétique claire et assumée au lieu du magma sans cohérence que les sélections passées ont donné à voir. Mais ce faisant, le Festival de Ouaga se gardera d’aller dans le sens de tous ceux qui incitent le Fespaco à écumer les autres festivals de par le monde pour sélectionner d’office les films qui y passent et les programmer à Ouagadougou. Un très grand tropisme des critiques, des journalistes et des jeunes réalisateurs envers les festivals de Paris, de Berlin ou de Namur leur fait croire qu’un film sélectionné à ces festivals est forcément de qualité et doit s’imposer dans la sélection du Fespaco et en compétition. A notre sens, le Fespaco doit rester un festival où les réalisateurs ou producteurs inscrivent leurs films, et ce geste volontariste doit demeurer. Le Fespaco doit donc garder son ADN. Dans l’absolu, il n’y a aucun intérêt à sélectionner un film qui l’a été dans d’autres festivals.
On entend souvent que le Fespaco est politisé et que cela est un problème. Il ne doit pas abdiquer son côté politique. Bien naïfs ceux qui croient que l’art n’est pas politique ou qu’une institution culturelle comme un festival de cinéma peut se passer de ligne politique. Il y a juste des politiques clairement assumées et d’autres, plus subtilement dissimulées. Cannes est très politique. Les JCC le sont. Le Fespaco doit rester politique. La politique est juste une vision panafricaniste et une idée du rôle que les cinémas doivent y jouer. Aussi, le cinéma nombriliste ne pourra pas prendre le dessus sur un cinéma engagé au Fespaco.
Par ailleurs, cette manif est un outil de la diplomatie burkinabè, et le pays doit mettre en avant et défendre la géopolitique culturelle. Ainsi, chaque nation doit être présente à travers son cinéma. Il faut juste éviter que l’aspect politique prime l’artistique. C’est à ce jeu d’équilibriste qu’il faut se livrer pour donner de la visibilité à tous les cinémas d’Afrique, mais tout en mettant en compétition les films qui le méritent. Ainsi dans ce format, un pays pourrait être invité d’honneur, avoir ses films en panorama mais aucun en sélection si le directeur artistique juge qu’aucun des films du pays ne mérité d’y être.
Enfin, il nous semble qu’on peut mettre fin au laxisme, au manque de planification qui fait que chaque édition tient du miracle en mettant les personnes qu’il faut à la place qu’il faut. Et il faut instaurer le devoir de redevabilité au Fespaco. En sanctionnant sans état d’âme les manquements, on obligera les travailleurs de l’institution à plus de responsabilité et d’engagement.
Voilà quelques aspects essentiels sur lesquels il faut agir pour sortir le Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou de l’amateurisme et l’imposer comme un espace incontournable dans la diffusion des cinémas d’Afrique et de la diaspora pour les prochaines cinquante années. Hors de cela, tout le reste n’est que gesticulation inutile et dilatoire…
Saïdou Alcény Barry