Au milieu du XIXe siècle, l’insoumis de Concord invente le concept de «désobéissance civile». Le penseur pose le principe des lanceurs d’alerte d’aujourd’hui, mais se tient à l’écart des combats politiques, arpentant la forêt, son refuge. Republiée aujourd’hui, son oeuvre s’arrache.
Qui est cet Henry David Thoreau (prononcer «Soreau») dont tout le monde parle ou se revendique sans toujours l’avoir lu ? Ou trop vite. Il n’est jamais celui que l’on croit saisir. Libre penseur ? Sans doute. Anarchiste ? Peut-être, mais qui se tiendrait à l’écart des mobilisations bruyantes et violentes. «Je réclame non pas la disparition de tout gouvernement, mais la formation immédiate d’un gouvernement meilleur», écrit-il dans la Désobéissance civile publiée en 1849. Libertaire ? Oui, quand il pose le principe des lanceurs d’alerte d’aujourd’hui. «La seule obligation que j’ai le droit de suivre est celle de faire en tout temps ce que je pense être le bien», peut-on lire dans la Désobéissance…...... Libertarien individualiste ? Aussi. Les lois l’ennuient.
Il y a en lui beaucoup de La Boétie, l’auteur du Discours de la servitude volontaire, et un peu de Montaigne, l’introspectif, qui ne serait pas devenu maire de Bordeaux. Rousseau (l’homme - et la femme qu’il oubliait - est bon, la société le corrompt) a pu l’inspirer sans qu’il en parle, sinon furtivement, mais l’activisme de Voltaire l’aurait sans doute ennuyé.
Aux Etats-Unis, il serait plutôt Bob Dylan que Joan Baez, plutôt Jack Kerouac que Noam Chomsky, préférant l’isolement volontaire au bord du lac Walden sur les bords duquel il passera deux ans, deux mois et deux jours à l’écart de la cité des hommes. Mais, il ne faut pas pour autant en faire un loup solitaire. Sa cabane devenue un lieu de vénération, se situait à deux kilomètres de Concord, la ville où il était né en 1817, où il allait vivre et mourir de la tuberculose en 1862.
Il ne faut donc pas lire Thoreau trop vite. Lui allait au rythme de l’arpenteur qu’il était devenu pour vivre et pour rester immergé dans cette nature qu’il vénérait. Quand on lit la Désobéissance civile, ce livre court (38 pages) réédité récemment (1), il convient d’aller à son pas, pour éviter les récupérations tapageuses. A l’époque, les Etats-Unis pratiquent l’esclavage et déclenchent une guerre contre le Mexique pour annexer le Texas estimant que c’est la «destinée» de cette nation jeune et vigoureuse de conquérir de nouveaux territoires.
La désobéissance civile, selon Thoreau, ne consiste pas à refuser tout commandement. Il accepte de payer l’impôt qui permet d’entretenir les routes, mais refuse de s’acquitter de la poll tax, laquelle donne le droit de vote et fonde la citoyenneté américaine. «Quand un sixième de la population d’une nation qui s’est donné pour but d’être le havre de la liberté se trouve réduit en esclavage, et qu’un pays tout entier se voit injustement envahi et conquis par une armée étrangère, je crois qu’il est alors plus que temps que les hommes honnêtes se rebellent et fassent la révolution», explique-t-il dans la Désobéissance civile sans pour autant prendre la tête de la révolution en question. «Ça n’est pas dans son caractère, explique Thierry Gillybœuf, lequel s’est lancé dans la traduction du Journal de Thoreau (2). Il soutient James Brown qui prône et pratique l’insurrection armée contre l’esclavagisme, il aidera sa mère et sa sœur à libérer des esclaves, mais il reste un contemplatif et préfère s’installer sur les bords du lac Walden.»
La difficulté avec Thoreau, c’est qu’il est réfractaire à tout embrigadement. Il semble toujours s’échapper ou ne pas chercher la compagnie y compris celle de son lecteur qu’il tient à distance avec une écriture «aride» notait Libération, en 2014, à l’occasion de la publication du troisième tome du Journal. Voilà son charme. On l’a compris, il arpente plus volontiers la forêt, pour gagner sa vie, que la société des hommes, estimant que l’essentiel pour chacun est «de trouver son Walden, son point d’équilibre personnel», explique Gillybœuf, auteur de Henry David Thoreau. Le célibataire de la nature (3).
