Les libertés chèrement conquises par les combattants de la démocratie en Côte d’Ivoire traversent décidément une période de vaches maigres. Faut-il le rappeler ? Une société démocratique véritable respecte un minimum de principes envers le monde de l’art : on encourage les créateurs, petits et grands, pour nourrir l’émerveillement et la joie des citoyens ; on respecte les œuvres d’art, ces quasi-personnes qui sont porteuses du génie de nos artistes ; on respecte en démocratie la liberté de croyance, de pensée, d’opinion politique ; on respecte par conséquent la liberté thématique des musiciens, chanteurs-compositeurs, des poètes, romanciers, nouvellistes, chroniqueurs et éditeurs du pays. Toute question litigeuse méritant dans ce contexte l’arbitrage rationnel et équilibré de la justice. Les responsables d’une chaîne de télévision, fussent-ils convaincus d’appartenir au clan des puissants de l’heure, ne sauraient être, en démocratie fondés à attenter à l’intégrité des œuvres culturelles ou à la liberté de pensée de leurs auteurs. Le mépris de l’intégrité des œuvres d’art masque donc rarement le mépris de la liberté des gens !
Or ce sont précisément ces principes élémentaires et fondateurs de la démocratie culturelle ivoirienne que vient de piétiner grossièrement la Chaîne Ivoire TV Music, en se permettant de censurer une partie du Clip « Oli dangereux dè », de l’artiste de Coupé-Décaler Vetcho Lolas. Et comme de juste, la partie que la chaîne Ivoire TV Music s’est permise d’occulter, sans l’accord préalable de l’artiste, contre sa volonté et au mépris des normes de la propriété intellectuelle et artistique, se trouve précisément être celle dans laquelle Vetcho Lolas salue la figure politique du Président de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire, Guillaume Soro, qu’il présente comme « l’avenir de l’Afrique ».
Vous trouverez ici, pour preuves de cette manœuvre arbitraire, la version originale de la chanson « Oli dangereux dè » que nous a servie l’artiste, et la version clip TV montée par Ivoire TV Music, occultant dès la première minute de ladite chanson, l’éloge de l’artiste au Chef du Parlement Ivoirien.
Pourtant, les mêmes chaînes musicales, si promptes à censurer abusivement les créateurs d’oeuvres culturelles en dissonance avec leurs convictions, n’en laissent pas moins intactes les œuvres musicales laudatrices envers leurs figures politiques préférées.
Or, ce témoignage de Vetcho Lolas, loin d’être un fait isolé de la mémoire musicale ivoirienne, rejoint tout naturellement de nombreux témoignages d’artistes ivoiriens, tels les Magic System[1], qui ont tout récemment encore souligné la précocité de l’attachement de Guillaume Soro au monde de la culture dans ce pays. Pourquoi la chaîne Ivoire TV peut-elle donc se permettre, au mépris de l’évidence et de la liberté de création artistique, un tel outrage à l’œuvre en fulgurante ascension de Vetcho Lolas ? Au nom de l’hostilité délibérée d’un média envers la personne de Guillaume Soro, doit-on porter atteinte à l’intégrité des œuvres artistiques en Côte d’Ivoire ? Non, en démocratie, tous les coups ne sont pas permis. A moins qu’on veuille par ce genre d’actes, nous annoncer le requiem de la jeune démocratie ivoirienne et sa mutation subreptice en autocratie…
Dénonçons avec la dernière énergie l’arrogance de ces nouveaux inquisiteurs de la culture en Côte d’Ivoire qui devraient plusieurs fois méditer le mot de Blaise Herriot : « La culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié ». Ils comprendraient que l’une des conditions de la paix et de la prospérité partagées, c’est le respect de la liberté de l’esprit, la sacralité du monde de la création spirituelle, qui est ce par quoi l’humain se renouvelle en permanence comme être dédié au Sens !
Souhaitons à l’artiste Vetcho Lolas, et à tous les artistes de Côte d’Ivoire, qu’ils soient de petits ou de grands calibres, de ne plus jamais subir l’arbitraire de comportements similaires à ceux de la chaîne Ivoire TV Music que nous dénonçons !
Incitons toutes les victimes de ce type de violations de la liberté artistique et de l’expression politique à retrouver en Côte d’Ivoire par voie de justice, chaque fois que de besoin, l’entièreté de leur propriété artistique et la réparation totale des préjudices que les inquisiteurs autoproclamés leur auront infligés. Car la culture est une chose trop importante pour qu’on l’abandonne aux apprentis-autocrates.
Longue vie donc à la chanson intégrale « Oli dangereux dè » et bonne carrière musicale à son valeureux auteur !
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Franklin NYAMSI