Un détail met en évidence le caractère insaisissable de Thoreau : le titre si fort de son livre le plus connu, la Désobéissance civile, Civil Disobedience en anglais, n’est pas de lui. Il ne viendra qu’avec une édition de 1866, quatre ans après sa mort, remplacer le titre initial trop long et trop plat : Resistance to Civil Government. Il est le père de l’idée pas du terme.
Alors que faut-il retenir de celui que l’on s’arrache en 2017, deux cents ans après sa naissance ? Evidemment, le Journal (2) qui paraît année après année grâce à la ténacité des éditions Finitude. Mais aussi l'oeuvre littéraire avec Walden (4) - peut-être dans l’édition parue chez le Mot et le Reste, avec une préface de Jim Harrison. Sept Jours sur le fleuve (5) et De la marche, enfin, parue en 2002 chez Mille et Une Nuits. Là, on peut le suivre même si Gillybœuf, prudent garde frontière, freine les enthousiasmes : «Je me méfie aussi quand on dit qu’il est le premier des écologistes. Il écrivait depuis la nature, plutôt que sur la nature. Il donne un cadre à la réflexion qui verra le jour à la fin des années 60, de là à en faire le premier des écolos…» lui ne franchit pas ce pas.
(1) La Désobéissance civile, Henry David Thoreau, éditions Gallmeister, avril 2017, 3 €.(2) Le Journal de Thoreau dont quatre tomes sont parus et qui en comptera quinze. Dernier paru le Journal de Thoreau, 1846-1850, éditions Finitude, 2016. Prochaine parution prévue à l’automne 2018.
(3) Henry David Thoreau, Fayard, 2012, 25 €.
(4) Walden, préface de Jim Harrison, éditions le Mot et le Reste, 2015, 24 €.
(5) Sept Jours sur le fleuve, Fayard, 2012, 22 €.
Philippe Douroux
Qui est cet Henry David Thoreau (prononcer «Soreau») dont tout le monde parle ou se revendique sans toujours l’avoir lu ? Ou trop vite. Il n’est jamais celui que l’on croit saisir. Libre penseur ? Sans doute. Anarchiste ? Peut-être, mais qui se tiendrait à l’écart des mobilisations bruyantes et violentes. «Je réclame non pas la disparition de tout gouvernement, mais la formation immédiate d’un gouvernement meilleur», écrit-il dans la Désobéissance civile publiée en 1849. Libertaire ? Oui, quand il pose le principe des lanceurs d’alerte d’aujourd’hui. «La seule obligation que j’ai le droit de suivre est celle de faire en tout temps ce que je pense être le bien», peut-on lire dans la Désobéissance…...... Libertarien individualiste ? Aussi. Les lois l’ennuient.
Il y a en lui beaucoup de La Boétie, l’auteur du Discours de la servitude volontaire, et un peu de Montaigne, l’introspectif, qui ne serait pas devenu maire de Bordeaux. Rousseau (l’homme - et la femme qu’il oubliait - est bon, la société le corrompt) a pu l’inspirer sans qu’il en parle, sinon furtivement, mais l’activisme de Voltaire l’aurait sans doute ennuyé.
Aux Etats-Unis, il serait plutôt Bob Dylan que Joan Baez, plutôt Jack Kerouac que Noam Chomsky, préférant l’isolement volontaire au bord du lac Walden sur les bords duquel il passera deux ans, deux mois et deux jours à l’écart de la cité des hommes. Mais, il ne faut pas pour autant en faire un loup solitaire. Sa cabane devenue un lieu de vénération, se situait à deux kilomètres de Concord, la ville où il était né en 1817, où il allait vivre et mourir de la tuberculose en 1862.
Il ne faut donc pas lire Thoreau trop vite. Lui allait au rythme de l’arpenteur qu’il était devenu pour vivre et pour rester immergé dans cette nature qu’il vénérait. Quand on lit la Désobéissance civile, ce livre court (38 pages) réédité récemment (1), il convient d’aller à son pas, pour éviter les récupérations tapageuses. A l’époque, les Etats-Unis pratiquent l’esclavage et déclenchent une guerre contre le Mexique pour annexer le Texas estimant que c’est la «destinée» de cette nation jeune et vigoureuse de conquérir de nouveaux territoires.
La désobéissance civile, selon Thoreau, ne consiste pas à refuser tout commandement. Il accepte de payer l’impôt qui permet d’entretenir les routes, mais refuse de s’acquitter de la poll tax, laquelle donne le droit de vote et fonde la citoyenneté américaine. «Quand un sixième de la population d’une nation qui s’est donné pour but d’être le havre de la liberté se trouve réduit en esclavage, et qu’un pays tout entier se voit injustement envahi et conquis par une armée étrangère, je crois qu’il est alors plus que temps que les hommes honnêtes se rebellent et fassent la révolution», explique-t-il dans la Désobéissance civile sans pour autant prendre la tête de la révolution en question. «Ça n’est pas dans son caractère, explique Thierry Gillybœuf, lequel s’est lancé dans la traduction du Journal de Thoreau (2). Il soutient James Brown qui prône et pratique l’insurrection armée contre l’esclavagisme, il aidera sa mère et sa sœur à libérer des esclaves, mais il reste un contemplatif et préfère s’installer sur les bords du lac Walden.»
La difficulté avec Thoreau, c’est qu’il est réfractaire à tout embrigadement. Il semble toujours s’échapper ou ne pas chercher la compagnie y compris celle de son lecteur qu’il tient à distance avec une écriture «aride» notait Libération, en 2014, à l’occasion de la publication du troisième tome du Journal. Voilà son charme. On l’a compris, il arpente plus volontiers la forêt, pour gagner sa vie, que la société des hommes, estimant que l’essentiel pour chacun est «de trouver son Walden, son point d’équilibre personnel», explique Gillybœuf, auteur de Henry David Thoreau. Le célibataire de la nature (3).
Un détail met en évidence le caractère insaisissable de Thoreau : le titre si fort de son livre le plus connu, la Désobéissance civile, Civil Disobedience en anglais, n’est pas de lui. Il ne viendra qu’avec une édition de 1866, quatre ans après sa mort, remplacer le titre initial trop long et trop plat : Resistance to Civil Government. Il est le père de l’idée pas du terme.
Alors que faut-il retenir de celui que l’on s’arrache en 2017, deux cents ans après sa naissance ? Evidemment, le Journal (2) qui paraît année après année grâce à la ténacité des éditions Finitude. Mais aussi l'oeuvre littéraire avec Walden (4) - peut-être dans l’édition parue chez le Mot et le Reste, avec une préface de Jim Harrison. Sept Jours sur le fleuve (5) et De la marche, enfin, parue en 2002 chez Mille et Une Nuits. Là, on peut le suivre même si Gillybœuf, prudent garde frontière, freine les enthousiasmes : «Je me méfie aussi quand on dit qu’il est le premier des écologistes. Il écrivait depuis la nature, plutôt que sur la nature. Il donne un cadre à la réflexion qui verra le jour à la fin des années 60, de là à en faire le premier des écolos…» lui ne franchit pas ce pas.
(1) La Désobéissance civile, Henry David Thoreau, éditions Gallmeister, avril 2017, 3 €.(2) Le Journal de Thoreau dont quatre tomes sont parus et qui en comptera quinze. Dernier paru le Journal de Thoreau, 1846-1850, éditions Finitude, 2016. Prochaine parution prévue à l’automne 2018.
(3) Henry David Thoreau, Fayard, 2012, 25 €.
(4) Walden, préface de Jim Harrison, éditions le Mot et le Reste, 2015, 24 €.
(5) Sept Jours sur le fleuve, Fayard, 2012, 22 €.
Philippe Douroux
Publié le :
9 janvier 2017Par:
Loethiers mackan